(1p. 142-144).

LI

Jeudi soir, février 1843.

Je cherche vainement dans vos dernières paroles quelque chose qui me soulage en m’irritant contre vous, car la colère serait un soulagement pour moi. J’ai brûlé votre lettre, mais je me la rappelle trop bien. Elle était très-sensée, peut-être trop, mais très-tendre aussi. Depuis huit jours, j’ai tant d’envie de vous revoir, que j’en viens à regretter nos querelles mêmes. Je vous écris, savez-vous pourquoi ? C’est que vous ne me répondrez pas et que cela me mettra en colère, et tout vaut mieux que le découragement où vous m’avez laissé. Rien n’est plus absurde, nous avons eu parfaitement raison de nous dire adieu. Nous comprenons si bien l’un et l’autre les choses raisonnables, que nous devrions agir le plus raisonnablement du monde. Mais il n’y a de bonheur, à ce qu’il paraît, que dans les folies et surtout dans les rêves. Ce qu’il y a d’étrange, c’est que je n’ai jamais cru, sinon cette fois, à la persistance de nos querelles. Mais il y a dix jours que nous nous sommes séparés d’une manière presque solennelle qui m’a effrayé. Étions-nous plus irrités que d’ordinaire, plus clairvoyants ? nous aimions-nous moins ? Il y avait certainement entre nous, ce jour-là, quelque chose que je ne me rappelle pas distinctement, mais qui n’avait jamais existé. Les petits accidents viennent après les grands. En même temps que je vous disais adieu, mon cousin changeait son jour aux Italiens, et je pense que je ne vous y rencontrerai plus le jeudi. Je me rappelle aussi que vous avez dit prophétiquement que je vous oublierais pour l’Académie, et c’est devant l’Académie que nous nous sommes quittés. Tout cela est fort bête, mais cela m’obsède, et je meurs d’envie de vous revoir, ne fût-ce que pour nous quereller.

Vous enverrai-je cette lettre ? je ne sais trop. Hier, je suis allé, sur la foi d’un vers grec, à Saint-Germain-l’Auxerrois. Vous rappelez-vous quand nous nous devinions toujours ?

Adieu ; répondez-moi. Je me sens un peu soulagé pour vous avoir écrit.