Lettre du 16 mai 1669 (Sévigné)

Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 542-543).
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1669

93. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Quatre mois après que j’eus écrit cette lettre, Mme de Sévigné s’étant plainte à Mme de Bussy[1] que je n’avois écrit ni à elle ni à sa fille, et surtout à son gendre sur son mariage j’écrivis cette lettre à Mme de Sévigné.

À Bussy, ce 16e mai 1669.

J’ai tort, ma belle cousine, non pas de ne vous avoir point écrit sur le mariage de Mme de Grignan, car je vous en avois assez témoigné ma joie ; mais de n’avoir pas continué notre commerce de lettres. Je vous en demande pardon. Si vous saviez combien je me veux de mal d’avoir si souvent tort avec vous, vous ne m’en voudriez point ; car vous connoîtriez par la que je ne pèche point contre les principes, et que mon cœur est pour vous comme il doit être. En effet, je suis bien maudit que vous ayant toujours aimée et estimée assez pour faire la plus grande passion du monde, j’aie passé une partie de ma vie à vous offenser. J’en ai tant de repentir, ma chère cousine, que je ne doute pas que je ne vous aille aimer éperdument. Nous verrons si vous me gronderez pour cela comme vous faites pour le contraire.

Mme de Grignan a raison aussi de se plaindre de moi : c’est à elle à qui je devois de nécessité écrire après son mariage, et je lui en vais crier merci : j’avoue franchement la dette. Il faut aussi que vous soyez sincère sur le sujet de M. de Grignan. De quelque côté qu’on nous regarde tous deux, et particulièrement quand il épouse la fille de ma cousine germaine, il me doit écrire le premier (car je ne m’imagine pas que d’être persécuté, ce me doive être une exclusion à cette grâce : il y a mille gens qui m’en écriroient plus volontiers), et cela n’est pas de la politesse de l’hôtel de Rambouillet[2]. Je sais bien que les amitiés sont libres, mais je ne pensois pas que les choses qui regardent la bienséance le fussent aussi. Voilà ce que c’est d’être longtemps hors de la cour : on s’enrouille dans la province.

Adieu, ma belle cousine ; j’ai la plus grande impatience du monde de vous voir ; n’allez pas croire que Paris ait aucune part à cela. Venez seulement à Bourbilly, et vous verrez que je serai content.


  1. Lettre 93. — i. Louise de Rouville, seconde femme de Bussy. — Sur cette lettre et les suivantes, voyez la Notice, p. 107-109.
  2. On se rappelle que la première femme du comte de Grignan était fille de la marquise de Rambouillet.