Traduction par René Auscher.
Hachette & Cie (p. 127-131).

APPLICATIONS DU SKI

Le ski n’est pas uniquement, comme on pourrait le croire, un incomparable instrument de sport : c’est lui qui a apporté aux populations rurales l’hygiène et la santé ; qui a assuré pendant l’hiver le fonctionnement régulier de tous les organismes de la vie sociale ; qui, enfin, a donné à l’armée, durant cette saison, presque une arme spéciale, souple, rapide, pouvant rendre à peu près les mêmes services à cette époque que l’infanterie cycliste en temps habituel.

Nous nous proposons de montrer comment le ski a rendu service à l’individu d’abord, à la nation ensuite, soit en temps de paix, soit en temps de guerre.

Le ski et l’individu. — Les habitants aisés des villes savent à peine dans quelles conditions lamentables vivent les miséreux qui, pressés par le besoin, logent dans des taudis où ils s’entassent dans la malpropreté, l’ombre et l’humidité. Ils ignorent à plus forte raison comment se logent de nombreux paysans — en particulier des régions montagneuses — par qui l’hygiène et le bien-être sont plus profondément ignorés encore.

Dans les Alpes, par exemple, pendant l’été, les habitants vivent au grand air, pur et fortifiant des montagnes ; ils logent, ou plutôt ils campent dans des chalets légèrement bâtis et ouverts à tous les vents. Cette période leur donne une provision de santé, les protège des dangers causés par leur malpropreté, leur hygiène déplorable, et écarte d’eux la tuberculose.

Mais, en hiver, il faut se chauffer et aussi économiquement que possible. C’est pourquoi on se calfeutre dans des étables voûtées dont la température est assez égale ; on mange, on couche, on vit en un mot au milieu des bétes, dans une demi-obscurité ; on respire une atmosphère humide et malsaine.

On s’étonnera moins, d’après ce tableau, du nombre d’idiots, de crétins, d’êtres rabougris que l’on rencontrait, il y a peu d’années encore, dans ces régions, et qui deviennent heureusement de plus en plus rares.

Il est pénible, en effet, de songer quelle peut être l’existence dans ces conditions, lorsque la litière des bestiaux, qui n’est renouvelée qu’au printemps, forme un tapis épais et nauséabond. L’oisiveté règne dans une pénombre continuelle, une oisiveté nuisible au physique comme au moral.

La seule occupation est en général le tissage, à l’aide d’instruments encore rudimentaires, en particulier à la veillée, pendant laquelle plusieurs familles se réunissent.

Le ski a transformé ces mœurs. En permettant de circuler sur la neige, quelle que soit son épaisseur, il a fait connaître le plaisir de vivre, en toute saison, à la lumière, au grand soleil, qui fait briller la neige éclatante sous un ciel bleu, de marcher, même par les temps les plus mauvais, et de vaquer à des occupations utiles et saines. Il a rendu ces populations moins frileuses, et maintenant l’hiver contribue, comme l’été, à fortifier l’individu et la race.

Ceux qui vivaient dans l’isolement et la claustration la plus complète abandonnent peu à peu les écuries et vivent plus normalement parce qu’ils peuvent enfin se mouvoir sur la neige avec rapidité et légèreté, vaquer à leurs affaires au milieu de l’air pur et vivifiant.

Nous avons vu de quelle utilité était le ski pour les habitants des campagnes. Il en est de même pour les citadins qui n’hésitent plus maintenant à profiter des jours de liberté pour faire en toute saison du sport sain et agréable et améliorer ainsi notablement leur santé et les conditions hygiéniques de leur existence.

Le ski et la société. — Les premiers adeptes du ski dans les campagnes et les meilleurs éducateurs furent, avec les soldats libérés, les divers fonctionnaires qui, grâce à ce mode de locomotion, purent faire leur service l’hiver comme l’été, peut-être plus facilement encore.

Nous citerons les gardes forestiers, qui furent les premiers à accomplir de cette façon leurs tournées quotidiennes, et les facteurs des postes, qui, grâce au ski et à la luge, purent porter régulièrement aux isolés des nouvelles du reste du monde.

Les contrebandiers et les malfaiteurs, eux aussi, à ski ou en raquettes, trouvèrent devant eux d’agiles skieurs portant la tenue des douaniers et des gendarmes.

