Les vieux rois (Verhaeren)

PoèmesSociété du Mercure de France (p. 39-40).

LES VIEUX ROIS


Hommes stérilisés par des siècles d’ennui
Et de virginités posthumes et pourries :
Vos mains ? du fer ; vos cœurs ? du bronze et de la nuit.
Et vos ongles et vos deux yeux ? des pierreries.

Immobiles soleils, étincelants et noirs,
Assis sur des trônes d’ébène, armés de gloire
Et d’or. Masques rêveurs et grands comme les soirs,
Et calcinés comme les rocs d’un promontoire.

Vieillards redoutables et vieux comme les mers,
Qui regardez en vous pour voir toute la terre,

Qui n’interrogez point l’azur des cieux amers,
Et demeurez penchés sur votre seul mystère.

Les fers cruels flamboient et vous dardez comme eux,
Sous les mitres d’orgueil et sous les lances bleues,
Qui rayonnent vers vous leurs aciers vénéneux :
Et la terreur de votre front souffle à cent lieues.

Et vous restez muets, toujours. Un léopard
Lèche vos pieds bagués, et des femmes qu’on pare,
Pour vous distraire à les tuer d’un seul regard,
Tordent en vain vers vos désirs leur corps barbare.

Et votre cerveau sèche et demeure engourdi,
Lassé de visions de meurtre et de magie,
Et plus aucun vouloir en vous ne resplendit :
Et vous mourez tout seuls, un soir, dans une orgie.