Lettre 777, 1680 (Sévigné)

1680

777. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 31e janvier.

Je ne puis plus voir sans chagrin de votre écriture : je sais le mal que cela vous fait, et quoique vous me mandiez les choses du monde les plus aimables et les plus tendres, je regrette d’avoir ce plaisir aux dépens de votre poitrine ; je vois bien que vous en êtes encore incommodée : voici une longue bouffée, et sans autre cause que votre mal même ; car vous dites que le temps est doux, vous ne vous fatiguez point du tout, vous écrivez moins qu’à l’ordinaire : d’où vient donc cette opiniâtreté ? Vous vous taisez là-dessus, et Montgobert a la cruauté d’avoir la plume à la main, et de ne m’en pas dire un mot. Bon Dieu ! qu’est-ce que tout le reste ? et quel intérêt puis-je prendre à toute la joie de votre ville d’Aix, quand je vois que vous êtes couchée à huit heures ? « Vous voulez donc, me direz-vous, que je veille et que je me fatigue ? » Non, ma très-chère : Dieu me garde d’avoir une volonté si dépravée ! mais vous n’étiez pas ici hors d’état de prendre quelque part à la société. J’ai vu enfin M. de Gordes ; il m’a dit bien sincèrement que dans le bateau vous étiez très-abattue et très-languissante, et qu’à Aix vous 1680 étiez bien mieux ; mais avec la même naïveté il assure que tout l’air de Provence est trop subtil, et trop vif, et trop desséchant pour l’état où vous êtes. Quand on se porte bien, tout est bon ; mais quand on a la poitrine attaquée, qu’on est maigre, qu’on est délicate, on se met en risque de ne pouvoir plus se rétablir. Ne me dites plus que la délicatesse de votre poitrine égale nos âges ; ah ! j’espère que Dieu n’aura pas dérangé un ordre si naturel, si agréable et si délicieux pour moi.

Il faut reprendre le fil des nouvelles, que je laisse toujours un peu reposer quand je traite le chapitre de votre santé. M. de Luxembourg a été deux jours sans manger ; il avoit demandé plusieurs pères jésuites[1], on lui a refusés[2] ; il a demandé la Vie des Saints, on lui a donnée : il ne sait, comme vous voyez, à quel saint se vouer. Il fut interrogé quatre heures vendredi ou samedi, je ne m’en souviens pas[3] ; ensuite il parut fort soulagé, et soupa. On croit qu’il auroit mieux fait de mettre son innocence en pleine campagne[4], et de dire qu’il reviendroit quand ses juges naturels, qui sont le parlement, le feroient revenir[5]. Il fait grand tort à la duché[6] en reconnoissant cette chambre ; mais il a voulu obéir aveuglément à Sa Majesté. M. de Cessac[7] a suivi l’exemple de Madame la 1680 Comtesse[8]. Mmes de Bouillon et de Tingry furent interrogées lundi à cette chambre de l’Arsenal. Leurs nobles familles les accompagnèrent jusqu’à la porte ; il n’y paroît pas jusqu’ici qu’il y ait rien de noir à leurs sottises[9] ; il n’y a pas même du gris brun. Si on ne trouve rien de plus, voilà de grands scandales qu’on auroit pu épargner à des personnes de cette qualité. Le maréchal de Villeroi dit que ces messieurs et ces dames ne croient pas en Dieu, et qu’ils croient au diable. Vraiment on conte des sottises ridicules de tout ce qui se passoit chez des coquines de femmes[10]. La maréchale de la Ferté, qui est si bien nommée, alla par complaisance[11] avec Madame la Comtesse, et ne monta point en haut[12] ; Monsieur de Langres[13] étoit avec elle ; voilà qui est bien noir : cette

