Lettre de Saint-Évremond à la duchesse Mazarin (« Monsieur Bérengani n’est pas… »)


LXIII. Lettre à la duchesse Mazarin.


LETTRE À LA DUCHESSE MAZARIN.
(1695.)

Monsieur Bérengani1 n’est pas en peine de s’acquitter de la commission que vous lui avez fait l’honneur de lui donner. Il vous écrira des nouvelles sérieuses, en homme bien informé ; et des galantes, en acteur, dans la scène de la galanterie. Toute la difficulté est d’entrer en matière et d’en sortir : les commencements et les chutes font son embarras. J’ai été consulté, comme savant sur l’exorde ; et nous avons voulu nous insinuer agréablement : ce qu’on appelle, en latin, captare benevolentiam ; nous avons voulu plaire, gagner l’esprit, de trois manières différentes.

Si la république m’avoit fait plénipotentiaire pour traiter la paix générale, et donner à l’Europe le repos dont elle a besoin : Voilà la première.

Si la république m’avoit donné le commandement en Morée, et qu’à la tête des troupes de Lutterelle j’eusse emporté d’assaut Négrepont : Voilà la seconde.

Si elle m’avoit fait procurateur de Saint-Marc, elle m’aurait fait moins d’honneur que je n’en ai reçu, quand il vous a plu, Madame, de m’établir votre procureur, pour vous procurer des nouvelles, tous les ordinaires. C’est la troisième.

L’exorde est fini ; la narration va commencer, et je ne m’en mêle point. Vous m’avez défendu les contes, Madame, je ne veux point aller contre vos ordres. Je ne saurois pourtant m’empêcher de vous écrire que M. Bérengani s’étoit fait faire un habit particulier, pour aller danser la Furlane au bal de M. Colt : il a changé ; et je ne sais à quoi attribuer ce changement, qu’aux vaisseaux vénitiens qui sont arrivés.

J’ai vu milord Montaigu : il est peu satisfait de la réception que ses gens vous ont faite, à Ditton. Il prétend réparer leur faute, à votre retour ; et si vous lui permettez de se trouver chez lui, quand vous y logerez, je ne doute point qu’il ne brûle sa maison, comme le comte de Villa Médiana brûla la sienne, pour un sujet de moindre mérite2.

Sus Amores son mas que reales.



NOTES DE L’ÉDITEUR

1. Noble vénitien, qui étoit à Londres.

2. Sur l’aventure tragique de la comtesse de Villa Mediana, voy. le Tallemant de M. P. Paris, tom. I, pag. 456 et suiv.