Lettres à la princesse/Lettre174

Lettres à la princesse, Texte établi par Jules TroubatMichel Lévy frères, éditeurs (p. 239-241).

CLXXIV

Ce 6 septembre 1866.
Princesse,

Nous autres d’ici, nous ne sommes pas fâchés de savoir que vous regrettez un peu vos douces habitudes, qui étaient aussi nos douceurs à nous. Que ce voyage pourtant vous laisse quelques beaux tableaux dans la mémoire, quelques belles heures de souvenir et-revenez-nous vite : ce n’est pas de ce côté que peut être l’accoutumance et l’avenir.

La question du joli saint François d’Assise de Renan est la même que celle de l’histoire telle qu’on l’envisage aujourd’hui. En réalité, je crois vos objections fondées ; on embellit de loin les choses, on profite du moindre prétexte pour idéaliser les objets, on se contente d’explications qui n’en sont pas. Mais la condition de l’histoire serait bien sévère et dure si l’on ne disait que ce qu’on sait au pied de la lettre ; il y a des siècles entiers qui seraient la sécheresse, l’ennui, l’aridité. On a cherché de nos jours à retrouver la vie qui a dû exister, à se figurer quelque chose d’équivalent. Renan excelle en ce genre de vue. Pour mon compte, cela m’amuse sans me convaincre. Je dirai même que, pour mon usage, je préfère les faits authentiques tout nus, tout simples, me chargeant moi-même de faire mes petites réflexions et de reconstruire cela au dedans à ma guise ; mais je n’oserais jamais donner au public ces sortes de rêveries intérieures comme une vérité. La nécessité de faire des articles de journal intéressants, d’avoir du talent chaque fois qu’on publie quelques pages, mène bien loin, et dans le cas présent il n’y a pas grand mal : imaginez un portrait du joli petit saint traduit et interprété en prose. C’est de l’art encore, c’est de la peinture à la plume.

— Voilà de grands changements depuis ces derniers jours ; l’impression que j’en reçois n’est pas mauvaise. On va entrer dans un intervalle de paix et une trêve pour encadrer l’Exposition universelle ; mais après… Les questions subsistent : le but de la France et, je le crois, le plan de l’empereur n’ont pas été remplis. Nous restons écornes au Nord et sur le Rhin. Est-ce pour toujours ? Faut-il se résigner ? Est-ce pour le mieux, et cela ne fait-il rien du tout, comme Girardin le prétend ? Il y aurait encore plus à dire à ce sujet qu’à propos du petit saint François d’Assise de Renan.

Je mets à vos pieds, Princesse, l’hommage de mon tendre et respectueux attachement.

Je reçois une lettre charmante d’Eudore Soulié ; je lui répondrai. Elle m’arrive au moment où j’allais cacheter. C’est un peu comme si j’étais là-bas.