Les tendres épigrammes de Cydno la Lesbienne/Texte entier
Bibliothèque des curieux, (p. 1-180).
VIE DE CYDNO
LA LESBIENNE
Ma vénérable amie Cydno de Mytilène s’est éteinte, le 23 juin 1910 (vieux style), dans ma bienheureuse patrie, la Rhodes ensoleillée d’Horace et de Martial.
Cydno la Lesbienne avait quarante-cinq ans, il y a huit lustres, quand son yacht Artémis, venant de Mytilène, jeta l’ancre dans notre port.
Elle se fit aussitôt bâtir un palais non loin de la villa de mes parents. Je naquis douze ans après son arrivée.
Elle avait déjà soixante-cinq ans lorsque nous commençâmes à causer en camarades, et elle m’étonna par sa beauté : elle avait conservé des traits purs, des dents éblouissantes, des lèvres rouges, une taille svelte, et la fraîcheur de ses joues contrastait avec ses cheveux blancs. Quant à ses yeux, ils me charmaient, en m’effrayant un peu.
Le « Palais du Souvenir » était une maison étrange : Ibykos est, si je ne me trompe, le seul mâle qui, durant vingt années de suite, en ait franchi le seuil ; on y rencontrait des servantes, toutes plus jolies les unes que les autres, qui avaient l’air d’adorer leur maîtresse et fuyaient mon regard d’enfant, puis de jouvenceau.
Je compris vite ce que cela voulait dire.
Il y avait une grande sympathie entre Cydno et moi, à cause de mes dispositions pour la musique.
La Lesbienne m’apprit à jouer du barbiton et à faire des vers. Elle m’inspira l’amour intransigeant de la beauté.
Quand j’eus mes treize ans, elle m’offrit, par un soir d’hiver aux souffles de printanière matinée, la plus jeune de ses parfumeuses, Amaryllis blanche et blonde. Mais je refusai la petite, en avouant que le brun Korydon aux bras forts possédait tout mon cœur.
Alors Cydno me sourit intimement, me fit asseoir à côté d’elle, sur un divan turc, et m’honora de confidences.
Elle me raconta comment, héritière d’un commerçant qui avait gagné une fortune fabuleuse à San-Francisco et à Changhaï, elle s’était plu à restaurer, vingt-sept années durant, dans sa Lesbos natale, l’enseignement de la divine Sapphô.
Jamais elle n’eût d’histoires avec une famille : elle faisait bien prononcer aux adeptes des vœux perpétuels, mais elle les renvoyait, dotées, dès l’âge de vingt ans. Et, avant de quitter Mytilène, elle répandit une pluie d’or, pour prendre congé.
Quelles soirées nous passâmes, Cydno et moi, en causeries esthétiques, sur la terrasse du Palais du Souvenir !
L’air, diaphane, sentait le jardin, le verger, le myrte, le lentisque et la forêt de pins murmurante.
On voyait les fleurs blanches et bleues de l’agnus-castus.
On entendait le dialogue du vent et du cyprès, le torrent, là-bas, entre les lauriers-roses, la fontaine, à nos pieds.
On écoutait les oracles des vieux corbeaux.
Puis, tout en buvant le raki au clair de la lune, on parlait : Cydno me disait le paradis lesbien, les bois pleins de fleurs et d’eau, les coteaux chargés de vignes, les vins innocents de Métymne et d’Érèse ; elle m’expliquait ses poètes favoris, Sapphô, Archiloque, Homère, Pindare, Alcée, Anacréon, Théocrite, Horace et Virgile.
Cydno avait pour âme une quintessence d’hellénisme : elle n’en comprenait pas moins le mérite et le charme personnels des deux inspirés latins. Elle appelait Horace « le sage des sages ». Elle proclamait que Virgile, romain et moderne, a fait les plus beaux vers, et aussi les plus touchants, de la littérature antique.
On achevait la nuit en sommeillant sur la terrasse, chacun de son côté.
Le 23 juin 1910 (vieux style) fut une de ces journées trop délicieuses qui provoquent la jalousie assassine de la mort.
Le soleil allait se coucher : la féerie occidentale commençait. Nous fumions des cigarettes de Sultane, fabriquées sur commande, avec un tabac spécial, par un magicien du Kaire, Cydno venait de me réciter deux Païdika de Théocrite. Sa voix brisée, mais suave encore à quatre-vingt-cinq ans, fredonnait :
Dulce ridentem Lalagen amabo,
dulce loquentem…
Tout à coup, ma vénérable amie se tut, laissa tomber sa cigarette et pencha la tête sur la poitrine.
Alors, je frappai trois fois ma paume droite avec les doigts de la main gauche et les servantes accoururent. Mais nous essayâmes vainement de réveiller Cydno.
La Lesbienne m’a légué ses derniers millions et ses manuscrits.
Son testament ordonnait de brûler sa dépouille : nous obéîmes. Ensuite, je mis moi-même la cendre dans un tombeau de porphyre, où je gravai cette épitaphe :
Profane, va-t’en ! Passant religieux, arrête-toi en songeant à la beauté, à l’amour, à la musique, à la poésie. L’âme qui divinisa la cendre ci-incluse avait ressuscité Sapphô tout entière, à Mytilène.
Mon ami Korydon, sculpteur, termine un sphinx en bronze qui symbolisera l’immortalité sur le tombeau de ma bienfaitrice.
Cydno, dans sa vieillesse, abhorrait notre époque : elle n’a donc point autorisé la publication de ses ouvrages. C’est pour mon plaisir égoïste qu’elle m’a légué ses odes, ses satires, ses épîtres, ses iambes et ses élégies.
Par bonheur, le testament ne spécifie pas l’interdiction en ce qui concerne le livre des Tendres Épigrammes qui, presque toutes, méritent amplement leur titre. Je profite de l’omission pour offrir aux délicates des deux mondes ce bréviaire de sapphisme.
La traduction est d’une exactitude scrupuleuse. Le tour en paraîtra-t-il français ? J’ose l’espérer : ma mère naquit en Champagne, j’ai flâné trois ans au quartier Latin et ici, dans mon île, je ne me lasse pas de relire, en compagnie d’un docte moine, mes auteurs de prédilection, Rabelais et Montaigne, Ronsard et Du Bellay.
I
LE SERMENT ET LA RÉCOMPENSE
Tout à l’heure, un soldat turc nous a provoquées en exhibant son priape de taureau. Mais nous avons dédaigné ce Barbare aux yeux lourds. Car nous faisions des projets d’avenir en montant la colline.
Une douzaine de mes petites élèves ouvraient ou fermaient la marche, deux à deux enlacées.
Moi, frôlant, de la main droite, le trésor de la rousse Déjanire et de la gauche les seins de Bérénice, je disais d’une voix sérieuse en regardant la lune :
— « Adorons Sapphô, notre maîtresse ! Jurons de rester inaccessibles au mâle humain !
« Sapphô qui m’inspire et m’écoute, la divine Psappha couronnée de violettes, préfère que nous gardions, toutes, notre virginité.
« Que si le désir d’être perforée tourmente, d’aventure, l’une de vous, petites, j’ai, dans ma maison féminine, des instruments d’élite qui soulageront la pauvre malade : un olisbos du père Aristophane, long, gros, élastique et couleur de cinabre, habite le tiroir secret de ma table de travail.
« En outre, les servantes dorlotent, à l’écurie, plusieurs ânons blancs du Kaire aux avantages enguirlandés de roses… »
Déjanire se pâme contre ma poitrine palpitante.
Bérénice oblige le majeur de ma main gauche à descendre.
Je continue :
— « Le culte de Sapphô nous donnera le bonheur. Tant que nous verrons la lumière, tant que nous respirerons l’air salubre de notre Lesbos natale, nous goûterons des passe-temps délicats, sur de moelleux coussins, parmi des soies de France et des mousselines.
« Jurons, petites ! Après, nous jetterons au vent la peur de vieillir, les regrets, les soucis, et nous boirons le vin de Cypre, sur la terrasse, devant la mer. »
Nous sommes de retour.
Mes élèves s’agenouillent autour de moi, sur une pelouse de mon parc.
Seule, je demeure debout. Mes yeux verts ne quittent point la lune imminente. Je profère d’une voix solennelle la formule du serment :
— « Sapphô, sublime et tendre, ô dixième muse, nous jurons de t’appartenir, mystiquement, et de rester fidèles à ta religion, jusque dans la mort ! »
Un chœur charmant répète mes paroles.
Mes élèves ont bien obéi. Cydno leur doit une récompense. Je m’écrie :
— « Debout, et soyez nues ! »
Puis, je m’agenouille à mon tour, un voluptueux instant, devant chacune d’elles.
II
L’INITIATION DE CHLOÉ
La pleine lune est la Sultane des environs de Mytilène.
Voici le songe d’un soir de la mi-été, à Lesbos.
Les étoiles ont pâli. Une splendeur mauve issue de Sélèné possède et transfigure le paysage.
Nous dansons, presque nues, sur la pelouse du Serment, une ronde lascive autour de Chloé, la nouvelle. Chloé n’a pas treize ans. Sa croupe de Ganymède contraste avec ses mamelles naissantes.
Elle a les yeux bandés. Elle brandit, mutine, un caducée fleuri de violettes.
Chloé s’écrie :
— « Halte ! »
La ronde s’arrête. Nos cœurs battent. Pensez donc ! Celle que va toucher la baguette donnera la première leçon à l’enfant. Quel plaisir ! Cette Chloé sent la cerise. Elle a la fraîcheur de la rose printanière.
Le sort favorise la souple Atalante.
