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XII

Londres, 10 décembre.

Dites-moi, au nom de Dieu, « si vous êtes de Dieu », querida Mariquita, pourquoi n’avez-vous pas répondu à ma lettre ? Votre avant-dernière, et surtout le schizzo qui l’accompagnait, m’avaient mis dans un tel flutter, que ce que je vous ai écrit tout d’abord n’avait pas trop le sens commun. Maintenant que je suis plus rassis et que quelques jours de séjour à Londres m’ont considérablement rafraîchi la cervelle, je vais essayer de raisonner avec vous. Pourquoi ne voulez-vous pas me voir ? Personne de votre entourage ne me connaît, et ma visite serait fort vraisemblable. Votre principal motif paraît être la peur de faire quelque chose d’improper, comme on dit ici. Je ne prends pas au sérieux ce que vous dites de la crainte que vous avez de perdre vos illusions sur moi en me connaissant davantage. Si c’était là votre véritable motif, vous seriez la première femme, le premier être humain qu’une considération semblable aurait empêché de satisfaire son désir ou sa curiosité. Venons à l’impropriété. La chose est-elle improper en elle-même ? Non, car il n’y a rien de plus simple. Vous savez d’avance que je ne vous mangerai pas. La chose n’est donc improper — si improper elle est — que pour le monde. Remarquez en passant que ce mot monde nous rend malheureux depuis le jour où on nous met des habits incommodes, parce que le monde le veut ainsi, jusqu’au jour de notre mort.

 

En m’envoyant votre portrait, il me semble que vous m’avez donné la preuve que vous m’estimiez assez pour croire à ma discrétion. Pourquoi n’y croiriez-vous plus ? La discrétion d’un homme, et la mienne en particulier, est d’autant plus grande qu’on lui demande davantage. Cela posé, et vous étant sûre de ma discrétion, vous pouvez me voir, et le monde n’est pas plus avancé qu’il ne l’est maintenant, et il ne peut par conséquent crier à l’impropriété. J’ajouterai encore, et la main sur la conscience (c’est-à-dire à gauche), que je ne vois pas, quant à moi, la moindre inconvenance là-dedans. Je dirai plus. Si cette correspondance doit se continuer sans que nous nous voyions jamais, elle devient la chose la plus absurde qu’il y ait au monde. J’abandonne tout cela à vos réflexions.

Si j’étais plus fat, je me réjouirais de ce que vous me dites de mon diamant. Mais nous ne pouvons jamais nous aimer d’amour. Je parle de vous et de moi. Notre connaissance n’a pas commencé d’une manière qui puisse nous mener là. Elle est beaucoup trop romantique. Quant au diamant, mon compagnon de voyage, tout en fumant son cigare, me parlait d’elle sans savoir que je m’y intéressais et me disait de bien tristes choses. Il paraît ne pas douter de sa fausseté. Chère Mariquita, vous dites que vous ne voulez jamais être « diamant de la couronne », et vous avez bien raison. Vous valez mieux que cela. Je vous offre une bonne amitié qui, je l’espère, pourra être utile un jour à tous les deux.

Adieu.