1680 affaire lui donne un plaisir qu’elle n’a pas ordinairement ; c’est d’entendre dire qu’elle est innocente[14]. La duchesse de Bouillon alla demander à la Voisin un peu de poison pour faire mourir un vieux mari qu’elle avoit qui la faisoit mourir d’ennui[15], et une invention pour épouser un jeune homme qui la menoit sans que personne le sût[16]. Ce jeune homme étoit M. de Vendôme, qui la menoit d’une main, et M. de Bouillon[17] de l’autre ; et de rire. Quand une Mancine[18] ne fait qu’une folie comme celle-là, c’est donné ; ces sorcières vous rendent cela sérieusement, et font horreur à toute l’Europe d’une bagatelle. Mme la comtesse de Soissons[19] demandoit si elle ne 1680 pourroit point faire revenir un amant qui l’avoit quittée : cet amant étoit un grand prince ; et on dit qu’elle dit[20] que s’il ne revenoit à elle, il s’en repentiroit : cela s’entend du Roi, et tout est considérable sur un tel sujet. Mais voyons la suite : si elle a fait de plus grands crimes, elle n’en a pas parlé[21] à ces gueuses-là. Un de nos amis dit qu’il y a une branche aînée au poison, où l’on ne remonte point, parce qu’elle n’est pas originaire de France ; ce sont ici des petites branches de cadets qui n’ont pas des souliers. La Tingry[22] fait imaginer quelque chose de plus important, parce qu’elle a été maîtresse des novices. Elle dit : « J’admire le monde ; on croit que j’ai couché avec M. de Luxembourg, et que j’ai eu des enfants de lui[23] : hélas ! Dieu le sait. » Enfin, le ton d’aujourd’hui, c’est

1680 l’innocence des nommées, et l’horreur du scandale[24] ; peut-être que demain ce sera le contraire. Vous connoissez ces sortes de voix générales ; je vous en instruirai fidèlement ; on ne parie d’autre chose dans toutes les compagnies[25] ; en effet il n’y a guère d’exemples d’un pareil scandale dans une cour chrétienne. On dit que cette Voisin mettoit dans un four tous les petits enfants dont elle faisoit avorter, et M. de Coulanges[26], comme vous pouvez penser, ne manque pas de dire, en parlant de la Tingry[27], que c’était pour elle que le four chauffoit.

Je causai fort hier avec M. de la Rochefoucauld, sur un chapitre que nous avions déjà traité[28]. Rien ne vous presse pour écrire ; mais il vous conjure de croire que la chose du monde où il a le plus d’attention[29], seroit de pouvoir contribuer à vous faire changer de place, s’il arrivoit le moindre mouvement dans celles qui vous conviennent[30]. Je n’ai jamais vu un homme si obligeant ni plus aimable, dans l’envie qu’il a de dire des choses agréables[31].

Voici ce que j’apprends de bon lieu : Mme de Bouillon 1680 entra comme une petite reine dans cette Chambre ; elle s’assit dans une chaise qu’on lui avoit préparée ; et au lieu de répondre à la première question, elle demanda qu’on écrivît ce qu’elle vouloit dire ; c’étoit : Qu’elle ne venoit là que par le respect qu’elle avoit pour l’ordre du Roi, et nullement pour la Chambre, qu’elle ne reconnoissoit point, et qu’elle ne prétendoit point déroger[32] au privilège des ducs. Elle ne dit pas un mot que cela ne fût écrit ; et puis elle ôta son gant, et fit voir une très-belle main ; elle répondit sincèrement jusqu’à son âge. « Connoissez-vous la Vigoureux[33] ? — Non. — Connoissez-vous la Voisin ? — Oui. — Pourquoi voulez-vous vous défaire de votre mari ? — Moi, m’en défaire[34] ! 1680 Vous n’avez qu’à lui demander s’il en est persuadé : il m’a donné la main jusqu’à cette porte. — Mais pourquoi

1680 alliez-vous si souvent chez cette Voisin ? — C’est que je voulois voir les sibylles qu’elle m’avoit promises ; cette compagnie méritoit bien qu’on fît tous les pas. » Si elle n’avoit pas montré[35] à cette femme un sac d’argent ? Elle dit que non, par plus d’une raison, et tout cela d’un air fort riant et fort dédaigneux. « Eh bien Messieurs, est-ce là tout ce que vous avez à me dire ? — Oui, Madame. » Elle se lève, et en sortant, elle dit tout haut : « Vraiment, je n’eusse jamais cru que des hommes sages pussent demander tant de sottises. » Elle fut reçue de tous ses amis, parents et amies[36] avec adoration, tant elle étoit jolie, naïve, naturelle, hardie, et d’un bon air, et d’un esprit tranquille.

