Stances sur une éclipse de soleil

Stances sur une éclipse de soleil
Chapelle


STANCES SUR UNE ECLIPSE DE SOLEIL.

Quel moyen de s’en dispenser ?
J’allois tout de bon commencer
À vous composer sur l’éclipse
Un livre plus gros et plus long
Qu’un des tomes de Juste-Lipse,
Tout rempli d’un savoir profond,
En beau style d’Apocalypse,

Quand Pallas, la sage pucelle,
Qui m’aime de bonne amitié,
S’apparut à moi toute telle
Qu’elle est au ciel dans sa ruelle
Sur l’estrade et tapis de pié.
Eh quoi, pauvre innocent ! dit-elle,
Vraiment tu me fais grand’pitié
D’aller perdre ainsi la cervelle,
Rêvant à cette bagatelle
Plus qu’il ne faut de la moitié.

Surprise des impertinences
Que l’on débite en ce bas lieu,
J’y viens faire des remontrances
À ces fous qui, sans connoissances,
Raisonnant comme il plaît à Dieu,
Gâtent mes plus belles sciences ;
Et, pour l’éclipsé à quoi tu penses,
Je te vais faire voir en peu
Que ces forgeurs d’extravagances
Tirent cent fausses conséquences
D’une chose qui n’est qu’un jeu.

Sache que ce jour-là mon père
Fit à déjeuner si grand’chère,
Et trouva si bon le nectar,
Que Môme, le dieu des Sornettes,
Le voyant être un peu gaillard
Et dans ses humeurs de goguettes,
Lui proposa que les planètes
Jouassent à Colin-Maillard.

« À Colin-Maillard ! dit le maître
Du char brillant et lumineux.
Si, par malheur, je l’allois être,
Tous les hommes sont si peureux
Qu’ils se croiroient morts quand mes feux
Commenceroient à disparoître.
Chacun fermeroit sa fenêtre,
Et Morin, le plus fou d’entre eux,
En prédiroit quelque bicêtre1  ».

« Quoi ! tu veux conclure par là,
Répond le grand dieu qui foudroie,
Qu’un fat pourra troubler ma joie ?
Que m’importe s’il en fera
Des contes de ma mère l’Oie ?
Je jure Styx, dont l’eau tournoie
Dans le pays de Tartara,
Qu’à Colin- Maillard on jouera.
Sus, qu’on tire au sort, et qu’on voie
Qui de vous autres le sera ».

Le bon Soleil l’avoit bien dit :
Il le fut, selon son présage.
Toute la compagnie en rit ;
Et, sans différer davantage,
Aussitôt la Lune s’offrit
À lui bien couvrir le visage ;
Ce que volontiers on souffrit,
Attendu l’étroit parentage.

Le reste, vous l’avez pu voir.
Chacun put lors s’apercevoir
Que l’on ne voyoit presque goutte ;
Et, sans la Lune, qui sans doute
Ne fit pas trop bien son devoir,
Le Soleil faisoit banqueroute,
Le matin devenoit le soir ;
Vous étiez tous au désespoir,
Croyant la nature en déroute ;
Et pas un n’eût pu concevoir
Que nous autres là-haut, sur la céleste voûte,
Ne faisions que crier : Gare le pot au noir.



1. Jean-Baptiste Morin, professeur royal en philosophie et célèbre mathématicien, fort entêté de l’astrologie judiciaire. (S.-Marc.)