Lettres à la princesse/Lettre241

Lettres à la princesse, Texte établi par Jules TroubatMichel Lévy frères, éditeurs (p. 330-332).

CCXLI

Ce 28, samedi.
Princesse,

Je l’écrivais hier à Mérimée, j’ai rarement vu un aussi mauvais discours de réception[1], et j’en ai bien vu. L’Académie recueille ce qu’elle a semé, et il paraît qu’elle s’en félicite. Ce Gratry n’a pas même su nous donner une faible esquisse de ce pâle M. de Barante : il s’est jeté dans l’abstraction et dans le mystique, non sans se passer les attaques et les sournoiseries. Ce qui ne me révolte pas moins, c’est l’éloge que M. Vitet a fait de ce faux savant et de cet esprit si peu juste. Oh ! que le genre académique est donc un genre faux et le contraire du vrai ! Nous voilà bien lotis avec ce nouveau confrère qui fait la paire avec le Dupanloup. Cela me console de n’y pas aller.

On dit Duruy très-menacé et à la veille de partir. Qui mettra-t-on pour le remplacer ? Encore une concession à ces robes noires. Oh ! Princesse, trouvez moyen de dire quelques mots de raison à l’oreille, je vous en supplie !

Je mets à vos pieds l’hommage de mon tendre et inaltérable attachement.


  1. L’éloge de M. de Barante par le père Gratry à l’Académie française (26 mars 1868) : — « … Le père Gratry, écrivait M. Sainte-Beuve à M. Mérimée, un homme qui porte écrit sur son front : Je crois à l’Immaculée Conception, — c’est le mot d’ordre du moderne Oratoire, — et qui, en entrant à l’Académie, s’est cru obligé, pour premier mot de bienvenue, d’insulter à Voltaire. Et il n’y a pas eu un lettré pour relever cette inconvenance, et pour l’en avertir au nom du goût ! Où en est donc l’Académie en l’an de grâce 1868 ? — Que dirait-on d’un sociétaire de la Comédie-Française qui, le jour de sa réception dans la maison de Molière, se croirait obligé d’insulter à Molière ?… »