Déjanire, jalouse, murmure :
— « Chloé a triché. Elle y voyait ! »
Mais nous éclatons de rire et je ramène tout le monde au logis, dans la grande salle d’amour.
Les lampes sont allumées. Le lit est prêt, au centre. Partout des roses, de toutes les nuances, vivantes ou effeuillées.
Entièrement nues maintenant, nous recommençons la ronde, plus lascive, presque furieuse, autour de l’initiation.
Quelle chevauchée !
Quels déhanchements !
Quels chatouillements des mamelons et des orteils !
Quelles étreintes, doctement graduelles, des cuisses et des bras !
Quels jeux du doigt et de la langue dardée !
Quels baisers où deux corps fervents fondent leurs deux âmes en une seule !
Chloé, frissonnante, soupire, trois fois de suite :
— « Je meurs ! Ah ! Je meurs ! Atalante ! Grâce ! Tu me tues, adorée ! »
La nouvelle a beaucoup de dispositions. Elle chevauche, à son tour, le professeur Atalante et celui-ci veut bien témoigner une satisfaction qui apparaît sincère.
La ronde est finie. Nous folâtrons, par couples, sur les tapis jonchés de roses, autour du lit sacré.
Le poids de la nuit tient closes les prunelles du vulgaire. Nous, les disciples de Sapphô, nous veillons jusqu’à l’aube.
Je fais passer à Chloé l’examen d’usage.
Rougissante mais résolue, elle s’applique à me montrer tout ce qu’Atalante vient de lui apprendre.
On vote. On la proclame reçue à l’unanimité, avec mention très honorable.
Puis, on termine la séance en se régalant de fraises des bois à la crème.
III
LE PANÉGYRIQUE D’HÉLÈNE
Chaste Hélène ! Ô ma favorite ! Ô gymnaste gracieuse ! Ô toi qui excelles à la poésie, à la grammaire, à la musique ! Ô toi qui t’endors sur mon épaule droite à la fin des banquets ! Je ne te changerais point, ô perle de Lesbos ! pour tout l’Empire des Sultans.
Tu es plus dorée que l’or.
Quand tu fais ta promenade solitaire, en baissant les yeux, dans le chemin des lauriers-roses, je voudrais être le collier de fleurs des champs qui frôle ton cou, le ruisseau qui mouille tes jambes, l’églantine qui se caresse à tes cheveux blonds.
Tu es la meilleure, la plus tendre et aussi la plus studieuse orpheline que le père Aristophane m’ait amenée jusqu’à présent.
Ta langue experte et ton regard pudique forment un contraste excitant.
Avec toi, c’est toujours la première leçon, une première leçon où — si blonde et pourtant toujours fraîche, toujours exempte de sueur, toujours inodore à l’endroit essentiel — tu fais souvent figure de professeur.
Hélène ! Ô ingénue dévoratrice ! Tes yeux gris, pailletés, me fascinaient hier, sous le berceau de vigne, quand nous lisions ensemble des vers d’Ibykos à Euryale. T’en ressouvient-il ?
Mais, qui donc t’offrit ce bouquet de violettes blanches ? Tu ignores la place où on en trouve…
Pardonne-moi, candide Hélène, au nom de nos douze pâmoisons réciproques de la nuit dernière !
Je suis jalouse et j’ai envie de t’étrangler.
IV
LE RÔLE D’ATALANTE
Active Chloé, j’avais tort de ne pas te prendre au sérieux.
Naguère, je m’amusais de toi en passant, l’esprit vers autre chose, comme d’une enfant vicieuse ou d’une poupée aphrodisiaque.
À présent, je devine le secret de ta frénésie taciturne et de ton regard sauvage.
Petite, je t’aime profondément et je te donnerais mon cœur s’il n’appartenait pas à la fille du pêcheur aveugle, Nausikaa.
Les bras de Nausikaa la robuste ont une vertu incomparable : dès qu’ils m’étreignent, dès qu’ils me touchent, dès que ma peau émue sent l’effleurement prometteur de leur force neigeuse, votre Cydno se meurt de jouissance.
Hélas ! Chloé, ma petite sœur en Sapphô, j’hésite et je souffre un peu.
Alors, j’ai recours à mes seules consolatrices, la poésie et la musique.
Je me réfugie dans la tonnelle aux glycines avec mon barbiton lesbien, et je chante, en m’accompagnant, ma dernière ode.
Puis, je m’en vais d’ici-bas, rêveuse, jusqu’à la minute aiguë où la souple Atalante se glisse sous ma flottante robe de pourpre et insinue son frais visage entre mes cuisses bientôt convulsives.
V
L’INTERVENTION DE NAUSIKAA
L’aube approche. La Pension Cydno semble dormir. Mes élèves se sont couchées deux à deux, trois à trois, après l’orgie en commun.
Moi, je veille encore, seule dans mon grand lit. J’attends Bérénice, qui m’a promis de me rejoindre.
Bérénice ne vient pas.
Hélène et Atalante l’avaient attirée dans leur chambre, sous prétexte d’ablutions et d’essai d’un parfum nouveau.
Les friponnes l’ont sans doute enfermée et la gardent.
Pauvre et bienheureuse Bérénice ! Aujourd’hui, ses yeux seront largement cernés, ses mains trembleront, ses jambes flageoleront ; elle aura la voix saccadée, haletante : elle oubliera ce qu’elle voudra dire.
Mais, à présent, deux langues expertes la titillent, et moi, je m’ennuie toute seule.
Comme il fait chaud !
Le croissant lunaire est chez lui, dans la chambre de Cydno : je sens, sur ma joue, sa caresse conseilleuse d’érotisme.
Tous les frémissements, tous les murmures du jardin amoureux entrent par la fenêtre ouverte.
Le rossignol délire : comme il est près de moi ! Je crois qu’il se cache ici même, dans le sycomore dont il a fallu rogner une branche qui menaçait ma vitre.
L’odeur d’un vaste parterre de roses épanouies m’affole.
Que ferait Sapphô la divine à ma place ?
Une rafale passe, courte mais terrible : elle a peut-être déraciné des chênes, au flanc de la montagne.
Je pousse un langoureux soupir. J’arrache le drap violet. Je m’étends sur le dos, complètement nue parmi l’exhalaison des beaux calices, la fièvre mélodieuse de l’oiseau et le charme tentateur de l’astre.
Puis, je m’aime, seule, en pensant aux yeux bistrés de Bérénice, jusque fort avant dans la matinée.
Un éclat de rire de chasseresse victorieuse m’interrompt.
C’est Nausikaa !
Elle était montée sur le sycomore et m’observait.
Nausikaa bondit avec une agilité de panthère.
La voici dans ma chambre. Elle se dénude en un clin d’œil. Quelle fraîcheur de naïade ! Elle sort du bain. Elle a encore des gouttes d’eau dans les cheveux.
Elle est sur moi. Elle me possède et me dompte, presque virile. Elle me démontre, à plusieurs reprises, combien le doigt de Cydno elle-même reste inférieur, en amour, à un clitoris tel que le sien.
VI
HUMILITÉ SUPRÊME
Xanthippe aux seins durs, ma seule joie, c’est de sentir ta peau contre la mienne.
Les nuits s’écoulent trop vite. Je brûle de te quitter le moins possible, même pendant le jour.
Je voudrais être l’onde où tu te baignes si souvent, l’essence qui parfume ton dos potelé, ce talisman sur ta gorge, ton collier, ton miroir de poche ou ta chemise.
Quel bonheur si je devenais tes chaussures ! Tes pieds blancs me fouleraient et je sentirais un poids béni, des meurtrissures délicieuses.
Mais, je te le dis à l’oreille, j’aspire à m’humilier encore davantage devant toi, Xanthippe aux seins durs : je meurs d’envie d’être les pauvres linges dont tu essuies le flux mensuel de ta blessure intime.
VII
FRÉNÉSIE
Voici le printemps, ô vierges de Lesbos !
Évadons-nous à travers le parc ! Mordillons les bourgeons d’olivier, les pampres ! Baisons les fleurs de pêcher, naissantes, et les boutons de rose !
Entendez-vous le conseil de la cigale ? Ivre de rosée et de sève, elle nous répète sans fin d’être folles puisque nous sommes jeunes et de faire l’amour à perdre haleine toute cette nuit.
Viens sur mes genoux, Chloé ! Tu réunis en toi la mélancolie tendre du rossignol, la luxure de la rose et la suavité fraîche de l’avril. Tu es en harmonie avec ce moment de l’année lesbienne.
Serre-toi contre ma poitrine, petite ! Et regarde-moi fixement, les yeux dans mes yeux agrandis, durant la caresse.
Il faut que je tire de ton âme un soupir de volupté douloureuse, pareil à la dernière brise du beau soir éolien qui va finir.
VIII
À UNE REBELLE
On dit que tu repousses pour de bon ma prière, ô pâle Hippolyte ! Le père Aristophane raconte que tu veux rester chaste.
Sotte ! En voilà une illusion !
Apprends que la nature veut partout des pâmoisons, des ravissements, des extases d’adolescentes déchevelées. Et la nature est la plus forte. Jamais femme, même laide — et tu es adorable, ô mon Hippolyte ! — n’a échappé au désir.
Couche-toi nue, ce soir, dans ton lit solitaire, et pense à moi avant de t’endormir.
Pense à mon profil mat, au dessin parfait !
Pense à ma chevelure qui a la nuance des violettes dans la mousse et qui ondoie sur mon petit front d’ivoire !
Pense à mes noirs sourcils confondus, à mes yeux pers qui s’acharnent et au violent sourire de ma bouche infatigable !
Pense à mes seins orgueilleux qui gonflent ma robe de pourpre !
