Lettre du 18 décembre 1675 (Sévigné)





478. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À MADAME DE GRIGNAN.
Aux Rochers, mercredi 18e décembre.

Je viens d’écrire à M. de Pompone et à Mme de Vins, parce que M. d’Hacqueville me l’a conseillé. Je crois avoir pris le ton qu’il faut : j’envoie mes lettres ouvertes à ce dernier, qui est effrayé d’être seul contre tant de gens 1675qui viennent fondre sur nous ; il craint que vous n’ayez négligé d’envoyer les défenses de vos amis ; il voit cette affaire au conseil, où M. Colbert a sa voix aussi bien que M. de Pompone ; il a voulu être soutenu de mes pauvres lettres, dont il fera ce qu’il voudra. Je regrette de n’être pas en lieu de pouvoir agir moi-même, non pas que je crusse mieux faire que d’Hacqueville : c’est qu’on est deux, et que j’aurois au moins le plaisir de faire quelques pas pour vous ; mais la Providence n’a pas rangé ce bon office au nombre de ceux que j’ai dessein de vous rendre. Il est vrai que d’Hacqueville ne laisse rien à desirer : je n’ai jamais vu des tons et des manières fermes et puissantes pour soutenir ses amis comme celles qu’il a ; c’est un trésor de bonté, d’amitié et de capacité, à quoi il faut ajouter une application et une exactitude, dont nul autre que lui n’est capable. J’attends donc la fin de cette affaire avec l’espérance que me donne la confiance que j’ai en lui ; cependant je ne laisserai pas d’ouvrir ses lettres désormais avec beaucoup d’émotion, parce que je m’intéresse à la conclusion de cette affaire, qui me paroît d’importance pour la Provence et pour vous. On ne vous conseille point de faire aucune représaille du côté de la noblesse : ceux que vous pourriez attaquer en ont moins qu’ils ne pensent, mais ils en ont plus qu’il ne nous en faut : nous verrons. Je suis à une belle distance pour mettre mon nez dans tout cela. J’écrivis, il y a trois jours, à l’illustre Sapho[1] et à Corbinelli : ce n’est point par cet endroit que nous périrons ; je crains un ministre.

J’ai passé un jour à Vitré avec M. de Pommereuil, qui me dit, quasi devant la princesse, qu’il avoit séjourné pour l’amour de moi. Il a fait un grand bruit, dès 1675Malicorne[2] et dès Laval, de notre connoissance, et de l’amitié qu’il a pour moi ; je n’en avois rien dit, car je hais ce style de dire toujours que tout est de nos amis : c’est un air de gueule enfarinée, qui n’appartient qu’à qui vous savez ; j’ai donc gardé mon petit silence, jusqu’à ce qu’il ait dit des merveilles, et alors j’ai dit qu’oui, et nous voilà dans des conversations infinies ; et pendant que la princesse prioit Dieu avec son petit troupeau, nous fîmes une anatomie de la Bretagne. Il est reçu comme un Dieu, et c’est avec raison ; il apporte l’ordre et la justice pour régler dix’mille hommes, qui sans lui nous égorgeroient tous. Sa commission n’est que jusqu’au printemps ; il ne l’a prise que pour faire sa cour, et non pas pour faire sa fortune, qui va plus loin. Il ne songe qu’à faire plaisir ; il vivra fort bien avec M. de Chaulnes, mais il fera valoir au maître les choses qu’il lui cédera pour vivre doucement ; car il trouve que pourvu qu’on ne cède point comme un sot, on fait sa cour de ne point faire d’incidents, parce qu’ils interrompent le service et l’unique but que l’on doit avoir, qui est d’aller au bien. Il me parla de vous, et j’en fus touchée comme on l’est de parler de soi-même.

Vous avez trouvé fort plaisamment d’où vient l’attachement qu’on a pour les confesseurs : c’est justement la raison qu’on a pour parler dix ans de suite avec un amant ; car avec ces premiers on est comme Mlle d’Aumale[3] : on aime mieux dire du mal de soi que de n’en point parler. On me mande que cette précieuse fera, à son retour, une grande figure. Je suis étonnée de ce qu’on m’apprend de Mme de Maintenon ; on dit qu’elle n’est 1675plus si fort l’admiration de tout le monde, et que le proverbe a fait son effet en elle ; mon amie de Lyon[4] m’en paroît moins coiffée ; la dame d’honneur même[5], n’a plus les mêmes empressements, et cela fait faire des réflexions morales et chrétiennes à ma petite amie[6] : ne parlez point de ceci. Je vous conseille de faire tenir un petit compliment, par d’Hacqueville, à Mme de la Fayette, sur cette abbaye.

Adieu, ma très-chère enfant : il me semble que je ne vous aime point aujourd’hui ; je vous aimerai une autre fois ; voilà ce qui vous doit consoler. Parlez-moi des Essais de morale : n’est-ce pas un aimable livre ?



  1. LETTRE 478. — Mlle de Scudéry. (Note de Perrin.) — Elle avait de nombreuses relations en Provence. Voyez tome II, p. 212, note 4.
  2. Voyez tome II, p. 224, note 3.
  3. Mlle d’Aumale, belle-sœur du maréchal de Schomberg. (Note de l’édition de 1818.) Ne serait-ce point la maréchale elle-même ?
  4. Mme de Coulanges.
  5. Mme de Richelieu.
  6. Sans doute encore Mme de Coulanges.