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CLXVII

Kinloch-Linchard, 16 août 1856.

Je n’ai pas été trop content de votre lettre, que j’ai reçue au moment de quitter Glenquoich. Vous savez que vous avez toujours une première façon précipitée d’envisager les choses, qui vous fait regarder comme impossibles les actions les plus simples. Repensez donc à ce que je vous ai dit, et, après avoir réfléchi mûrement, répondez oui ou non. Adressez votre réponse à Londres, chez le Right honble E. Ellne, 18, Arlington street.

 

Je commence à avoir par-dessus la tête des grouses et de la venaison. Les paysages, vraiment remarquables, que je vois tous les jours ont encore du charme pour moi, mais j’ai satisfait ma curiosité, et je ne trouverai plus rien d’extraordinaire. Ce que je ne puis assez me lasser d’admirer, c’est la hérissonnerie de ces gens-là. Ils seraient mis aux galères ensemble, qu’ils n’en deviendraient pas plus sociables. Cela tient à ce qu’ils craignent d’être pris sur le fait à être bêtes, comme disait Beyle, ou bien à une organisation qui leur fait préférer les jouissances égoïstes : le devine qui pourra. Nous sommes arrivés ici en même temps que deux hommes et une femme entre deux âges, du grand monde et ayant voyagé. Au dîner, il a fallu casser la glace. Après le dîner, le mari a pris un journal, la femme un livre, l’autre homme s’est mis à écrire des lettres, tandis que, moi, je faisais la chouette au maître et à la maîtresse de la maison. Notez bien que les gens qui s’isolaient ainsi dans un salon avaient été aussi longtemps et plus que moi sans voir notre hôtesse, et qu’ils avaient nécessairement beaucoup plus de choses que moi à lui conter. On me dit, et je suis disposé à le croire par le peu que j’ai vu, que la race celtique (qui vit dans d’affreux trous autour du palais que je fréquente) sait causer. Le fait est qu’un jour de marché, on entend un bruit continuel de voix très-animées, des rires et des cris. Le gaélique est très-doux. En Angleterre et dans les Lowlands, silence complet. Ce n’est pas bien à vous de ne m’avoir écrit qu’une fois. Je vous ai écrit au moins deux fois pour une. Mais je n’ai pas envie de vous quereller de si loin. Voici mes projets. Je partirai d’ici pour aller à Inverness, où je resterai un jour ; de là à Édimbourg, puis à York, Durham et peut-être Derby. Je compte être le 23 à Paris.