(1p. 355-357).

CLXVI

Dimanche, 3 août 1856.
D’une maison de campagne, près de Glasgow.

Je m’ennuie de vous, comme vous le disiez si élégamment autrefois. Je mène cependant une vie douce, allant de château en château, partout hébergé avec une hospitalité pour laquelle je désespère de trouver un adjectif et qui n’est praticable qu’en cet aristocratique pays. J’y prends de mauvaises habitudes. Arrivant ici chez de pauvres gens qui n’ont guère plus de trente mille livres de rente, je me suis trouvé méconnu en voyant qu’on me donnait à dîner sans instruments à vent et sans un joueur de cornemuse en grand costume. J’ai passé trois jours chez le marquis de Breadalbane, à me promener en calèche dans son parc. Il y a environ deux mille daims, outre huit à dix mille autres dans ses bois non adjacents au château de Faymouth. Il y a aussi comme singularité, chose à quoi chacun vise ici, un troupeau de bisons américains, très-féroces, qu’on enferme dans une péninsule et qu’on va voir par les fentes de leurs palissades. Tout ce monde-là, marquis et bisons, a l’air de s’ennuyer. Je crois que leur plaisir consiste à faire envie aux gens, et je doute que cela compense le tracas qu’ils ont d’être les aubergistes du tiers et du quart. Parmi tout ce luxe, j’observe de temps en temps de petites mesquineries qui me divertissent. Au fond, je n’ai encore rencontré que d’excellentes gens qui me prennent avec mon caractère si opposé au leur, sans la moindre difficulté. On vient de me conter une histoire qui me réjouit et dont je veux vous faire part. Un Anglais se promène le long d’un poulailler, dans un château d’Écosse, un samedi soir. Grand bruit, cris de coqs et de poules. Il croit que quelque renard est entré et il avertit. On lui répond que ce n’est rien, et qu’on sépare seulement les coqs des poules pour qu’ils ne polluent pas the Lord’s day.

Avant mon retour, vous voudrez bien m’écrire : 18, Arlington street, care of the honble E. Ellne. On m’enverra de là vos lettres ou bien on les gardera pour mon arrivée à Londres. Adieu. Je n’ai pas besoin de vous dire de m’écrire le plus souvent que vous pourrez.