Bibliothèque à cinq cents (p. 18-20).

CHAPITRE VI
FEU ET SABRE

Non seulement les sauvages se sentaient maîtres de ces deux captifs sans défense, mais aussi de l’éclaireur tant redouté qui avait tué les plus braves de leur tribu.

Un instant après, un véritable prince des plaines, le fils des héros des frontières, un revolver à chaque main et les dents serrées, bondissait par-dessus les taillis sur son magnifique cheval noir, maintenant couvert d’écume.

Son cri de guerre perçant retentit encore, et la flamme de deux coups de feu illumina la scène. Ses balles se logèrent dans la masse des Apaches, étourdis par le coup d’audace et de courage du jeune éclaireur.

Marion, tenant son enfant serré sur sa poitrine, courut se placer derrière le cheval de son mari ; les yeux de celui-ci s’illuminèrent de joie et de soulagement, car il venait de voir que sa femme et son enfant n’avaient pas encore succombé.

Pendant que son mari luttait ainsi contre la mort, Marion serrait son enfant plus étroitement et restait debout, sa pâle figure tournée vers le ciel, pendant que des prières montaient de ses lèvres tremblantes et décolorées.

La scène était terrible. Des frissons convulsifs secouèrent tout son être, et Marion ferma les yeux pour ne pas voir le spectacle horrible.

Les cris d’enfer et les hurlements des peaux rouges mêlés aux détonations des revolvers, le sifflement des balles et des flèches, le cri de guerre de Munroe et le hennissement du cheval qui piétinait les corps des Apaches tombés, tous ces sons semblaient figer le sang dans les veines de Marion, et la remplissaient d’une horreur indescriptible.

Il lui aurait été très facile de fuir pendant l’excitation du combat, elle aurait pu trouver une retraite dans quelque touffe d’arbres, mais elle restait clouée au sol et incapable de bouger. Elle savait, en outre, que son mari était dans les mains d’ennemis sans pitié, et la vie n’était plus rien pour elle. Au contraire la vie, dans ce cas, serait une torture sans fin.

Marion rouvrit les yeux au moment où un concert de cris triomphants retentissait à travers les voûtes naturelles d’arbres qui semblaient maintenant remplis de ces démons rouges.

Elle fut presque aveuglée par les flammes qui montaient à travers les arbres garnis de mousse, et qui illuminaient tout l’emplacement et le bois d’alentour d’une lueur sinistre. Sa chaumière était enveloppée de flammes.

Le spectacle était affreux. Les démons rouges dans leurs couleurs de guerre et avec leurs plumes flottantes dansaient follement autour d’elle.

Cette lumière aveugla d’abord Marion, et elle ne vit pas ce qu’il y avait en face d’elle, à peu de distance du lieu où elle se trouvait.

Quand son regard se porta vers l’endroit où son mari s’était élancé au milieu des Apaches, la pauvre femme voulut crier, mais un faible son sortit seul de ses lèvres desséchées. Ses yeux, paralysés d’horreur, exprimèrent encore l’angoisse la plus profonde, quand son regard tomba sur le corps ensanglanté du noir coursier et sur celui qui l’avait monté… son mari, le héros de tout à l’heure ! Oui, Munroe reposait là comme un cadavre, entouré par une dizaine de morts et de blessés.

Marion aie regarda qu’un instant ce lugubre tableau. Une main rouge se plaça sur son épaule, et comme si cet attouchement l’avait foudroyée, la malheureuse s’affaissa sur le sol.

Madison Munroe, sa femme, son enfant et son coursier, gisaient comme sans vie sur le gazon, en face de leur demeure encore si récemment toute pleine de charme.

La lueur de l’incendie de la chaumière jouant sur leurs figures et sur les cadavres des hideux Apaches barbouillés, illuminait en même temps les traits repoussants des survivants.

Ces derniers dansaient encore avec une joie diabolique et des hurlements de triomphe autour de la maison en feu de Madison Munroe.