(1p. 288-290).

CXXVIII

Paris, 9 juillet 1848.

Vous êtes comme Antée, qui reprenait des forces en touchant la terre. Vous n’avez pas plus tôt touché votre pays natal, que vous retombez dans tous vos vieux défauts. Vous répondez joliment à ma lettre. Je vous priais de me dire combien de temps vous prétendiez demeurer encore à manger des amiles ; un chiffre de jour n’était pas bien difficile à écrire, mais vous avez préféré trois pages de circonlocutions où je ne puis comprendre autre chose, sinon que vous seriez revenue, si vous n’étiez pas restée. Je vois aussi que vous passez votre temps assez agréablement. Je pensais bien que l’écharpe de madame *** n’avait pas été achetée pour en faire des reliques. Vous auriez dû me dire au moins contre qui vous aviez jugé à propos de l’essayer. En somme, je suis fort mécontent de votre lettre. — Nous passons ici des jours bien longs et passablement chauds, mais aussi tranquilles qu’on peut le souhaiter ou plutôt l’espérer sous la République. Tout annonce que nous aurons une trêve assez longue. Le désarmement s’opère avec assez de vigueur et produit de bons résultats. On remarque un curieux symptôme : c’est que, dans les faubourgs insurgés, on trouve quantité de dénonciateurs pour indiquer les cachettes, et même les coryphées des barricades. Vous savez que c’est bon signe quand les loups se battent entre eux. Je suis allé hier à Saint-Germain pour commander le dîner de la Société des bibliophiles. J’ai trouvé un cuisinier très-capable et, de plus, éloquent. Il m’a dit que c’était à tort que tant de gens se faisaient un fantôme des artichauts à la barigoule, et il a compris tout de suite les plats les plus fantastiques que je lui ai proposés. C’est dans le pavillon où Henri IV est né que demeure ce grand homme. On a, de là, la plus belle vue du monde. En faisant deux pas, on se trouve dans un bois avec de grands arbres et un magnifique underwood au-dessous. Pas une âme pour jouir de tout cela ! Il est vrai qu’il faut cinquante-cinq minutes pour parvenir dans ces beaux lieux. Mais serait-ce impossible d’aller y dîner ou déjeuner un jour avec madame… ? Adieu. Écrivez-moi bientôt.