(1p. 19-23).

V

25 septembre.

Votre lettre m’a trouvé malade et fort triste, fort occupé des plus ennuyeuses affaires du monde, et je n’ai pas le temps de me soigner. J’ai, je crois, une inflammation de poitrine qui me rend extrêmement maussade. Mais, dans quelques jours, je me propose de me dorloter et de me guérir.

Mon parti est pris. Je ne quitterai pas Paris en octobre, dans l’espérance que vous y reviendrez. Vous me verrez ou vous ne me verrez pas, à votre choix. La faute en sera à vous. Vous me parlez de raisons particulières qui vous empêchent de chercher à vous trouver avec moi. Je respecte les secrets et je ne vous demande pas vos motifs. Seulement, je vous prie de me dire really truly si vous en avez. N’êtes-vous pas plutôt préoccupée d’un enfantillage ? Peut-être vous a-t-on fait, à mon sujet, quelque sermon dont vous êtes encore toute pénétrée. Vous auriez bien tort d’avoir peur de moi. Votre prudence naturelle entre sans doute pour beaucoup dans votre répugnance à me voir. Rassurez-vous, je ne deviendrai pas amoureux de vous. Il y a quelques années, cela aurait pu arriver ; maintenant, je suis trop vieux et j’ai été trop malheureux. Je ne pourrais plus être amoureux, parce que mes illusions m’ont procuré bien des desengaños sur l’amour. J’allais être amoureux quand je suis parti pour l’Espagne. C’est une des belles actions de ma vie. La personne qui a causé mon voyage n’en a jamais rien su. Si j’étais resté, j’aurais peut-être fait une grande sottise : celle d’offrir à une femme digne de tout le bonheur dont on peut jouir sur terre, de lui offrir, dis-je, en échange de la perte de toutes les choses qui lui étaient chères, une tendresse que je sentais moi-même très-inférieure au sacrifice qu’elle aurait peut-être fait. Vous vous rappelez ma morale : « L’amour fait tout excuser, mais il faut être bien sûr qu’il y a de l’amour. » Soyez persuadée que ce précepte-là est plus rigoureux que ceux de vos méthodistes amis. Conclusion : je serai charmé de vous voir. Peut-être ferez-vous l’acquisition d’un véritable ami, et moi peut-être trouverai-je en vous ce que je cherche depuis longtemps : une femme dont je ne sois pas amoureux et en qui je puisse avoir de la confiance. Nous gagnerons probablement tous deux à notre connaissance plus approfondie. Faites pourtant ce que votre haute prudence vous conseillera.

Mon moine est prêt. À la première occasion, je vous enverrai donc ce moine et sa monture. L’infante n’étant pas achevée, et étant trop mal commencée pour être jamais terminée, restera où elle est et me servira de garde-main pour un dessin que je vous ferai quand j’aurai le temps. Je meurs d’envie de voir la surprise que vous me destinez, mais je me creuse la tête inutilement pour le deviner. Quand je vous écris, je néglige trop les transitions, artifice de style bien nécessaire. Je crains que vous ne trouviez cette lettre terriblement décousue. C’est qu’à mesure que j’écris une phrase, il m’en vient une autre à l’esprit, laquelle donne naissance à une troisième avant que la seconde soit terminée. Je souffre beaucoup ce soir. Si vous avez de l’influence là-haut, tâchez de m’obtenir un peu de santé ou tout au moins de résignation ; car je suis le plus mauvais malade du monde, et je fais la mine à mes meilleurs amis. Quand je suis étendu sur mon canapé, je pense avec plaisir à vous, à notre mystérieuse connaissance, et il me semble que je serais bien heureux de causer avec vous autant à bâtons rompus que je vous écris ; et encore songez qu’il y a cet avantage que les paroles volent et que les écrits restent.

Au surplus, ce n’est pas l’idée d’être un jour imprimé tout vif ou posthume qui me tourmente. Adieu ; plaignez-moi. Je voudrais avoir le courage de vous dire mille choses qui me rendent cette vie triste. Mais comment vous les dire de si loin ? Quand donc viendrez-vous ? Adieu encore une fois. Vous voyez que, si le cœur vous en dit, vous avez tout le temps de m’écrire.


P.-S. — 26 septembre. — Je suis encore plus triste qu’hier. Je souffre horriblement. Mais, si vous n’avez jamais éprouvé par vous-même ce que c’est qu’une gastrite, vous ne comprendrez pas ce que c’est qu’une douleur vague qui est très-vive pourtant. Elle a cela de particulier qu’elle agit sur tout le système nerveux. Je voudrais bien être à la campagne avec vous ; vous me guéririez, j’en suis sûr. Adieu. Si je meurs cette année, vous aurez le regret de ne m’avoir guère connu.