Lettre de Chapelle à MM. de Nantouillet et de Sercelles


Lettre à MM. de Nantouillet et de Sercelles
Chapelle


LETTRE À MESSIEURS DE NANTOUILLET
ET DE SERCELLES.

À vous, les deux que je chéris
De l’amitié dont Toxaris
Veut qu’on s’aime, en son dialogue1 ;
À vous, non à d’autres, j’écris ;
Et sache quiconque à mépris
Tient qu’on l’exclue, et m’épilogue,
Qu’en vos deux grands noms sont compris
Tous ceux qu’en son premier prologue
Maître François2 a si bien mis.

Or je vous écris pour vous dire,
Après un humble grand merci
D’avoir bien voulu nous écrire,
Que nous ne faisons rien ici
Que dormir, manger, boire et rire,
Bien disputer, mieux contredire,
Jouer gros argent, et qu’ainsi,
Sans à vos procès en rien nuire,
Que votre substitut Plessi
N’a garde de laisser détruire,
Vous devez, sans mais et sans si,
Nous rejoindre au plus tôt, gros sire.
Surtout n’ayez aucun souci
De n’y trouver pas de quoi frire.
Vous verrez cuisine reluire
Et briller office farci
De cent bouteilles de Tessi,
Et de tout ce qu’a su produire
Provence, et de meilleur élire
Pour régaler un prince3, si
Capable de la bien conduire.
L’huile, entre autres, a réussi
Si bien, qu’on s’en sert à tout cuire.
Croyez-nous bien fournis aussi
Des mets de ce bon pays-ci,
Et de tout ce que Rouen tire
Du chaud climat et du transi.

Et vous, cartésiens fameux,
Sur ce comète tant affreux,
Montrez-nous ce qu’eut fait Descartes,
De peur que son choc désastreux
Ne mît tout notre monde en deux,
N’eût-il point eu les fièvres quartes ?
Qu’en pense le monde peureux ?
Est-ce aux buveurs, vuideurs de quartes,
Aux nez rouges et lumineux,
Ou plutôt aux beaux doucereux
Bien perruqués, mangeurs de tartes,
Qu’en veut cet astre aux longs cheveux ?
Qu’en dit Morin, le songe-creux ?
L’envoye-t-il brouiller les cartes
Chez les Sarmates ? Est-ce entre eux
Et les fiers descendants des Parthes
Qu’il doit laisser tomber ses feux ?

Moi, qui sais qu’il ne mord ni rue,
Non plus que fortune ou destin,
Je ne vous en parle qu’afin
De mieux savoir de vous l’issue
Du dîner où, sans retenue,
Picard4 vous aura dans le vin
Dit la vérité toute nue.
Contez-nous donc votre festin
Si du Parnasse astronomin
La troupe en parut fort émue.
Le grand Huygens et Cassin5
Ont-ils sué soir et matin
À luneter, malgré la nue,
Dans tout l’Olympe cristallin ?
Sa hauteur au juste ont-ils vue ?
Ont-ils pu, depuis sa venue,
Suivre sa marche et son chemin ?
Vous aurez vu l’ami Turlin,
Que de bien bon cœur je salue.
Pour le voir, le bon Rondelin6,
Point n’est besoin de longue vue.
Si l’avez vu, lui qui n’est grue
Ni télescopier7 grimelin,
Vous en aura dit tout le fin.
Mais adieu : trop rimer me tue.



1. Le dialogue de Lucien intitulé Toxaris traite de l’amitié. (S.-Marc.)

2. Rabelais.

3. Le duc de Vendôme. Cette lettre est écrite d’Anet.

4. Astronome célèbre.

5. Cassini.

6. Nom burlesque et forgé, pour signifier un homme fort gros. (S.-Marc.)

7. Autre mot forgé, pour dire qui se sert de télescope, de lunettes de longue vue. (S.-Marc.)