(1p. 139-142).

L

Paris, lundi soir, février 1843.

Si je ne craignais de vous gâter, je vous dirais tout le plaisir que m’ont causé votre lettre, la toute gracieuse promesse que vous me faites, et surtout cette impatience de voir revenir le temps sec. N’est-ce pas une grande folie de votre part de vouloir prendre des termes fixes pour nos promenades, comme si nous pouvions jamais être assurés d’un jour ? N’avais-je pas bien raison de dire : le plus souvent que vous pourrez ? Il faut toujours supposer, quand il y aura du beau temps pendant deux jours, qu’il pleuvra deux mois de suite après. Qu’importe, si, au bout de l’année, nous nous trouvons en avance de quelques jours de promenade ? Votre lettre est, en effet, toute de premier mouvement ; c’est pour cela que je l’aime tant. Je crains seulement que vous n’ayez de si bonnes dispositions que parce que nous ne pouvons en profiter. Cependant, vos bonnes promesses me rassurent un peu, et vous auriez trop de reproches à vous faire si vous ne les teniez pas. Vous m’avez fait venir toute sorte de pensées, l’autre soir aux Italiens, avec votre costume couleur d’arc-en-ciel. Mais vous n’avez pas besoin de coquetterie avec moi. Je ne vous aime pas mieux en arc-en-ciel qu’en noir…

En vérité, avez-vous été furieuse contre moi par réflexion ? Alors, ce serait un premier mouvement qui aurait été mauvais pour moi l’autre jour, et cela me ferait peine et plaisir. Je saurai lequel des deux en vous voyant.

Je connais la superstition des couteaux et des instruments tranchants, mais point celle des piquants. J’aurais cru, au contraire, que cela signifiait attachement, et c’est cela peut-être qui m’a fait choisir les épingles. Vous rappelez-vous que vous n’avez pas voulu me laisser ramasser les vôtres chez madame de P… ? J’ai cela encore sur le cœur avec bien d’autres griefs contre vous. Je vous les pardonne tous aujourd’hui, mais je les retrouverai aussi révoltants lorsque vous y en aurez ajouté d’autres. C’est un grand malheur que de ne pouvoir oublier. J’écris aujourd’hui comme un chat, je ne puis encore tailler ma plume, et je ne sais si vous pourrez lire mon griffonnage. Il est presque aussi intelligible que ce que vous écrivez en blanc. Je suppose que vous allez fort dans le monde ce carnaval. En rangeant ma table, je m’aperçois que je ne suis point allé à un bal chez le directeur de l’Opéra. Où est le bon temps où j’y prenais plaisir ? Maintenant, tout cela m’ennuie horriblement. Ne vous semblé-je pas bien vieux ?

Le temps a l’air de vouloir se remettre, mais je n’ose rien dire. J’ai juré de vous laisser toute liberté. — Théodore Hook est mort. Avez-vous lu Ernest Maltraverse et Alice, de Bulwer ? Il y a des tableaux charmants d’amour jeune et d’amour vieux. Je les ai tous les deux à votre service.