Pense à mes bras frais et à mes cuisses brûlantes !
Pense à mes doigts légers de joueuse de lyre !
Pense à mon trésor presque hermaphrodite !
Alors, demain matin, tu auras les yeux exquisement cernés, ô Hippolyte, amie des vaines chimères ! Tu viendras au Palais Sapphô, tu sonneras à la grande porte du parc, et mes élèves, tes camarades, jetant des roses sous tes sandales, chantant un épithalame, t’escorteront vers la terrasse où ta Cydno, debout, glorieusement nue, défiant le soleil te tend les bras.
IX
PRÉCOCITÉ DE GYRINNÔ
Il n’y a plus d’enfants.
Mon amie Baukis, la veuve du gros marchand qui nous divertissait par sa goinfrerie porcine, dut s’absenter, la semaine dernière ; en partant pour l’Asie Mineure, elle me confia sa fillette de neuf ans, Gyrinnô.
Je pris la mignonne dans mon lit, maternellement.
Mais, ne voilà-t-il pas qu’une chatouille délicieuse me réveille ! Nue, toute bleue sous le clair de lune, penchée sur mon ventre qu’elle a sournoisement mis à nu, l’enfant me fait la suprême caresse, mieux qu’Atalante ou Déjanire.
Baukis est de retour. Elle m’interroge, rieuse :
— « Eh bien ? Gyrinnô a-t-elle été sage ? »
Alors, en rougissant, je lui confesse, à mi-voix, ce qui s’est passé… Baukis m’interrompt et, entre deux baisers de colombe :
— « Tranquillise-toi, ma chère Cydno ! C’est moi qui ai fait son éducation ! »
Cette Gyrinnô subtile n’en avait pas moins des dispositions extraordinaires.
Le soir du même jour, nous couchâmes toutes les trois ensemble : la mignonne nous étonna par ses inventions.
À la fin, dans la perversité ambiante d’avant l’aube, nous l’assîmes, parmi des coussins, telle une idole nue, et nous l’adorâmes tour à tour.
Je la vois encore : ses yeux, écarquillés, luisent comme des émeraudes grossissantes ; on dirait qu’ils vont jaillir des orbites.
X
LES MYSTÈRES DE SAPPHÔ
Sapphô n’est pas seulement notre inspiratrice, notre guide et la prophétesse de notre amoureuse religion. Elle est aussi notre déesse tutélaire et nous l’adorons sous l’aspect de la lune.
Chaque année, au printemps, par une belle nuit de pleine lune, Cydno et ses disciples célèbrent les Mystères de Sapphô.
Les violettes sacrées emplissent la maison.
Toute image virile — peinture, statue, figurine — se cache, honteuse, derrière un voile hermétique, à moins que la bonne déesse n’ait saisi l’une de nous et ne lui ai fait jeter dans la mer l’objet sacrilège.
J’ose à peine continuer. J’ai peur d’outrepasser mes pouvoirs de grande prêtresse. Il y a des choses dont la divulgation me coûterait la vie ou, posthume, déshonorerait ma mémoire.
Nous avons fait les lustrations et les sacrifices expiatoires. Nous avons accompli nos ablutions rituelles en psalmodiant un hymne que je dois taire.
Nous sommes réunies dans la grande salle d’amour.
Des abat-jour spéciaux atténuent la lumière des lampes électriques ; c’est la clarté de la lune qui règnera, cette nuit, dans le temple de Sapphô.
Les violettes sacrées me couronnent et m’embaument. Hiérophante du Sapphisme, je m’assieds sur un trône blanc, drapé de satin glauque.
Seule, je suis entièrement nue : toutes les autres sœurs portent une ceinture de violettes.
La mystagogue — celle de nous toutes à qui le suffrage universel décerna le prix de luxure pour l’année scolaire écoulée depuis la dernière Fête — introduit une aspirante et l’agenouille devant mon trône.
J’interroge l’enfant, avec une douceur sévère. Je scrute ce cœur tremblant.
Mais je souris et je mets une fleur de ma couronne dans les cheveux de l’aspirante.
Alors, la mystagogue dit le credo, les préceptes et la formule terrible du nouveau serment : l’enfant, défaillante de joie, fait la réponse prescrite.
L’épreuve est finie. Je proclame initiée l’enfant qui se relève, et j’accorde le baiser rituel au trésor qu’elle me présente.
Une fenêtre s’ouvre.
J’arrache ma couronne de violettes sacrées et je la lance, en hommage, vers la pleine lune. C’est le signal de l’orgie.
Les cymbales et les tambourins retentissent. Les clarinettes se lamentent. Les tribades se ruent sur leurs épousées et dénouent les ceintures. Mais, chut ! La mort ou le déshonneur me guettent…
XI
L’HERMAPHRODITE
Est-ce Adonis qui dort là, tout en haut de la colline, sous le vieux cèdre, parmi les hyacinthes noires, les anémones écarlates et les blanches étoiles de Bethléem ?
Quel joli garçon ! Il a l’air d’une fille. Ses bras nus et vagabonds au gré du rêve montrent des aisselles bien épilées.
Un caprice m’étend, sur le coude, à côté du charmant intrus. Mon autre main se joue en des recherches.
Ô surprise ! C’est Hermaphrodite lui-même !
Je n’hésite plus. J’insinue ma langue dans sa bouche entr’ouverte et je lui fais, d’un doigt frétillant, ce que je viens de rendre à Chloé.
On se réveille gentiment, à l’instant du plaisir, et on me rend mon plaisir, mais on s’étonne de ma préférence : les camarades, eux, s’amusent toujours avec la partie virile.
Hermaphrodite s’est rendormi. J’ai effeuillé une rose dans ses cheveux flottants.
Mais voici Platon, le plus bel adolescent de Mytilène, qui monte le sentier.
Je suis curieuse de voir ce qui va se passer. Vite, je me cache derrière un buisson de laurier-rose.
Platon comprend l’attrait de la grâce féminine : j’assiste, heureuse, à un viol magnifique.
Hermaphrodite ne peut crier : une main lui ferme la bouche. Mais il pleure, et ses larmes dilatent encore la volupté du blond satyre.
L’aventure est drôle. Mais je plains celle qui partagera ma couche cette nuit. Car l’exemple est contagieux : la croupe de la pauvrette subira l’olisbos infernal du père Aristophane.
XII
LA FÊTE ANTIVIRILE
Attis du Bérécynte ! Ô notre pâle sœur d’adoption à la chevelure vagabonde ! Ô toi qui voulus devenir l’une de nous toutes par une castration mystique !
Nous te fêtons, cette nuit, dans la forêt de la montagne, à la lueur des torches, au son des flûtes, des cymbales, des tambourins et des cors de Phrygie.
Nous sommes une quarantaine de jouvencelles aux bras et aux mollets nus dans la chaleur du bel automne.
Chacune porte, par-dessus la blanche robe courte, en fourreau, une ceinture verte qui darde un monstrueux priape de vermillon, aux testicules jaunes.
C’est du sang d’étalon qui gonfle l’appareil.
Au côté gauche est suspendu un fouet d’enfant, au droit, un petit cimeterre de Damas.
Nous implorons des dieux ta résurrection, ô Attis inspirée, ô notre sœur volontaire en Sapphô ! Nous attendons patiemment ton retour.
Enfin, je t’appelle trois fois, par ton nom triste :
— « Attis ! Attis ! Attis ! »
Le silence me répond.
Alors, ô Attis pâle et bouffie de mes songes ! nous entrons en fureur sainte.
Nous brandissons nos fouets et nos cimeterres.
Nous courons, nous dansons.
Nous flagellons nos jambes d’éphèbes.
Nous hurlons à la lune.
Nous agitons nos chevelures parfumées d’aphrodisiaques.
Nous tranchons brusquement, à un signal de ma bouche, les priapes arrogants de nos ceintures.
Le sang, de pourpre noir, inonde la mousse et les colchiques.
L’aube est imminente. Les pins exhalent une odeur plus forte.
Quelques-unes d’entre nous font l’amour.
Atalante et Déjanire, Kassandre et Léda, Hélène et Chloé, Rhodopis et Myrtale, Bérénice et Nausikaa, Hermione et Penthésilée ont des taches de sang sur leurs robes blanches.
Mais la plupart, imitant Cydno, tournent sur elles-mêmes à la manière des derviches turcs et tombent, anéanties, sous le soleil levant.
XIII
LE MARIAGE
Une amitié si particulière attache l’une à l’autre la brune Polyxène et la blonde Antigone que j’ai résolu de marier ce couple inséparable.
La cérémonie se déroule à l’antique, mais sans aucun souci d’exactitude. Nous sommes des poètes, et non pas des archéologues. C’est ma fantaisie qui dirige le protocole, au Palais Sapphô.
Polyxène, couronnée de violettes, joue gravement son rôle viril, assise dans la grande salle d’amour, sur le trône des Mystères.
Les Paranymphes lui amènent son Antigone, à la lueur des torches, au son des cithares et des flûtes.
L’anneau des fiançailles est symbolique : ce rubis de l’Inde, extrêmement vif, résume une allusion intime.
Les seuls dieux que nous adorions, le Grand Pan et Sapphô notre inspiratrice, ne veulent pas d’immolations : je me borne à leur offrir des strophes de circonstance que j’ai composées.
On déshabille, on lave, on masse, non sans tricheries libertines, on parfume les fiancées.
Puis on procède, nues et fragrantes, au banquet de noces.
Je vois, j’entends Sapphô elle-même, adolescente-échanson, verser le vin de Cypre à Polyxène et Antigone en murmurant :
— « À votre santé ! »
Je profère une bénédiction que je dois taire aux profanes.
