Lettres à sa marraine/19 novembre 1915

Gallimard (p. 50-51).


19 novembre 1915


Ma chère marraine,

Puisque vous voulez bien admettre des circonstances atténuantes à mon impertinence, je la veux préciser en vous priant de m’indiquer la limite de vos préjugés afin que je ne déborde pas les frontières que vous assignez à notre correspondance. N’oubliez pas toutefois que, ma marraine de guerre, vous avez envers moi des devoirs. Mais je n’ai pas à vous les dicter, et votre bon sens me gêne trop désormais…

À propos de ce que je vous écrivais de votre talent et de votre livre, je conçois que mes idées puissent fort bien ne pas ressembler à celles que vous avez là-dessus, mais je ne vois pas quel intérêt vous trouvez à vouloir que je change les miennes qui vous sont plus favorables que les vôtres mêmes.

Néanmoins j’ai mal exprimé ma pensée si vous croyez que je compare « l’Espine » à « Salammbô », ce n’est pas cela et je ne compare pas non plus au roman de Flaubert la « Nichina » de Rebell ni les romans de Léon Cahun qui valent la peine qu’on les connaisse et tout particulièrement « Hassan le janissaire » qui, dit l’érudit hollandais Bywanck, est le seul roman sur la stratégie. Léon Cahun avait préparé une « Histoire des peuples de l’Asie » dont il n’a écrit et publié que l’Introduction remarquable. Il est mort en 1900 ou 1901. C’était l’oncle de Marcel Schwob et un fort honnête homme.

Je suis content que mes vers vous aient plu. Le bleu soldat d’un rêve vous imagine donc comme un ange et vous prie toutefois de l’excuser encore si cette opinion ne répond point à la vôtre…

Et je reste avec dévotion, ma chère marraine, votre filleul reconnaissant.

G. A.