Michel Lévy frères (p. 153-157).
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XXX


Montpellier, 16 mai 1868.


Chère Présidente,


Je ne sais si cette lettre arrivera à Vienne pour votre passage. La vôtre a fait bien des voyages pour me trouver ici, où je suis depuis un mois entre les pattes de la Faculté.

Votre lettre m’a appris cette horrible histoire. Je ne lis jamais les articles crimes dans les journaux ; et, d’ailleurs, comment soupçonner que cette pauvre dame était votre parente ? A-t-on pu découvrir les assassins ?

Je me trouve assez bien de mon séjour à Montpellier. J’y ai pris des bains d’air comprimé qui m’ont à peu près remis les poumons en ordre, autant du moins qu’on peut restaurer une vieille machine. Je vais partir pour Paris, où je compte vivre tout à fait en ours. Si à la fin de la session je me trouvais assez vaillant, j’irais passer quelques jours en Angleterre auprès d’un de mes amis malade. Voilà où finissent mes projets. Au delà de Vienne, vous ne me dites rien des vôtres. Je suppose, d’après le commencement de votre itinéraire, que vous allez en Pologne. Quand comptez-vous revenir ?

Je n’ai pas eu de nouvelles de l’examen de votre neveu, à qui j’avais envoyé une lettre pour son président. J’espère que le résultat a été heureux. Où est Madame la marquise *** ? où doit-elle demeurer à Paris ? Je vous demande cela, parce que j’espère avoir de temps en temps de vos nouvelles, et je compte faire une exception à ma retraite pour m’en procurer ; car ma chère Présidente aura tant de coquetteries autour d’elle qu’elle ne pensera peut-être pas à son secrétaire.

On m’écrit de merveilleuses choses de toutes les fêtes qui ont eu lieu, de la grande révolution accomplie par Madame de Pourtalès pour le raccourcissement des robes, de l’opposition tentée par tous les vilains pieds, et de leur confusion finale. Je pense que votre couturière vous a déjà renseignée à ce sujet beaucoup mieux que je ne saurais le faire, et que vous êtes franchement du parti de la révolution. Je regrette seulement de ne pas vous voir avec une mode qui doit vous aller très-bien.

Connaissez-vous la princesse de Mingrélie dont j’apprends le mariage ? Je suis brouillé toujours avec les noms propres, et, d’ailleurs, ces noms caucasiques ne sont pas des plus aisés à retenir ; mais sa mère n’a-t-elle pas été enlevée par Schamyl et gardée quelque temps prisonnière ? J’ai lu autrefois une relation de l’aventure, en russe, qui était des plus dramatiques. Schamyl, d’ailleurs, avait eu de très-bonnes manières avec elle, d’où j’avais conclu qu’elle n’était plus de la première jeunesse.

Adieu, chère Présidente ; je vous souhaite un heureux voyage et un prompt retour. À mon arrivée à Paris, j’entreprendrai auprès du ministre de l’instruction publique la négociation que vous savez.

Veuillez agréer tous les souhaits et les respectueux hommages de votre secrétaire. Rappelez-moi au souvenir du comte Pazzi.