La blonde Antigone est, sapphiquement, l’épouse de la brune Polyxène.
Nous conduisons le couple enlacé à la chambre nuptiale. Nous parodions le jeu traditionnel, devant la porte.
Déjanire et sa bande font semblant de ravir Antigone : Polyxène, recevant du renfort, les repousse.
Une mêlée s’engage. La plupart des combattantes se pâment deux ou trois fois, dans la tendre bagarre.
Polyxène, victorieuse, s’enferme avec son Antigone et met en sentinelle une négresse aux grimaces horrifiques.
Nous entonnons un épithalame de style milésien. Un cri nous interrompt : Antigone, elle aussi, joue gravement son rôle.
XIV
LES DEUX ÉLITES
Eurydice, ma tourterelle, tu as raison de regarder sympathiquement Orphée et Bathylle.
Gorgophone et Pasiphaé sont de folles Bacchantes : Briséis a bien fait de les retenir et j’approuve Kléobuline qui les a fouettées d’orties, car elles allaient commettre un attentat contre nous-mêmes.
N’arrachons point les yeux aux jeunes hommes qui s’entrebaisent.
Loin de les déchirer, sourions franchement à leurs lèvres jointes. Ils sont nos frères et nos alliés. Favorisons leur secte, encore trop peu nombreuse.
Nos voisins Orphée et Bathylle ont l’air charmant. Si vous les rencontrez, Ismène et toi, ô sage Eurydice, ne refusez point une brève promenade, en couples parallèles, n’ayez pas peur de causer musique et poésie.
Que le bétail humain croisse et multiplie ! Hellas a besoin de guerriers pour chasser les Turcs.
Mais Sapphô veut que deux élites — les jouvenceaux d’un côté, les adolescentes de l’autre — cultivent, chacune à sa façon, dans une stérilité créatrice, la résurrection de l’idéal Androgyne.
XV
LA DÉFAITE DE CYDNO
Nous luttons, nues, la grande Euryméduse et moi, dans la prairie matinale.
La rosée mouille encore, sperme divin, les boutons d’or et les coquelicots. Sa fonction n’est-elle point d’attester, scintillante, l’amoureux mystère nocturne ?
Les sœurs, en déshabillé de gaze, ont fait le cercle autour du combat. Elles rient, sifflent, applaudissent et nous excitent par des propos aristophanesques.
La vaincue en sera quitte pour un chagrin d’amour-propre. L’enjeu n’est qu’une badinerie : la victorieuse chevauchera l’autre en séance solennelle, dans la salle des tableaux vivants, sous l’œil goguenard des négresses.
Je suis moins longue, du buste, et plus légère qu’Aphrodite Euryméduse. Et pourtant c’est moi qui l’ai provoquée, tout à l’heure, au bain, tandis que les masseuses nous raclaient la peau avec les strigiles d’aluminium.
Car je connais le point faible d’Euryméduse aux bras musculeux : comme elle a les jambes courtes, mon aiguillon arrive à la hauteur de sa rose, quand nous sommes debout l’une contre l’autre, mes yeux dressés vers les siens.
Or la pauvre Euryméduse est la plus rapide de nous toutes à cette course du plaisir où le bonheur consiste à être un peu lente : elle perd la tête, elle a le vertige, elle épanche son âme dès qu’on la touche, au point faible, avec un bout de languette ou un bijou sapphique.
Nous luttons, couronnées d’olivier sauvage, ointes d’une huile d’Ionie qui sent l’œillet pourpre.
Euryméduse avait beau se méfier du coup : un baiser de sa favorite Omphale au tetin gauche de la rêveuse Perséphone la distrait une seconde.
Vite, mon aiguillon pique la rose déjà émue, la pâmoison s’ensuit et, rassemblant toutes mes forces, j’enlève de terre la grande Euryméduse.
Hélas ! mes genoux plient sous le poids et je tombe à la renverse parmi les fleurs écrasées.
Euryméduse est sur moi, rieuse. Mes deux épaules ont touché.
C’était écrit. Cydno vaincue et violée va faire, dans la salle des tableaux vivants, la joie de nos braves servantes africaines.
XVI
LA RONDE
Le bel automne caresse avec une pétulance printanière la pelouse des Nymphes, au sommet de la colline des Kitharèdes, entre l’éther et l’azur marin.
Debout, au centre, en simarre jaune, je chante les odes secrètes de la divine Éléphantis, que j’ai retrouvées dans un tombeau crétois.
Les sœurs, vêtues d’émeraude flottante, dansent une ronde lubrique autour de ma lyre.
Celles qui préfèrent le rôle de l’amant portent en écharpe des baudriers blancs qui soutiennent de rouges embryons priapiques.
Ma lyre ordonne et la ronde obéit.
J’accélère, je ralentis, je précipite les gestes amoureux qui se mêlent à la danse.
Éléphantis et moi, nous rythmerons, ce soir, plusieurs centaines de jouissances féminines. Notre silence même fait de la volupté : dès que je m’interromps, les phallophores s’agenouillent pour des sucements.
Sapphô-Sélèné, mordorée, monte à l’horizon.
XVII
À UNE POITRINAIRE
Korinne harmonieuse, ô ma meilleure élève !
Tu te meurs de consomption, ravie, sous mes lèvres, mais tu es immortelle.
Nous tenons pour sacré ton vœu suprême : je scellerai ton manuscrit, moi-même, en l’urne de jade, avec ta cendre.
Les frivoles générations, indignes de te lire, ignoreront tes élégies belles et charmantes, enterrées à la place que tu désignas, sous ton arbre favori.
Mais tes adorables vers, ô ma Korinne attique, vivront éternellement dans la mémoire de nos âmes et dans celle du Grand Pan.
XVIII
LA RÉFORME
Sapphô m’est apparue en songe et m’a dit de réformer la règle.
Tu ne connaîtras point, ô Phryné ! l’olisbos déchirant du père Aristophane : ce matin, à l’aube, tandis que vous dormiez toutes du sommeil profond qui suit le plaisir à outrance, je suis descendue vers la grève par l’Allée des Grenades, j’ai attaché un gros caillou à ce priape de cuir et, debout à l’entrée du bosquet d’Hylas, j’ai lancé dans les vagues écumantes l’instrument de torture et d’humiliation.
Repousse, en outre, ô novice radieuse ! le doigt fin de ta cousine Aspasie.
Le coït et le baiser suffisent au bonheur. La succion est une perversité superflue. Couchez-vous l’une sur l’autre ou côte à côte, enlacées, trésor à trésor, poitrine à poitrine, bouche à bouche. Dardez vos aiguillons, gonflez vos seins et confondez ainsi vos âmes : c’est la position que Sapphô préfère.
Tu promets tant, ô Phryné rougissante ! que mon rêve t’érige en symbole du Sapphisme épuré. Modèle-toi sur ton idéale effigie et médite ce précepte que l’ombre de Sapphô m’a confié avant de s’évanouir :
— « Si tu veux t’élever à la perfection, garde jalousement, orgueilleusement, ta virginité ! »
XIX
PÉCHÉ MORTEL
Koronis et Daphné, court vêtues, jouent à un jeu plus ancien que la guerre de Troie.
Elles se renversent en arrière, simultanément, à mon signal, et chacune lance jusqu’aux nuages une balle rouge, en peau souple, remplie de graines de figuier.
Alors, il s’agit de sauter en l’air, à temps pour rattraper, dans les mains, sa balle avant de retomber sur le sol.
Daphné, l’une de nos meilleures gymnastes, excelle à ce jeu.
Mais la frêle Koronis a trop de grâces mignonnes : elle montre des aisselles duveteuses, en lançant la balle, et, quand elle saute, jetant son rire à la rencontre de la balle moins purpurine, on distingue la naissance de ses cuisses d’éphèbe, encore un peu maigres, mais si fraîches.
Daphné a des distractions : elle retombe, deux fois de suite, sur le sable avant d’avoir rattrapé la balle.
Enfin, voici qu’attentive à une ondulation des hanches de sa Koronis elle manque la pomme de pourpre.
Je prends ma voix d’arbitre et je prononce :
— « Daphné a perdu. »
Pourtant, aucune effusion de gaieté ne salue la victoire de l’affriolante Koronis. Nous boudons les joueuses. Car nous savons, par une indiscrétion de leur confidente Alcyone, que l’enjeu du match était le pire des lèchements.
XX
RÉCONCILIATION
Regarde ce crépuscule, ô chaste Perséphone ! C’est l’instant où le soleil règne véritablement, où il étale sa magnificence.
Quant à moi, je lui tourne le dos pour faire mes dévotions à la plus belle de nous toutes.
Phaëthuse au visage ovale et aux yeux langoureux, Phaëthuse au diadème de perles d’Ophir et à la ceinture d’ambroisie, ne repousse point le culte de Cydno lunaire !
Quitte la coquetterie méchante !
Exauce-moi !
Si tu ne viens pas ce soir, je veillerai seule.
Vois, tu es mon Aphrodite.
Vois, je te consacre, à deux genoux, les sept offrandes, la rose, le myrthe et le pavot, la pomme, la colombe, le moineau et l’hirondelle.
Tu souris ? Penche-toi, maintenant, divine, et touche mon sein gauche : une huitième offrande est là, meilleure que tout le reste.
Comme ta paume est fraîche ! Encore ! Prolonge cette caresse qui me console !
Viens, Phaëthuse ! La brouille est finie. Tu ne peux plus dire non. Tu as repris possession de mon cœur fébrile et bondissant.