Pour la Tingry, elle n’étoit pas si gaillarde. M. de Luxembourg est entièrement déconfit : ce n’est pas un homme, ni un petit homme, ce n’est pas même une femme, c’est une petite femmelette[37]. « Fermez cette fenêtre ; allumez du feu ; donnez-moi du chocolat ; donnez-

1680 moi ce livre ; j’ai quitté Dieu, il m’a abandonné. » Voilà ce qu’il a montré à Bezemaùx et à ses commissaires, avec une pâleur mortelle. Quand on n’a que cela à porter à la Bastille, il vaut bien mieux gagner pays, comme le Roi, avec beaucoup de bonté, lui en avoit donné les moyens jusqu’au moment qu’il s’est enfermé ; car il y a quinze jours qu’il savoit le décret qui étoit contre lui[38] ; mais il en faut revenir malgré soi à la Providence : il n’étoit pas naturel de se conduire comme il a fait, étant aussi foible qu’il le paroît[39]. Je me trompois, Mme de Meckelbourg ne l’a point vu ; et la Tingry, qui revint avec lui de Saint-Germain, n’eut pas la pensée, ni lui aussi[40], de donner le moindre avis à Mme de Meckelbourg : il y avoit du temps de reste ; mais elle l’obsédoit si entièrement qu’il ne connoissoit qu’elle, et elle éloignoit tout le monde de lui[41]. J’ai vu cette Meckelbourg aux filles du Saint-Sacrement[42], où elle s’est retirée. Elle est très-affligée, et se plaint fort de la Tingry, qu’elle accuse de tous les malheurs de son frère. Je lui dis que je lui faisois par avance tous vos compliments, que vous seriez fort touchée[43] de son malheur ; elle me dit mille douceurs pour vous. On pourroit faire présentement tout ce qu’on voudroit dans Paris, qu’on n’y penseroit pas : on a oublié Mme de Soubise, et l’agonie de cette pauvre Bertillac ; en vérité je ne sais comme cela va. Je veux pourtant penser à ma pauvre petite d’Adhémar ; la pauvre enfant, que je la plains d’être jalouse ! Ayez-en pitié, ma fille, j’en suis touchée.


