(1p. 149-150).

LV

Paris, 27 février 1843.

Nos lettres se sont croisées et j’ai été tranquillisé plus tôt que je n’espérais. Je vous en remercie. Votre lettre m’a fait grand plaisir par ce qu’elle me dit, quoique en style fort énigmatique. Ce verbe que vous redoutez si fort a toujours un son bien doux, même quand il est accompagné de tous ces adverbes dont vous savez si bien l’entortiller. Moquez-vous de ma tristesse et de la mine que je faisais sur les ruines de Carthage. Marius, assis comme nous, rêvait peut-être qu’il rentrerait dans Rome, et moi, je ne voyais guère d’espérance dans mon avenir. Vous m’effrayez, chère amie, en me disant que vous n’osez plus écrire et que vous aurez plus de courage pour parler. Lorsque nous sommes ensemble, c’est le contraire que vous dites. N’en résultera-t-il pas que vous ne me parlerez plus et que vous ne m’écrirez plus ? Vous étiez fâchée contre moi, m’avez-vous dit. Était-ce bien juste de votre part et l’avais-je mérité ? N’avais-je pas votre promesse et aussi un peu votre exemple ? En êtes-vous restée aveugle ? Avez-vous conservé un souvenir désagréable ? Êtes-vous encore fâchée ? Voilà ce que je voudrais savoir et ce que vous ne me direz sans doute pas.

Je commence à vous savoir par cœur, et je crois que c’est ce qui m’attriste souvent. Il y a en vous un mélange d’oppositions et de contradictions si étrange, qu’il y a pour faire enrager un saint.
 
J’ai appris hier une bien triste nouvelle. Le pauvre Sharpe est mort mercredi dernier. J’ai reçu la nouvelle de sa mort au moment où je le croyais non-seulement hors de tout danger, mais sur le point de reprendre ses occupations ordinaires. Je ne m’accoutume pas à l’idée de ne plus le voir. Il me semble que, si j’allais à Londres, je le retrouverais.

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