XXI
LE TRIOMPHE D’OURANIE
Cinquante vierges, qui ont des sandales écarlates pour tout costume, animent, ce matin, le stade.
Pyrrha la vigoureuse, aux talons ailés, gagne le prix de course, une nuit en tiers avec Phaëthuse et Ariane, mais Ouranie aux yeux perçants de chouette lui enlève celui de lancement du disque, soit la première étreinte de Psyché la nouvelle qui a la chair si ferme et le ventre si brillant.
Cette Ouranie, c’est le Discobole en personne.
Elle avance un pied, sur lequel elle courbe tout son corps athlétique. Elle balance le bras chargé du lourd palet de cuivre. Enfin, ses yeux dardant un double éclair, de la main, du bras, des hanches, de tout le corps, elle pousse le projectile bien au delà du but.
Heureuse Psyché ! Quels coups de reins tu recevras tout à l’heure, après le bain turc !
XXII
CRUAUTÉ
Je voudrais dire les beaux adolescents qui chasseront un jour les Barbares de nos îles divines : mais je ne peux.
Ma lyre ne chante rien que les amours mutuelles des sœurs savantes. Elle ignore tout autre combat que la victoire de mes bacchantes sur un troupeau de vierges rebelles à l’initiation.
Ménades chéries, brandissez le thyrse de Sapphô où le bouquet de violettes remplace la pomme de pin !
Jetez ici vos prisonnières !
Que chacune d’entre vous chevauche, à son tour, les deux sottes qui me résistèrent, Euphrosyne aux grands yeux et Klymène à la chemise de safran !
Saccagez les couches de myrte naissant et de lotus tendre !
Il me faut ces deux mijaurées pantelantes, évanouies de fatigue, devant mon trône.
Ah ! Continuez, Ménades chéries !
Pleure, Euphrosyne !
Hurle, Klymène !
Je rajeunis en aspirant les soupirs, les sanglots, les plaintes furieuses.
Laisse, petite Hébé : ne verse pas l’hydromel dans ma coupe.
Le spectacle sonore et parfumé de l’amour cruel suffit à me faire oublier, dans une ivresse ravie, la fuite irréparable du temps.
XXIII
FLAGELLATION
Isis, pourquoi trembles-tu sous mon regard comme le faon nouveau-né que sa mère fugitive abandonne !
Isis inquiète, rassérène-toi : Cydno est ton esclave et non pas ton tyran.
Tiens ! Prends ce fouet de roses, qui n’est pas sans épines, et flagelle mes épaules, mon dos, mes formes épanouies !
Il faut que je souffre par toi, que je saigne par toi, Isis troublante, avant de te faire câlinement plaisir.
XXIV
PRINTEMPS ARTIFICIEL
Le vent, la pluie, la grêle de mauvais augure font rage, et pourtant voici venir le mois de juin.
Faudra-t-il dire désormais « les giboulées de mai » ?
Ida, heureusement, répare la faute de la nature.
Je la prends sur mes genoux, je l’émoustille d’une main vagabonde, j’écarte le nuage noir de sa crinière, et le rire de sa figure qui n’a pas trois lustres me remplace le printemps.
XXV
LA DÉVOTION À LA BEAUTÉ
Si la sorcière de Thessalie m’offrait la puissance du chah de Perse en échange de ma beauté, je dirais non.
La beauté, qui a tant d’autres charmes en outre, n’est-elle pas toute-puissante ?
Ne suis-je pas, moi, Cydno, patronne harmonieuse de la renaissance du Sapphisme intégral, l’esclave de cette petite Kallistô qu’une troupe de chaudronniers ambulants et de voleurs de poules abandonna, vagissante, devant ma porte ?
Je vois Kallistô à sa toilette plus volontiers que tout au monde et j’aimerais mieux être aveugle en face de la mer ou d’une Aphrodite de Praxitèle qu’en face de Kallistô parfumant l’intervalle de ses petits seins.
Quand je vois Kallistô, nue, cueillir des violettes, caresser des pigeons, baiser les jambes de Kléonice où la rosée scintille, l’admiration s’épanouit, d’elle-même, en jouissance.
Je ne peux plus me séparer de Kallistô. Je la prends dans mon lit tous les soirs, même quand j’ai une ou plusieurs autres compagnes de nuit, et quand nous dormons côte à côte, mes rêves ont des ardeurs, des audaces, des trouvailles dont Jocaste et Mnémosyne, encore éveillées, s’amusent en chuchotant.
Mais j’abhorre la nuit sans lune parce qu’elle me cache les contours, les lignes, les nuances de Kallistô, et je bénis le retour du soleil parce qu’il me refait voir les fossettes de Kallistô.
XXVI
LES YEUX DE PALLAS
Athènes splendide et gracieuse, Akropole du Panhellénisme, un enthousiasme divin me transporte vers toi et il me semble que je vais rêver à ta gloire et à ta beauté, jusqu’au matin !
Pourquoi ? Parce que je regarde la robuste Nyktimène en écrivant ces vers, et que cette enfant de raccommodeuse de filet a les yeux mêmes de ta Pallas, gris, pailletés, brillants et clairs, voyants dans les ténèbres.
XXVII
L’AGENOUILLEMENT
Contemplons Aglaé, la petite vendeuse d’oranges : sa chemise, le ciel et la mer font une symphonie en bleu majeur ; elle rit, couronnée de roses rouges, assise sur le mur d’ocre brune, appuyée à des branches pleines de fruits savoureux ; elle montre joyeusement sa chair d’argile ensoleillée.
Quel poème que cette enfant dans un pareil matin !
Une orange a roulé de la corbeille avec une feuille d’un vert très foncé qui la surmonte comme un petit drapeau.
Je m’agenouille, sous prétexte de ramasser l’orange, mais Prokris, espiègle, la dérobe, tandis que ma langue, telle une fourmi, grimpe le long de la jambe droite d’Aglaé, toujours plus rieuse.
XXVIII
L’EXAMEN DE KALYCE
Quand les dieux nous éprouvent avec un chagrin, souvent ils nous destinent un bonheur.
Cette nuit, le chevrier Daphnis enlevait la novice Hipponoé. Ce matin, Kalyce est venue de Smyrne aux siestes obscènes, par les soins du père Aristophane.
Quiconque, s’il en est une, peut voir Kalyce à l’examen, timide en sa nudité, sans qu’un joyeux désir lui durcisse les seins et la croupe, lui fasse frétiller la langue et le clitoris, a l’âme bien sotte ou le corps bien fatigué.
Une centaine de tetins admirateurs se tendent vers Kalyce.
Mais moi, je perds la tête.
Alcmène s’est coiffée de fleurs des champs. Je les lui arrache, j’enguirlande à genoux le trésor de Kalyce qui se tient assise comme une enfant sage, les yeux baissés, et l’abeille de ma bouche, violant les statuts réformés, butine passionnément.
XXIX
SCRUPULE
Sapphô m’enthousiasme.
Doris, la fille du contrebandier, se baigne là, dans le ruisseau, entre la mer foncée et le bois de cyprès des poètes.
Elle a posé sa robe verte sur un fragment de minaret et son chapeau de violettes sur ce torse d’Apollon que la pioche du jardinier Moskhos a retrouvé hier soir.
Je fonds comme la cire.
Mais je n’ose me ruer hors du buisson et j’attends que Doris se soit rhabillée pour lui faire signe : car un vieux Turc habite la maison voisine et ce barbare pansu, plein de pilaf, profanerait l’initiation avec son regard de bœuf.
XXX
LE VENTRE DE SMARAGDA
Voici le premier mars, le jour de fête où le printemps revient, suivant la tradition populaire.
Des adolescents crient de joie sur les collines. Déjanire, qui rentre d’une promenade, me dit que le double azur, céleste et maritime, a des frissons voluptueux.
Les gamins du village nous font visite : ils portent en triomphe l’oiseau de bois symbolique et ils demandent à manger pour la bonne messagère, l’hirondelle noire au ventre blanc.
Trois négrillonnes leur distribuent de ma part des tartes, des gâteaux et de l’hydromel.
Alors ils chantent, ravis, des stances d’heureux présage.
Mais je ne me dérange point et je reste, jusqu’au soir, dans ma chambre close.
Car un printemps meilleur est ici. J’ai sous les yeux, sous les doigts, sous les lèvres, la sœur cadette de Penthésilée, Smaragda l’innocente au ventre plus mignon et plus chaud que celui de l’hirondelle.
XXXI
SPORT EN PLEIN AIR
La Pension Cydno fait une partie de ballon.
Les deux équipes, nues, se distinguent par la couleur des sandales, jaunes chez l’une, vertes chez l’autre. Elles se tiennent dans l’attitude de la coureuse prête au départ, à égale distance d’une ligne blanche qui divise en deux moitiés la vaste pelouse.
Une rangée de petits drapeaux, bleus derrière les Jaunes et gris perle derrière les Vertes, marque les limites du jeu.
Fadima la négresse pose un ballon rouge sur la ligne blanche.
Je donne le signal, en baisant Prokné à pleines lèvres.
Les deux équipes bondissantes ont atteint la ligne blanche.
Une mêlée, farouche et gracieuse, compliquée de duels, s’engage.
Chacune des joueuses tâche à saisir le ballon et à le lancer au delà des petits drapeaux de l’équipe adverse.
On s’arrache le ballon rouge.
On le chasse du pied et du poing.
On fait des feintes.
On se pousse.
On s’étreint.
On se renverse.
Çà et là, le duel sportif devient un duo d’amour.
Mais la masse des joueuses ne s’aperçoit de rien, toute à l’émulation, au désir de vaincre, et les cris belliqueux étouffent les râles.