  1. Lettre 777 (revue en très-grande partie sur une ancienne copie). — 1. « Plusieurs jésuites. » (Édition de 1754.) — Cette lettre ne se trouve pas dans l’édition de 1734.
  2. 2. « On les lui a refusés ; » à la ligne suivante : « on la lui a donnée. » (Édition de 1754.)
  3. 3. Il fut interrogé pour la première fois le vendredi 26 janvier. (Note de l’édition de 1818.)
  4. 4. Campagne est la leçon de 1754. Notre manuscrit donne : « en pleine compagnie. »
  5. 5. « Quand ses juges naturels le feroient revenir. » (Édition de 1754.)
  6. 6. « Au duché. » (Ibidem.)
  7. 7. Le Sage déclara, dans l’interrogatoire qu’il subit le 28 octobre 1679, que le marquis de Cessac lui avait demandé anciennement un secret pour gagner au jeu du Roi ; que, sur son refus, il se réduisit à solliciter des secrets pour jouer avec le public et avec le roi d’Angleterre. Le Sage ajoute qu’il lui demanda aussi les moyens de se défaire du comte de Clermont, son frère, et d’entretenir sa belle-sœur dans les dispositions favorables qu’elle lui témoignait. Ce misérable entre ensuite dans le détail des absurdités superstitieuses à l’aide desquelles il amusait la crédulité du marquis, et tirait de lui des sommes considérables. La fuite du marquis de Cessac donne quelque poids à ces accusations ; il rentra en France dix ans après, et un arrêt du conseil d’État, du 26 août i691, le renvoya devant la chambre saisie de l’affaire de la marine de Bourgogne, pour y purger sa contumace. Il paraît que l’arrêt lui fut favorable, car, entré à la Bastille le 4 septembre 1691, il fut mis en liberté le 25 juillet 1692. (Note de l’édition de 1818.) — Voyez tome II, p. 113, note 4.
  8. 8. La comtesse de Soissons.
  9. 9. « Il ne paroît pas jusqu’ici qu’il y ait rien de noir aux sottises qu’on leur impute. » {Édition de 1754.)
  10. 10. « Des choses ridicules de tout ce qui se passoit chez ces abominables femmes. » (Ibidem.)
  11. 11. Chez la Voisin.
  12. 12. « Et ne monta point. » (Édition de 1754.)
  13. 13. Louis-Marie-Armand de Simiane de Gordes, évêque de Langres de 1674 à 1695.
  14. 14. La maréchale de la Ferté, la comtesse d’Olonne, et Angélique de la Mothe-Houdancourt, duchesse de la Ferté, belle-fille de la maréchale, étaient au nombre des femmes les plus galantes de ce temps. On lit ce qui suit dans les Mélanges de l’abbé de Choisy, qui n’ont pas été publiés : « Le maréchal de la Ferté étoit à l’agonie ; sa femme, sa belle-fille, sa belle-sœur étoient autour de lui et crioient : « Monsieur le maréchal, Monsieur le maréchal, nous connoissez-vous bien ? Serrez-nous la main, dites-nous qui nous sommes. » Le bonhomme, fatigué de leurs criailleries, rappela ses esprits, et leur dit : « Vous êtes des… » On faisoit ce conte à Mme Cornuel, qui dit : « On peut juger que le maréchal avoit encore toute sa raison. » (Note de l’édition de 1818.) — « Sa vie débordée, dit Saint-Simon de la maréchale…, l’avoit exclue du commerce de presque toutes les femmes, dont fort peu, même décriées, l’osoient voir. » (Addition au Journal de Dangeau, tome XV, p. 100.)
  15. 15. « Un vieux et ennuyeux mari qu’elle avoit. » (Édition de 1754.)
  16. 16. « Un jeune homme qu’elle aimoit. » (Ibidem.)
  17. 17. Son mari.
  18. 18. Une Mancini. Notre manuscrit a l’étrange leçon machine. Mme de Sévigné avait probablement écrit Manchine, comme Malherbe écrit Conchin et Conchine pour Concini. Voyez le tome III de l’édition de M. Lalanne, p. 29 et note 5.
  19. 19. La Voisin déclare, dans l’interrogatoire qu’elle a subi sur la sellette le 17 février, deux jours avant sa condamnation, « qu’il est vrai que Mme la comtesse de Soissons est venue chez elle une fois avec la dame maréchale de la Ferté et la demoiselle de Fouilloux (depuis marquise d’Alluye) ; qu’elle répondante regarda à la main de ladite dame comtesse de Soissons, et qu’elle lui dit… qu’elle avoit été aimée d’un grand prince, et que lors ladite dame lui demanda si cela reviendroit, et lui ajouta qu’il falloit bien que cela revînt d’une façon ou d’une autre, et qu’elle pousserait la chose sur l’un et sur l’autre ; et ne sut, elle répondante, que c’étoit ladite dame comtesse de Soissons que par ladite demoiselle de Fouilloux, qui le lui dit, et qui lui demanda si ladite dame comtesse de Soissons réussiroit dans son dessein, et si elle viendroit à bout de ses amitiés ; qu’il est vrai que ladite dame de Soissons lui dit qu’elle porteroit sa vengeance plus loin et sur l’un et sur l’autre, et jusqu’à s’en défaire… et que, lorsque ladite dame lui dit ces choses, elle ne savoit pas encore qu’elle fût la comtesse de Soissons, et ne l’a point vue depuis, ni ouï parler. » (Note de l’édition de 1818.)
