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CXXXVII

Bâle, 10 octobre 1850.

Il y a bien longtemps que je veux vous écrire et je ne sais comment il se fait que j’ai tant tardé. D’abord, j’ai vécu dans des lieux si déserts et si sauvages, qu’il n’était pas vraisemblable que la poste y pénétrât, et puis j’ai eu tant de gymnastique à faire pour visiter les châteaux gothiques des Vosges, que, le soir, il ne me restait plus de force pour prendre une plume. Le temps, qui avait été très-mauvais à mon départ, s’est mis au beau pour mon excursion d’Alsace, et j’ai joui très-complétement des montagnes, des bois et d’un air que la fumée de charbon de terre n’a jamais vicié, et qui n’a jamais vibré aux accents du chœur des Girondins. J’éprouvais un vif plaisir au milieu de ces lieux sauvages et je me demandais comment on pouvait vivre ailleurs. Les bois sont encore tout verts et ont des odeurs délicieuses qui me rappellent nos promenades. Me voici enfin en pays républicain modèle, où il n’y a ni douaniers ni gendarmes, et où il y a des lits de ma taille, confort ignoré en Alsace. Je m’y repose un jour. Demain, je verrai la cathédrale de Fribourg, et j’irai tout de suite vérifier si les statues sont aussi belles que celles d’Erwin de Steinbach, à Strasbourg. — De Strasbourg, je partirai le 12, et serai le 14 à Paris. J’espère vous y trouver. Je n’ai pas besoin de vous dire combien cela me ferait plaisir. Mais cela ne vous empêchera pas d’en faire à votre tête. Adieu ; vous devez, étant paresseuse comme vous êtes, me savoir gré de vous écrire si tard, puisque cela vous dispense de me répondre.