Une brise tiède agite les petits drapeaux en forme de croissant et nous évente, sous le grand parasol. Nous sommes quatre qui ne jouons pas : Cydno et Prokné, sa favorite de la semaine, et les deux arbitres, Monime et Salomé.
L’étroite Monime représente les Vertes et la masculine Salomé les Jaunes.
En cas de contestation, je dois départager les suffrages. Mais Prokné me distrait du ballon : je m’applique à lui enseigner l’art du baiser qui n’en finit pas. Deux pianistes, l’une anglaise et l’autre berlinoise, qui viennent de s’installer dans notre voisinage, à la villa des Amazones, appellent ce baiser épuisant le soul kiss.
Prokné comprend très bien. Je me délecte de ses progrès.
Tout à coup, Déjanire, générale des Vertes, s’écrie :
— « Nous avons gagné ! »
Des exclamations variées lui répondent :
— « Non ! »
— « Si ! »
— « Non ! »
— « Si ! »
— « Non ! Voyez ! Le ballon était resté sur une branche du grenadier, en deçà des drapeaux ! C’est Euryméduse qui l’a fait tomber, après coup ! »
— « Pas du tout ! Le ballon avait encore de la force ! C’est moi qui l’avais lancé ! »
— « Euryméduse a triché ! »
— « Non ! »
— « Tais-toi ! Sinon je dis où tu caches des instruments défendus !… »
Je me lève et j’ordonne le silence.
Hippolyte, générale des Jaunes, et Déjanire en appellent aux arbitres.
Malheureusement, la leçon de Prokné intéressa Monime et Salomé : elles faisaient la même chose que nous deux. Par suite, elles avaient les yeux dans les yeux et n’ont pas vu le coup en litige.
Déjanire pleure de colère.
Tant pis ! Je déclare la partie nulle et je termine la journée par un concours de soul kiss où Déjanire et Hippolyte, réconciliées, gagnent le premier prix.
XXXII
À UNE ANGLAISE
Consens, Maud pensive aux boucles blondes !
Regarde-moi ! Je suis plus belle et plus amoureuse que ta Fanny.
Je soupire après toi. Je languis. Je me consume. Le vain désir me ronge la moelle.
Il me semble t’avoir possédée, blonde Anglaise, dans une vie antérieure. T’en ressouvient-il ?
Moi, j’ai la nostalgie de ton étreinte et je me meurs de cet inassouvissement.
Songe au lendemain ! La jeunesse fuit à tire d’aile. Ton tendre corps ne fleurira point toujours. Les rides paraîtront, et alors tu regretteras l’occasion perdue.
Laisse-toi fléchir, pensive musicienne ! Un brouillard épais couvre mes yeux et me ravit mon restant d’énergie.
Consens, Maud ! Ou sinon je me traîne au bout du promontoire des Jumelles, je me penche et je tombe dans la mer.
XXXIII
LA BERLINOISE AFFOLANTE
Je chante, sur la cithare à sept cordes de mon aïeul Terpandre, plus ancien qu’Archiloque lui-même, les vers que Fanny m’inspira en me regardant les yeux dans les yeux.
Fanny, la brune Berlinoise aux yeux bleus, cueille des fleurs de myrte et les assemble avec des roses épanouies.
Sa chevelure flottante ombrage ses épaules nues. Son parfum personnel et celui des corolles se combinent en un arome unique.
Je cesse de chanter et je m’agenouille : cette Fanny rendrait folle une vieille tribade du Sérail !
XXXIV
MAUD ENFIN POSSÉDÉE
Ténella ! Cydno remporte, une fois de plus, la victoire !
Chantez en chœur, ô mes Sirènes, et remerciez Sapphô notre déesse !
Maud s’obstinait dans le grand refus. Alors, sa Fanny, ma complice, lui a versé le narcotique égyptien.
Au réveil, elle eut beau crier : on aurait dit d’une volaille sous un vautour.
Maintenant, insatiable, elle me flagelle pour m’exciter à la chevaucher encore.
XXXV
LES REMPLAÇANTES DU SOLEIL
Est-ce la fin du monde ?
Nous n’avons pas vu le soleil de toute cette journée maudite. Les rafales balayaient, sous des nuages gris, la splendeur de l’automne.
Heureusement, j’ai, dans mon palais, le vin qui rajeunit, les fruits, les fleurs, les venaisons et le rire illuminateur de cent vierges nues.
XXXVI
LE RETOUR DU PRINTEMPS
Notre mars est plus voluptueux qu’un mai exceptionnel du pays de Maud. Le rossignol chante déjà.
Mais je ne l’écoute point, car Glycère, la plus mélodieuse de nous toutes, salue le retour du printemps avec une ode phrygienne de sa composition.
XXXVII
L’ÉCLAIR DE LA JOUISSANCE
Kassandre aux profonds yeux bleus, jouvencelle au regard de jouvenceau, enlace-moi, fixe tes prunelles sur les miennes et laisse faire ma main gauche !
Il faut que je voie l’éclair de la jouissance dans tes yeux d’enfant divin.
XXXVIII
SÉRÉNADE
Toi qui sais tout, toi qui peux tout, Latone, agrée ma sérénade, je t’en supplie !
Tu es pareille à cette cerise mûre, tout au bout de la branche, que le bras du petit aide-jardinier Bion essaye en vain d’atteindre.
Les Grâces aux talons roses et Aphrodite elle-même dansent, pour te plaire, chaque matin, avant notre réveil.
Mais prends garde ! le temps fuit. Tu te faneras, ô Latone ! comme une simple églantine.
Tu connais l’avenir, ô prophétesse ? Alors, souris-moi, car tu n’ignores point qu’il est écrit que tes cuisses duvetées s’amuseront cette nuit avec celles de Cydno.
XXXIX
HIPPOLYTE ET DÉJANIRE
Le Palais Sapphô est en deuil. Hippolyte et Déjanire vont nous quitter.
Une fièvre tuait Hippolyte. Quand Déjanire a vu sa sœur moribonde, elle s’est empoisonnée : ainsi, leurs âmes vont s’envoler ensemble du bûcher de leurs corps.
J’ai coupé moi-même leurs chevelures et je les ai consacrées, à titre de prémices, aux dieux infernaux.
J’ai dédié, soudain pieuse, une prière à Hermès qui conduira Psyché, leur âme double et une, aux Champs-Élysées.
J’ai recueilli leurs dernières paroles et, penchée, leur dernier souffle, en un baiser suprême : elles ont expiré en moi, l’une et l’autre. C’est moi qui leur ai fermé les yeux et la bouche.
Voici l’aurore.
Nous lavons et nous parfumons les belles défuntes. Puis, nous les exposons sur le seuil du palais, les pieds en avant couronnées non point d’ache ou de persil, mais de roses rouges, drapées non point de blanc, selon la coutume, mais de pourpre, avec des bandelettes safranées, selon la couleur favorite de chacune d’elles.
Les négresses ont placé là un vase rempli d’eau fraîche afin que nous puissions nous purifier, si nous nous sentons polluées par le voisinage des mortes : mais personne ne songe à s’humecter seulement le bout des doigts. Les beaux cadavres ont trop de charme.
Le bûcher s’élève, entre des buissons de laurier-rose, sur la colline de Narcisse, devant la mer.
Louons Héraclès qui apprit aux mortels la crémation lustrale ! Tant que le cadavre existe, l’âme voltige au-dessus de la bouche. Mais, dès qu’il est réduit en cendres, l’âme, docile à la baguette d’Hermès, s’envole aux Champs-Élysées avec la vitesse d’un faucon.
Nous les avons couchées sur le monceau de bois de pommier, le visage tourné vers l’Orient. Elles sourient au soleil.
Adieu, Hippolyte ! Adieu, Déjanire !
Nous brûlons avec elles leurs robes, leurs parfums, leurs bibelots favoris. Nous faisons les pleureuses. Nous prions le zéphyr d’accélérer la flamme.
Tout est fini. Nous éteignons le bûcher avec du vin de Cypre. Nous recueillons les os en une seule urne d’or et nous jetons les cendres dans la mer, pour obéir à la dernière volonté des deux amies.
Nous psalmodions les nénies. Je prononce l’oraison funèbre d’Hippolyte, et Mnémosyne celle de Déjanire.
Aucune des sœurs n’oubliera Hippolyte et Déjanire. Plusieurs années de suite, quand reviendra l’anniversaire, nous irons chanter en chœur les nénies et répandre des roses rouges à la place d’où nous jetâmes les cendres unanimes.
XL
LA RUPTURE DU DEUIL
À quoi bon pleurer longtemps les morts ? Assez de retraite et de silence !
Renaissons, mes Lesbiennes, et recommençons à faire l’amour !
Allons ! Mettez-vous nues et armez-vous des disciplines du père Aristophane ?
Nous danserons tout à l’heure, sur la colline des Géantes et à travers le bois des Tribades, la bacchanale de la rupture du deuil.
Sapphô m’est apparue en songe la nuit dernière et, comme je lui récitais la précédente épigramme, elle m’a interrompue en disant :
— « Tais-toi, petite ! Il n’y a pas de Champs-Élysées. Mais Hippolyte et Déjanire sont plus heureuses que vous toutes. Ma bénédiction les protège contre le sommeil. Leurs pensées jointes s’entr’aiment, immortelles, au sein du Grand Pan. »
XLI
LA SYMPOSIE
Nous soupons, au soleil levant, après une veillée frénétique, sur la terrasse de l’aile orientale du palais.
Nous buvons le vieux vin rouge, rehaussé de safran et d’essence de myrrhe, en des coupes ornées de tableaux vivants : toutes les positions imaginables de l’amour entre femmes y sont peintes en miniature, à l’extérieur et à l’intérieur.
