Lettre 327, 1673 (Sévigné)

Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 222-224).
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1673

327. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DE CORBINELLI AU COMTE DE BUSSY RABUTIN.

Un mois après avoir écrit cette lettre, je reçus celle-ci de Mme de Sévigné.
À Grignan, ce 23e août 16731[1].
de madame de sévigné.

En vérité, mon cousin, je suis fort aise que vous soyez à Paris[2]. Il me semble que c’est là le chemin d’aller plus loin, et je n’ai jamais tant souhaité de voir aller quelqu’un à de grands honneurs, que je l’ai souhaité pour vous, quand vous étiez dans le chemin de la fortune. Elle est si extravagante, qu’il n’y a rien qu’on ne puisse attendre de son caprice ; ainsi j’ai toujours un peu d’espérance.

Vous avez tant de philosophie, que l’un de ces jours je vous prierai de m’en faire part, pour m’aider à soutenir vos malheurs et mes chagrins[3].

Je me console de ne vous point voir à Bourbilly, puisque je vous verrai à Paris. Je voudrois bien que ma fille vous y pût faire son compliment elle-même ; mais dans l’incertitude elle vous le fait ici, elle et M. de Grignan.

de corbinelli.

Vous croyez bien, Monsieur, que je ne suis pas le dernier de vos serviteurs à prendre une bonne part à la petite douceur que le Roi vous a faite. M. de Vardes ne l’a jamais pu obtenir pour deux mois seulement à la mort de son oncle[4], ce qui me fait juger que son affaire tient plus au cœur du Roi que la vôtre[5]. Pendant votre séjour de Paris, je vous conseille de vous faire instruire de la philosophie de Descartes : Mlles  de Bussy l’apprendront plus vite qu’aucun jeu. Pour moi, je la trouve délicieuse, non seulement parce qu’elle détrompe d’un million d’erreurs où est tout le monde, mais encore parce qu’elle apprend à raisonner juste. Sans elle nous serions morts d’ennui dans cette province.

Les vers que vous me faites l’honneur de m’envoyer[6] sont très-bons et très-justes. Je vous montrerai aussi mes traités de rhétorique, de poétique et de l’art historique ; je les ai faits sur les préceptes des meilleurs maîtres, mais je crois, plus intelligiblement et plus succinctement qu’eux. Je ne douterai point de leur bonté s’ils parviennent à vous plaire.

J’estime fort votre résignation : on est bien heureux, quand on a autant de mérite que vous en avez, de se passer des récompenses des rois courageusement et sans chagrin. Je m’imagine que vous dites assez souvent comme Horace :

Et mea me virtute involvo[7],

Je m’enveloppe de ma vertu.


  1. Lettre 327. — 1. Dans le manuscrit de l’Institut, cette réponse à la lettre du 27 juillet est datée du 27 août, et précédée de l’introduction suivante, qui ne s’accorde point avec la nôtre : « Mes affaires ne m’ayant pas permis de partir de Bussy aussitôt que je l’aurois voulu, j’y reçus encore cette lettre de Mme de Sévigné le 10e de septembre. »
  2. 2. Mme de Sévigné l’y croyait déjà. Il n’y arriva, avec sa famille, que le 16 septembre. Pour corriger cette inexactitude, il a ainsi modifié la fin de la phrase dans la copie de l’Institut : « que vous ayez permission d’aller à Paris. »
  3. 3. Cette phrase est un peu différente dans le manuscrit de l’Institut : « Je vous prierai de m’envoyer un peu de votre courage pour soutenir vos malheurs et mes chagrins, car tout le monde en a, ce me semble. » La lettre de Mme de Sévigné s’y termine par ces mots : « Elle vous le fait ici, elle et M.  de Grignan aussi. »
  4. 4. Claude, marquis de la Bosse, frère puîné du père de Vardes, était mort sans postérité en 1671.
  5. 5. Voyez tome II, p, 98, note 3.
  6. 6. Les vers de Mlle du Pré. Voyez la fin de la lettre précédente de Bussy.
  7. 7.

    Et mea
    Virtute me involvo

    (Ode xxix du livre III, v. 54 et 55.)

    — La citation n’est pas traduite dans le manuscrit de l’Institut.