  20. 20. « Et on assure qu’elle dit. » (Édition de 1754.)
  21. 21. Le manuscrit donne porté, au lieu de parlé ; deux lignes plus bas : « tout ceci, » pour : « ce sont ici. » Le texte de Perrin porte : « de cadets… de souliers. »
  22. 22. Après avoir imprimé en toutes lettres plus haut (p. 229) le nom de Tingry, Perrin n’en donne plus ici, et jusqu’à la fin de la lettre, que l’initiale.
  23. 23. « On croit que j’ai eu des enfants de M. de L. » (Édition de 1754.)
  24. 24. « De la diffamation. » (Édition de 1754.)
  25. 25. « On ne parle ici d’autre chose. » (Ibidem.)
  26. 26. « Mme de Coulanges. » (Ibidem.)
  27. 27. L’historien du maréchal de Luxembourg dit positivement que l’on accusait ce duc d’avoir employé les maléfices pour obtenir les bonnes grâces de sa belle-sœur. ( Histoire de Montmorency, tome V, p. 66.) On voit aussi dans la Correspondance de Bussy, tome V, p. 45, que l’on accusait Mme de Tingry du crime d’infanticide. (Note de l’édition de 1818.)
  28. 28. Voyez la lettre du 26 janvier précédent, p. 219.
  29. 29. « Qui le toucheroit le plus. » (Édition de 1754.)
  30. 30. Dans le manuscrit : « de pouvoir vous faire contribuer à changer de place. » Après changer de place, l’impression de 1754 donne simplement : « si l’occasion s’en présentoit. »
  31. 31. Cette phrase est ainsi abrégée dans l’édition de 1754 : « Je n’ai jamais vu un homme si obligeant ni si aimable. »
  32. 32. « Qu’elle ne reconnoissoit point, ne voulant point déroger. » (Édition de 1754.)
  33. 33. Marie Vandon, femme de Mathurin Vigoureux, tailleur pour les habits de femme, convaincue de poison, fut condamnée à être brûlée, par arrêt de la chambre de l’Arsenal ; elle fut exécutée. (Note de l’édition de 1818.)
  34. 34. Dans l’édition de 1754 : « Pourquoi vouliez-vous vous défaire de votre mari ? — Moi, me défaire ! » Le Sage accusait la duchesse de Bouillon d’avoir demandé la mort de son mari, afin d’épouser le duc de Vendôme. La Voisin ne la chargea pas ; elle dit, dans son interrogatoire sur la sellette, que la duchesse n’avoit été amenée chez elle que par la curiosité. Au resté Mme de Bouillon ne fut pas aussi triomphante devant ses juges qu’elle se plut ensuite à le répandre ; on ne lira pas sans intérêt un extrait textuel de l’interrogatoire qu’elle subit à la chambre de l’Arsenal, le lundi 29 janvier 1680. (Voyez les Mémoires historiques sur la Bastille. Londres (Paris), Buisson, 1789, tome I, p. 127 et suivantes.) Elle déclare « qu’il est bien vrai que ladite Voisin vint un jour chez elle répondante, et qu’elle lui dit que, sur la connoissance qu’elle avoit qu’elle étoit curieuse, elle dite Voisin venoit lui dire qu’elle avoit un très-habile homme chez elle, qui savoit faire des merveilles ; ce qu’elle répondante ayant dit, à quelques jours de là, à M. le duc de Vendôme, au marquis de Ruvigny, à l’abbé de Chaulieu et à la dame de Chaulieu, ils dirent qu’il falloit aller voir cet homme ; et un jour qu’elle répondante avoit dessein de s’aller promener, elle fit mettre six chevaux à son carrosse, et, y étant, il fut proposé par quelqu’un d’aller voir cet homme qui étoit chez la Voisin, et, y étant allés de compagnie, elle répondante demanda à ladite Voisin si l’homme dont elle lui avoit parlé étoit chez elle, et ladite Voisin lui ayant dit qu’il y étoit, elle fit venir un homme, qu’elle répondante a su depuis s’appeler le Sage, dans un cabinet où M. de Vendôme fut lui parler ; et, ledit le Sage lui ayant dit qu’il ne pouvait faire ce qu’il savoit qu’en la présence d’une seule personne, ledit sieur duc de Vendôme le vint dire à elle répondante, qui lui dit qu’étant venue audit lieu, elle vouloit avoir part et être présente à ce que ledit le Sage proposoit de faire… Et en effet, étant passée au lieu où étoit ledit le Sage, elle lui demanda ce qu’il savoit faire d’extraordinaire, et ledit le Sage lui ayant dit qu’il