Chacune des convives porte dans les cheveux un diadème de violettes et une cigale, en émeraude chez les blondes, en or chez les brunes, en diamants chez les rousses. Notre costume se borne à une simarre de blanc linon, sans manches.
Quelles vierges d’élite ! Aucune n’a de sueur aux aisselles, ni de cassolette fâcheuse ailleurs.
XLII
DIKTYNE ET L’ÂNE BLANC
Au printemps de l’année dernière, Diktyne était dans toute sa fraîcheur.
Je lui ai fait des propositions : elle n’a rien voulu savoir. Je l’ai sollicitée : elle m’a ri au nez.
Cet automne, elle voudrait bien : elle me jette des regards tendres et soumis quand je passe, rêveuse aux seins arrogants, dans le sentier qui longe la mer.
Elle insiste. Hier, elle a soulevé le rideau de sa fenêtre, afin que je l’aperçusse, toute nue, à sa toilette.
Mais je refuse, à mon tour, car je la soupçonne de provoquer aussi les bergers bien membrus et, ce matin, je lui envoie, par dérision, un âne blanc de Bagdad au priape enguirlandé de chrysanthèmes.
XLIII
LA NOUVELLE SODOME
Un scorpion, à la piqûre mortelle, se cache, parfois, sous chaque pierre, dans les décombres africains.
Une langue venimeuse habite votre bouche édentée, ô vieilles femmes de Byzance !
Indigènes de Péra, vous êtes autant de sarcoptes fils de sarcoptes !
Que le feu du ciel tombe sur votre cité maudite !
XLIV
MON PROGRAMME
Sois folle quand je suis folle, ô Arsinoé tueuse de cerfs, et sage quand je suis sage !
Tu hésites ? Rassure-toi ! Si tu m’obéis, nous échangerons une douzaine de jouissances, au moins six jours par semaine.
XLV
LA SUPÉRIORITÉ DE MYRTO
J’adore les figurines de Tanagra, mais je leur trouve un défaut : elles sont, en général, beaucoup trop habillées.
Myrto, seule, atteint la perfection quand elle dort dans mon lit : elle a toute la décence, toute la pudeur, toute la délicatesse de ses cousines de terre cuite et, avec cela, elle est toujours entièrement nue.
XLVI
UN GARÇON D’AVENIR
Ce petit Alcibiade, le neveu du papas, est si efféminé qu’il mériterait presque une place de pensionnaire chez Cydno.
Tout à l’heure, du haut de la colline, il m’avait vue venir. Alors, quand j’ai passé devant sa chambre, qui est au rez-de-chaussée, il se déhanchait, nu, parmi des glaces, en me tournant le dos.
Quel dommage que je n’eusse pas ma ceinture des grands jours !
La prochaine fois que j’irai me promener de ce côté, j’emporterai, narguant ma propre réforme, le plus gros olisbos du père Aristophane.
Puis, lorsque j’aurai dûment essayé ce coquin d’Alcibiade, si l’épreuve lui est favorable, je dirai deux mots à l’oreille de son oncle ; Alcibiade n’a pas dix ans. Qu’il consente à subir l’ablation des testicules et il pourra devenir, avec de royaux appointements, notre échanson lécheur et passif.
XLVII
NOSTALGIE
Je m’ennuie dans cette île.
Viens, Périmède ! Partons, à l’aventure, dans ma barque aux voiles de pourpre !
Nous irons où la brise nous poussera. Et ce soir, après que mes sœurs les Sirènes nous auront chanté la berceuse au clair de la lune, nous glisserons, enlacées, dans la tombe humide, à la manière de Palinure.
XLVIII
LA CONDITION DE LA DÉDICACE
Quand je serai vieille — si j’arrive à la vieillesse — je me retirerai dans une autre île, car Lesbos ne veut pas voir Cydno enlaidie, et je composerai, en prose classique, un bréviaire de notre religion, que j’intitulerai, non sans me ressouvenir du divin Thomas à Kempis, L’Imitation de Sapphô.
Désires-tu, joie de mon cœur, Hipponoé, que ce petit livre d’or, secret et posthume, te soit dédié ? Manque de parole à Lycénion et couche avec moi, seule à seule, après la symposie !
XLIX
L’EUNUQUE AUX BELLES FORMES
La règle dégénère. Mais, tant pis ! Nous ferons, l’hiver prochain, notre acte de contrition. Pour le moment, la canicule nous affole.
Tout à l’heure, à déjeuner, mon doux eunuque Alcibiade, vêtu d’une ceinture de satin mauve, nous versait le vin de France en levant son bras blanc.
Alors, je dis à ma voisine Hérodiade, que l’aisselle bien épilée du mignon paraissait intéresser :
— « Tu as raison d’admirer le geste d’Alcibiade. Cet enfant est un poème parfait. Tu sais qu’il me prend, d’aventure, fantaisie de le subjuguer : eh bien ! — ne répète à personne cet aveu sacrilège ! — il a, me semble-t-il, sous le perforant olisbos, plus de grâce gémissante que toi-même, ô callipyge Hérodiade ! »
L
LA DANSEUSE AUX CROTALES
L’hiver sévit. Le vent souffle à déraciner un cèdre. Des nuées cachent, par moments, le soleil.
Mais la danseuse aux crotales, Éarine, entre dans la grande salle d’amour en mimant une scène de mystère que je ne peux raconter.
Elle a des seins allongés et durs, des lèvres sanglantes, des yeux larges qui lancent des flèches vertes.
Sois bénie, Éarine, ô magicienne !
Un tel parfum de renouveau lumineux émerveille l’assemblée que nous détournons, un instant, nos regards vers les fenêtres : il nous semble que la présence d’Éarine a dû mettre janvier en fuite et que mars a déjà refleuri.
LI
DÉGUSTATION
Klytie est une branche d’oranger en fleur.
Rodogune est un sachet de musc d’Alexandrie.
Aréthuse est un bouquet de lys, d’anémones et de violettes.
Ciré est un flacon d’essence de rose.
Mais toi, Nérine, tu es une grappe de muscat de Samos que je suce grain à grain.
LII
L’HOMMAGE
J’aime la chaste Kléanthis et je n’ose pas le lui dire.
Seulement, j’effeuille chaque soir des roses blanches sur le sentier où elle a coutume de faire sa promenade du matin.
LIII
LA JOUE D’ÉLECTRE
J’avais une âme : tu me l’as prise, ô Électre !
Qu’y a-t-il donc d’irrésistible en ta modeste figure ?
C’est la nuance exquise de ton teint, pudique Électre ! Ta joue est blanche et blonde à la fois, comme la lune au mois de mai.
LIV
LA FUITE
Un sentiment nouveau me trouble.
Ta beauté me fait peur, Iole magnifique !
La nuit, je rêve que je t’appartiens, métamorphosée en un oiseau des Îles Fortunées, et que tu joues avec moi comme la Lesbie du philhellène Catulle avec son moineau.
Dès l’aube, je cours m’embusquer parmi les térébinthes, à la place où tu te baignes.
Puis, à peine t’ai-je vue sortir du ruisseau, trop éclatante, plus belle que l’Anadyomène, caressant d’une main ta virginité et de l’autre tes seins victorieux, je soupire et je m’enfuis sans regarder derrière moi.
LV
MON ROSSIGNOL
J’avais, au kiosque de la Lecture, un rossignol de Chine, aveugle, qui chantait miraculeusement dans sa cage d’ébène aux barreaux d’or.
Il se distingue par son plumage vert olive, pointillé de jaune et de rouge, son bec de pourpre et ses grands yeux.
Hélas ! Cette petite sotte de Naïs a laissé la cage dehors, pendant la nuit, et une rivale que j’ai devinée tout de suite m’a ravi mon cher musicien.
Mon pressentiment ne m’avait pas trompée : ce matin, j’ai entendu mon rossignol qui chantait dans la cour de la méchante Koris.
C’est bien lui : j’ai reconnu sa voix.
J’allais m’élancer, mais l’orgueil m’a retenue : Cydno ne peut adresser une parole, même injurieuse, à une Koris.
Bah ! La jalousie est industrieuse. Je trouverai, dès ce soir, une ruse qui ramènera mon rossignol dans le kiosque où je médite les fragments de Sapphô.
LVI
LE PREMIER CHEVEU GRIS
Tes mamelles sont les pommes d’or du jardin des Hespérides, ô Syrinx !
Pourquoi ne cesses-tu pas de renvoyer au lendemain le consentement que j’implore ?
Regarde ce cheveu gris-là, dans ma boucle brune : c’est le premier, je te le jure, ô Syrinx, et c’est ta cruauté qui en est cause.
LVII
L’ONGLE DE SYRINX
Tu as les plus belles qualités du monde, ô Syrinx !
Tu es à la fois svelte comme un coureur et grasse comme une caille, blanche comme le camélia blanc et rouge, où il sied, comme la pivoine rouge, appétissante comme un tendron et active comme une matrone.
Je suis ton esclave reconnaissante… Seulement, la prochaine fois, rogne mieux l’ongle de ton doigt viril : Tu m’as un peu égratignée.
LVIII
JALOUSIE
Ô coupe d’or, incrustée de rubis, je t’envie !
Tu n’es qu’un objet sans voix, et moi, je suis humaine : mais ton sort est le meilleur des deux, car tu portes l’eau fraîche de la source de la montagne aux lèvres baiseuses de Bsitomartis.
LIX
LE CHARME DE TÉLÉSILLA
Aglaure est pétulante comme une Vénitienne.
