Lettre du 3 février 1676 (Sévigné)





500. — DE CHARLES DE SÉVIGNÉ SOUS LA DICTÉE DE MADAME DE SÉVIGNÉ, PUIS EN SON PROPRE NOM, À MADAME DE GRIGNAN.
Aux Rochers, lundi 3e février.
de madame de sévigné, dictant à son fils.

Devinez ce que c’est, ma fille, que la chose du monde qui vient le plus vite et qui s’en va le plus lentement, 1676qui vous fait approcher le plus près de la convalescence et qui vous en retire le plus loin, qui vous fait toucher l’état du monde le plus agréable et qui vous empêche le plus d’en jouir, qui vous donne les plus belles espérances du monde et qui en éloigne le plus l’effet : ne sauriez-vous le. deviner ? jetez-vous votre langue aux chiens ? C’est un rhumatisme. Il y a vingt-trois jours que j’en suis malade ; depuis le quatorze, je suis sans fièvre et sans douleurs, et dans cet état bienheureux, croyant être en état de marcher, qui est tout ce que je souhaite, je me trouve enflée de tous côtés, les pieds, les jambes, les mains, les bras ; et cette enflure, qui s’appelle ma guérison, et qui l’est effectivement, fait tout le sujet de mon impatience, et feroit celui de mon mérite, si j’étois bonne. Cependant je crois que voilà qui est fait, et que dans deux jours. je pourrai marcher. Larmechin me le fait espérer : o che spero[1] ! Je reçois de partout des lettres de réjouissance sur ma bonne santé, et c’est avec raison. Je me suis purgée une fois de la poudre de M. de l’Orme[2], qui m’a fait des merveilles ; je m’en vais encore en reprendre ; c’est le véritable remède pour toutes ces sortes de maux : après cela on me promet une santé éternelle ; Dieu le veuille ! Le premier pas que je ferai sera d’aller à Paris : je vous prie donc, ma chère enfant, de calmer vos inquiétudes ; vous voyez que nous vous avons toujours écrit sincèrement. Avant que de fermer ce paquet, je demanderai à ma grosse main si elle veut bien que je vous écrive deux mots : je ne trouve pas qu’elle le veuille ; peut-être qu’elle le voudra dans deux heures. 1676Adieu, ma très-belle et très-aimable : je vous conjure tous de respecter, avec tremblement, ce qui s’appelle un rhumatisme ; il me semble que présentement je n’ai rien de plus important à vous recommander. Voici le frater qui peste contre vous depuis huit jours, de vous être opposée, à Paris, au remède de M. de l’Orme.

de charles de sévigné.

Si ma mère s’étoit abandonnée au régime de ce bonhomme, et qu’elle eût pris tous les mois de sa poudre, comme il le vouloit, elle ne seroit point tombée dans cette maladie, qui ne vient que d’une réplétion épouvantable d’humeurs ; mais c’étoit vouloir assassiner ma mère, que de lui conseiller d’en essayer une prise. Cependant ce remède si terrible, qui fait trembler en le nommant, qui est composé avec de l’antimoine, qui est une espèce d’émétique, purge beaucoup plus doucement qu’un verre d’eau de fontaine, ne donne pas la moindre tranchée, pas la moindre douleur, et ne fait autre effet[3] que de rendre la tête nette et légère, et capable de faire des vers, si on vouloit s’y appliquer. Il ne falloit pourtant pas en prendre : « Vous moquez-vous, mon frère, de vouloir faire prendre de l’antimoine à ma mère ? Il ne faut seulement que du régime, et prendre un petit bouillon de séné tous les mois : » voilà ce que vous disiez. Adieu, ma petite sœur ; je suis en colère quand je songe que nous aurions pu éviter cette maladie avec ce remède, qui nous rend si vite la santé, quoi que l’impatience de ma mère lui fasse dire. Ma mère s’écrie[4] : « Ô mes enfants, que vous êtes fous de croire qu’une maladie se 1676puisse déranger ! ne faut-il pas que la Providence de Dieu ait son cours ? et pouvons-nous faire autre chose que de lui obéir ? » Voilà qui est fort chrétien ; mais prenons toujours à bon compte de la poudre de M. de l’Orme.



  1. LETTRE 500. — Oh que je l’espère !
  2. Voyez la lettre du 11 mars suivant, p. 379, note I.
  3. « Et ne fait autre chose. » (Édition de 1784.)
  4. « Quelque chose que l’impatience de ma mère lui fasse dire. Elle s’écrie, etc. » (Ibidem.)