Enfin les médecins eurent la possibilité, par tous les temps, d’apporter leurs soins à leurs malades. Il n’est pas jusqu’aux ministres de la religion qui, comme en Norvège, viennent en ski, eux aussi, donner leurs dernières consolations aux mourants.

Quand le ski était encore inconnu, les enfants qui se dirigeaient tous les matins vers l’école accomplissaient leur trajet avec de grosses difficultés lorsque la neige était tombée dans la nuit et leur admirable ténacité se trouvait souvent mise en échec par les éléments.

Il n’en est plus ainsi. Ils glissent chaque jour de toutes les directions rapidement vers l’école, pour leur plus grand bien et celui de la nation.

Enfin, une richesse nouvelle est née. Naguère encore le tourisme n’existait pas en hiver : alors qu’en été se créaient de toutes parts des stations, des hôtels, sources de prospérité locale, l’hiver voyait arriver, pour les hôteliers et les industries qu’ils font vivre, en particulier pour les entreprises de transport, une morte-saison absolue.

Aujourd’hui, bien au contraire, les villégiatures hivernales remplacent, dès octobre, les villégiatures estivales et apportent à ces contrées un élément nouveau d’activité et de richesse.

La montagne n’est plus l’organisme à sang froid qui passait quelques mois de l’année dans la claustration et l’oisiveté ; elle vit maintenant et d’une vie également active dans toutes les saisons.

Le ski dans l’armée. — En ce qui concerne les applications du ski dans l’armée, on peut affirmer que le fantassin à ski peut évoluer assez facilement, même avec le chargement de campagne et qu’il peut manier son arme aussi aisément qu’à pied.

Quant à l’utilisation tactique des troupes de skieurs, les avis sont partagés.

Tandis que les Suédois et les Norvégiens, qui ont introduit depuis des siècles le ski dans leurs armées, adoptent la formation de corps de skieurs assez importants et manœuvrant en masses, les nations plus récemment converties à ce mode de locomotion, préconisent seulement l’emploi de petites fractions destinées à effectuer des reconnaissances, des flanc-gardes, ou à tenir un point d’appui.

La raison de cette divergence de doctrines réside peut-être dans la différence de configuration du terrain entre les pays septentrionaux, renfermant de grandes étendues plates et neigeuses, et les pays très montagneux de l’Europe centrale.

On conçoit que, dans les premiers, de grandes masses de skieurs puissent conserver en manœuvrant la cohésion nécessaire, évoluer rapidement, et, lorsque l’épaisseur de la neige permet encore aux chevaux de se déplacer à grande allure, de se faire traîner par des cavaliers pour qui ils deviennent des soutiens remarquablement mobiles. Dans ce cas, on peut dire que les corps des skieurs peuvent, suivant les circonstances, jouer le rôle, sinon de cavalerie d’exploration, du moins de cavalerie de première ligne ou bien encore d’infanterie cycliste.

En montagne, au contraire, ou les grandes masses manœuvrent plus difficilement, et où il est impossible de maintenir suffisamment de cohésion dans un groupe important de skieurs, les troupes combattant en hiver seraient convoyées par des mulets portant munitions et mitrailleuses. Elles utiliseraient la raquette, qui aurait l’avantage de créer pour les bétes de somme des pistes suffisamment tassées, mais les services de sûreté et de reconnaissances seraient beaucoup plus rapidement effectués par des skieurs pouvant au besoin tenter un coup de main.

Quelles que puissent être ou devenir les opinions des hommes compétents au sujet de l’utilisation du ski en temps de guerre, il est indiscutable, en tout cas, qu’il est des plus utiles dans l’armée en temps de paix.

Il a permis aux différents postes d’hiver, trop longtemps isolés jusqu’alors, d’être reliés entre eux ; il a facilité le trajet des courriers et même les ravitaillements, car il est possible, quoi qu’il paraisse, de porter à ski des fardeaux, de chercher du bois dans les forêts et de se livrer à nombre d’occupations analogues.

Enfin le côté sportif du ski a été très utile aux petites unités des postes, auxquelles il a apporté une distraction saine et dont il a pu parfois relever le moral. Nous n’insisterons pas, l’ayant déjà fait ailleurs, sur la propagande, par l’exemple, des soldats en activité de service ou libérés, auprès des populations rurales ; ce n’est pas là le moindre des bienfaits du ski militaire.