Mélénis est lascive comme une Génoise.
Télésilla est belliqueuse comme un Kurde.
Aglaure est maintenant la plus fougueuse écuyère nocturne du Palais Sapphô, et Mélénis ne se fatigue jamais la première, qu’il s’agisse d’être passive, active, ou passive et active en même temps.
Néanmoins, je préfère encore Télésilla, car mon érotisme sait exploiter les instincts féroces de cette noiraude au flagellant regard.
LX
SUPPLIQUE
Lalagé, pardonne-moi ces trois jours de bouderie !
Cette vieille entremetteuse de Sophrona m’avait dit que tu racontais du mal de moi.
Voilà pourquoi je ne te saluais plus, en passant devant tes glycines et tes rhododendrons.
Pardonne-moi, sourire de Lesbos !
Calomnie-moi autant qu’il te plaira, Lalagé radieuse, accuse-moi d’être vieille, d’être laide, de coucher avec un homme, un chien danois, un âne égyptien ou un esclave nègre, peu m’importe, pourvu que j’entende à nouveau ton doux rire, ton doux parler !
LXI
LA FAUSSETÉ DE MARPESSE
Écoutez, vous toutes qui avez connu le chagrin d’amour !
Hier soir, couronnée de violettes, égayée par le nectar de la Champagne, je possédais la souple Marpesse dans une grotte jonchée de coussins moelleux et de boutons de rose.
Marpesse, à l’instant même où, mouillée, je sentais son pucelage humide, feignait de se rebeller, haletante, pour m’exciter davantage et obtenir encore une double jouissance unanime avant le relâchement de l’étreinte.
Ce matin, au réveil, je suis seule dans la grotte saccagée.
Quelque chose me chatouille le trésor : je retire l’objet ; c’est un billet plié en croissant de lune. Je lis, à la clarté ironique du soleil hostile :
— « Adieu, Cydno divine ! J’ai voulu savoir ce que c’était qu’une femme, mais j’aime un mâle.
« Adieu, papesse du Sapphisme !
« Achille, le contrebandier aux yeux prometteurs, m’attend avec sa tartane derrière le rocher de Phaon. Nous partons pour Samos. Adieu, sans revoir ! »
Je viens de baiser mes bras : ils sentent encore la verveine de Marpesse. Ma lèvre saigne encore d’une morsure qu’elle m’a jetée, comme une aumône, dans la dernière étreinte.
Marpesse demeure en moi, vivante… Et pourtant, Marpesse est perdue pour Cydno.
Mon yacht est sous pression : si je poursuivais la tartane ?
Hélas ! En fait d’hommes, je n’ai qu’un lâche eunuque à mon service, et ces contrebandiers sont des tigres. Achille me tuerait !
Bah ! Je tiens ma vengeance : j’immortalise en cette épigramme la fausseté de Marpesse fugitive et, de la sorte, si j’expire, un soir du prochain octobre, en regrettant cette Marpesse de malheur, elle restera pour les Amies, à travers les âges futurs, le symbole de la cruelle perfidie.
LXII
DÉPIT AMOUREUX
Va-t’en, Pasiphile !
Tu es aussi laide que volage. Ta bouche ressemble à un pot. Tes sourcils courts ont la pelade. Ta chair garde sa teinte grisâtre en dépit du bain romain, et tu as une mine de chat sauvage au sortir de l’étuve.
Pasiphile, tu transpires et tu sens mauvais malgré tous les parfums d’Asie et de France dont tu t’inondes.
Va-t’en ! Je te rejette comme une courge desséchée ou un melon pourri.
LXIII
LA TRAHISON D’ÉRYCINE
Ma colère ne bouillonne pas longtemps. Le battement de mon cœur s’empresse de redevenir pacifique.
Mais je suis triste jusqu’au fond de l’âme, car celles que j’aime le mieux me trahissent, maintenant que j’ai plusieurs cheveux blancs dans mes boucles noires.
Tu m’abandonnes, ô Érycine ! Je sais ce que vous fîtes cette nuit, toi et Chariclô.
Tu m’as trahie pour une paysanne qui tire gauchement au-dessus de ses chevilles noueuses une robe crottée.
Tu seras punie, ô Érycine !
Je ne pousserai pas d’imprécations, mais mes vers omettront l’éloge de tes charmes. Tu ne seras point l’une des fleurs de mon immortel jardin de roses. Tu languiras là-bas, ombre sans gloire, comme une femme turque.
LXIV
DÉCLARATION
Erôs doux-amer m’enivre dès que je t’aperçois, ô Iphiméduse !
Tu es à la fois un torrent qui roule du miel, une colonne de porphyre dans le palais du Sultan, une statue d’Aphrodite au visage d’Hermès, un talisman retrouvé dans un tombeau de reine, Vesper mélancolique, la rosée du soir en juin, le givre sur les cerisiers fleuris, la lune imminente et le pays que je veux conquérir.
Je t’adore à deux genoux, ô Iphiméduse !
Si tu consens à mon bonheur, laisse travailler ma langue voltigeante et attendris-toi seulement jusqu’à me caresser les cheveux.
LXV
LA MÉCHANTE PUNIE
Euryale, ô tourterelle des mosquées de Stamboul, ô plébéienne à la démarche divine, je te guette chaque soir, à ton retour du bain.
J’admire la fraîcheur éclatante de ta peau que la robe noire et décolletée fait ressortir.
Mon cœur saigne délicieusement. Une sérénade bien rythmée va jaillir de ma bouche qui voudrait mordre en toi comme en un beau fruit velouté et juteux.
Mais tes yeux de basilic me déconcertent.
Je ne romps point le silence et je suis la première venue qui m’a souri en se pourléchant.
LXVI
LES CAPRICES DE MYRRHINE
Mon nouveau rossignol est fort capricieux : tantôt il chante nuit et jour, tantôt il se tait obstinément.
Myrrhine, la petite prophétesse au voile couleur du soleil, a même caractère : tantôt, elle est le boute-en-train de nos séances dans la grande salle d’amour et elle propose des raffinements inconnus ; tantôt, elle s’abstient de toute initiative et conserve, sous les soins simultanés de trois masseuses aux doigts agiles et aux langues pointues, la frigidité d’une momie.
LXVII
LE CANARI
Nésô, l’enfant-rosier, montée sur une échelle, cherche son canari dans le cyprès aux trente rameaux d’argent.
Elle se hausse tant qu’elle peut, elle s’étire, elle se penche dans le mystère de l’arbre, en écarquillant les yeux.
D’en bas, je convoite les jolies choses que la chemise, courte et flottante, montre aux curieuses.
Tout à coup, Nésô s’écrie joyeusement :
— « Je le tiens ! Merci, vénérable Sap… »
Mais elle n’achève point et pense tomber, car, grimpant derrière elle, en tapinois, je chatouille d’une main folâtre le bouton de rose que l’oiselet retrouvé becquètera tout à l’heure.
LXVIII
DÉCADENCE
Vais-je devenir malchanceuse ?
J’ai terminé l’année sur un triste présage : Thalassis et Nikothoé s’embrassaient, demi-nues, jouant à marier leurs durs mamelons, quand je les ai surprises.
Eh bien ! Elles ont fait semblant de ne pas me voir, elles ont continué à s’agacer l’une l’autre, à chuchoter, à rire, sans m’accorder plus d’attention qu’à une vieille négresse.
Il y a quelques mois encore, Thalassis, qui a bon cœur, m’aurait invitée tout de suite à partager le badinage.
Naturellement, il me suffirait de dire un mot, de faire un signe pour avoir la langue de Thalassis entre mes lèvres et celle de Nikothoé, féline, entre mes cuisses : mais rien ne vaut, en amour, un geste spontané.
Les dieux ont filé mon déclin. Cydno commence à vieillir, hélas ! Elle avait des amoureuses. Elle n’aura bientôt plus que des servantes.
LXIX
LE BIENFAIT DE MÉLISSA
Érôs me jette-t-il, de nouveau, un regard favorable ?
N’ai-je donc point passé le temps d’être aimée ?
Il me semble que je plais à la plus jeune de mes élèves en poésie, Mélissa, don divin des douces muses.
Mélissa au souffle d’ambroisie, blonde comme le chanvre mûr, est la plus gourmande de nous toutes ; eh bien ! elle dédaigne Rhodanthe, qui lui offre une tarte aux cerises ou un gâteau miellé, pour bondir dans mes bras.
Je tremble. Je doute encore. Mais un effluve de bonheur me réchauffe et me rafraîchit en même temps.
LXX
SPLEEN
Je m’ennuie dans cette île.
Suivrai-je ces oiseaux brodés de pourpre, au cou diapré, qui s’envolent vers l’Orient ?
Le spleen me torture.
Il faut que je me désennuie, coûte que coûte : ce soir, dardant le plus gros, le plus long olisbos du père Aristophane, je fatiguerai, sous votre œil jaloux, ô Roxane et Pallène ! cinquante vierges de suite dans la grande salle d’amour.
LXXI
LA DERNIÈRE NUIT
Je pars demain.
Adolescente échanson, verse-moi le vin du Léthé !
L’air lourd m’étouffe. Les cigales m’agacent. Vous ressouviendra-t-il encore de Cydno, mes frileuses, quand vous remettrez du bois dans votre cheminée, l’hiver prochain ?
Buvons ! Parfumons-nous de myrrhe ! Frappons la terre en cadence de nos pieds nus !
Cette nuit, je coucherai seule à seule, avec la savante Suzanne, la plus ancienne de vous toutes, et nous épuiserons, jusqu’à la dernière goutte, la quintessence de nos souvenirs.
Je pars demain.