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CXXII

Paris, mars 1848.

Je crois que vous vous effrayez un peu trop. Les choses ne sont pas plus mal qu’elles n’étaient hier ; ce qui ne veut pas dire qu’elles soient bien et qu’il n’y ait pas de danger. Quant à ce projet de voyage, il est bien difficile de donner un conseil et de voir clair dans ce grand brouillard étendu sur notre avenir. Il y a des gens qui pensent que Paris, à tout prendre, est un lieu plus sûr que la province. Je suis assez de cet avis. Je ne crois pas à une bataille dans les rues : d’abord, parce qu’il n’y a pas encore de motif ; puis, parce que la force et l’audace sont du même côté, et que, de l’autre, je ne vois que platitude et poltronnerie. Si la guerre civile devait commencer, c’est, je crois, en province qu’elle se déclarerait d’abord. Il y a déjà une assez grande irritation contre la dictature de la capitale, et peut-être des mesures que l’on ne peut prévoir amèneraient-elles ce résultat dans l’Ouest ou ailleurs. Quant aux conséquences des émeutes, voyez ce qu’elles ont été à Paris dans la première révolution, et ce qu’elles ont été en province tout récemment. Le département de l’Indre, où vous voulez aller, en a vu une il y a deux ans, à Buzançais, plus vilaine que toutes celles de 93. Il est bien entendu que je ne vous conseille pas et que je raisonne seulement théoriquement. Je ne crois pas à un danger immédiat. Je crois même que, les circonstances devenant plus graves, Paris serait encore le meilleur séjour. Enfin, entre l’Indre et Boulogne, je préférerais le dernier lieu, qui a l’avantage d’être près de la mer. Mais je serais bien triste si vous partiez sans me voir. Ne pourriez-vous pas retarder de quelques jours ? Vous voyez que tout s’est passé tranquillement hier. Nous aurons encore des processions semblables et longtemps, avant qu’on en vienne aux coups de feu, si l’on y vient jamais dans ce pays si timide. Adieu........

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