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CXXIX

Paris, lundi 19 juillet 1848.

Vous devinez parfaitement les choses quand tous voulez bien vous en donner la peine, et vous m’avez envoyé ce que je vous demandais ; qu’importe que ce fût une répétition ! Ne suis-je pas comme le pauvre ex-roi ? « Je reçois toujours avec un nouveau plaisir, etc. » Ce que je ne puis vous dire, c’est combien j’ai été charmé de retrouver ce parfum connu et d’autant plus délicieux qu’il est bien connu et qu’il s’y rattache tant de souvenirs. Vous vous êtes enfin décidée à lâcher le grand mot. Il est vrai qu’il y a un mois que vous êtes partie et qu’en partant vous aviez parlé de six semaines ; d’où il suivrait que, dans quinze jours, je pourrais vous revoir ; mais aussitôt vous vous mettez à compter les six semaines à votre manière, c’est-à-dire du jour où vous m’écrivez. Cela ressemble un peu à la manière de compter du diable, qui, comme vous savez, groupe les chiffres tout autrement que les bons chrétiens. Dites-moi donc un jour, prenons le délai le plus long que je puisse vous accorder, soit le 15 août. Nous avons passé fort paisiblement le 14 juillet, malgré les prédictions sinistres qu’on nous faisait. La vérité, si on peut la découvrir sous le gouvernement où nous avons le bonheur de vivre, la vérité, c’est que nos chances de tranquillité sont singulièrement augmentées. Il avait fallu plusieurs années d’organisation et quatre mois d’armements pour préparer les affaires des 23-26 juin. Une seconde représentation de cette sanglante tragédie me paraît impossible, du moins tant que les conditions actuelles ne seront pas très-matériellement changées. Pourtant, quelque petit complot, quelques assassinats, quelques émeutes même sont encore probables. Nous avons pour un demi-siècle peut-être à nous perfectionner, les uns dans la confection des barricades, les autres dans leur destruction. On emplit Paris en ce moment d’obusiers et de mortiers à grenades, très-transportables et très-efficaces. C’est un argument nouveau et qu’on dit excellent. Mais laissons la πολεμικὰ. Vous ne pouvez vous faire une idée du plaisir que vous me ferez en acceptant mon invitation à déjeuner avec lady ***.