feroit brûler en sa présence un billet, et qu’après cela il le feroit retrouver où elle voudroit, et elle répondante lui ayant dit sur cela qu’il n’en falloit pas davantage, ledit le Sage lui dit qu’il falloit écrire quelques demandes ; sur quoi M. le duc de Vendôme en écrivit deux, dont l’mie étoit pour savoir où étoit alors M. le duc de Nevers, et l’autre si M. le duc de Beaufort étoit mort : lequel billet ayant été cacheté, ledit le Sage le lia avec du fil ou de la soie, et y mit du soufre avec quelques enveloppes de papier ; après quoi M. de Vendôme prit ledit billet, qu’il fit brûler lui-même en la présence d’elle répondante, sur un réchaud, dans la chambre de la Voisin, et après cela ledit le Sage dit à elle répondante qu’elle retrouveroit ledit billet brûlé dans une porcelaine chez elle, ce qui n’arriva pas néanmoins. Mais deux ou trois jours après ledit le Sage vint chez elle répondante, et lui rapporta ledit billet, ce qui la surprit extrêmement, et de le voir cacheté comme il étoit, et au même état que lorsqu’il fut remis audit le Sage. Se souvient elle répondante, qu’en sortant de chez ladite Voisin, elle donna une pistole à ladite Voisin, et M. de Vendôme une pistole audit le Sage ; et elle répondante ayant fait le récit à M. de Vendôme et auxdits sieurs de Ruvigny et de Chaulieu dudit billet que le Sage lui avoit rapporté, ils eurent peine à le croire, et dirent que cela ne pouvoit être, et qu’il falloit obliger ledit le Sage d’en brûler un autre, et de le retrouver ; ce qui obligea elle répondante d’envoyer chercher ledit le Sage, qui vint chez elle, et où il fut écrit un autre billet par quelqu’un de ceux qui y étoient la première fois, dans lequel billet ledit le Sage dit qu’il falloit mettre deux pistoles pour les sibylles, lesquelles lui furent données, et le billet fut ensuite brûlé comme la première fois, et ledit le Sage ayant dit qu’il le feroit retrouver aussi bien que l’autre, il se retira, et elle répondante envoya depuis plusieurs fois chez ledit le Sage, et y passa elle-même. Mais ledit le Sage, après plusieurs excuses, vint trois ou quatre jours après chez elle répondante, où il lui dit que les sibylles étoient empêchées, et qu’il n’avoit pas pu lui rendre réponse ; depuis ce temps-là, elle répondante n’a pas vu ledit le Sage, et elle trouva la chose si ridicule qu’elle la récita à plusieurs personnes, et l’écrivit même à M. le duc de Bouillon, son mari, qui étoit à l’armée. — Interrogée s’il n’est pas vrai qu’elle écrivit un billet qu’elle mit entre les mains dudit le Sage, et qui fut cacheté pour être brûlé, dans lequel elle demandoit la mort de M. de Bouillon, son mari ? a dit que non, et que la chose est si étrange, qu’elle se détruit d’elle-même. » (Copié sur la minute signée : Marianne de Mancini, duchesse de Bouillon, Bazin, et de la Reynie.) (Note de l’édition de 1818.)
  35. 35. « N’avez-vous pas montré. » (Édition de 1754.)35. « N’avez-vous pas montré. » (Édition de 1754.)
  36. 36. « De tous ses parents, amis et amies. » (Ibidem.)
  37. 37. « Une vraie femmelette. » (Ibidem.)
  38. 38. Ce membre de phrase manque dans le texte de 1754.
  39. 39. Perrin met ici en note la réflexion suivante : « Mme de Sévigné semble avoir, dans ce moment, adopté les bruits ridicules qui couroient sur le sujet de M. de L. Cependant étoit-il croyable qu’une âme comme la sienne fût susceptible des petites misères qui lui étoient attribuées ? et ne falloit-il pas y apercevoir la conduite ordinaire de l’envie et de la malignité, qui, du vivant des hommes du premier ordre, s’appliquent sans cesse à donner quelque atteinte à leur réputation ? »
  40. 40. « Non plus que lui. » (Édition de 1754.)
  41. 41. Mais la T. éloignoit tout le monde de lui, et l’obsédoit au point qu’il ne connoissoit plus qu’elle. » (Ibidem.)
  42. 42. Il y avait deux couvents de filles du Saint-Sacrement : l’un, depuis 1669, dans la rue Cassette (c’est probablement celui dont il est question ici), et l’autre près de la porte Montmartre, dans une maison de la rue des Jeux-Neufs (des Jeûneurs), qu’elles quittèrent cette année-là même. Ces dernières occupèrent plus tard l’hôtel de Turenne.
  43. 43. « Je lui fis par avance tous vos compliments, l’assurant que vous seriez fort touchée, etc. » {Édition de 1754.)