Les rues de Paris/Pergolèse

Bray et Rétaux (tome 2p. 268-270).

PERGOLÈSE




Stabat mater dolorosa,
Juxtà crucem lacrimosa
Dùm pendebat filius, etc.

Qui n’a tressailli, qui n’a pleuré à l’audition de ces strophes sublimes que rend plus émouvantes une musique qu’un maître français qualifie en ces termes : « Le Stabat, dit Grétry, me paraît réunir tout ce qui doit caractériser la musique d’église dans le genre pathétique. » Puis, appréciant dans son ensemble le génie du grand compositeur auquel on doit tant de beaux chants religieux : deux Messes, un Miserere, un Laudate, deux Lœtatus, un Salve Regina, etc., Grétry ajoute :

« Pergolèse naquit et la vérité fut connue. L’harmonie a fait depuis lui des progrès étonnants dans ses labyrinthes infinis. Les exécutants, en se perfectionnant, ont permis aux compositeurs de déployer la richesse des accompagnements, mais Pergolèse n’a rien perdu. La vérité de déclamation qui caractérise ses chants est indestructible comme la nature[1]. »

Pergolèse, séduit par ce mirage souvent fatal aux jeunes artistes, s’était d’abord essayé au théâtre, mais avec peu de succès, malgré le mérite de ses opéras accueillis avec beaucoup de froideur ou même sifflés, à l’exception d’un seul, la Serva padrona, la Servante maîtresse, applaudie du vivant de l’artiste comme les autres le furent après sa mort. Une malveillance dont la cause nous échappe lui rendit presque toujours le public du théâtre indifférent ou même hostile, au point que, lors de la représentation de son opéra d’Olimpiade, à Rome, non-seulement l’ouvrage fut outrageusement sifflé, mais le pauvre compositeur, qui dirigeait en personne l’orchestre, subit le plus grossier affront : une orange, lancée par une main connue peut-être, vint le frapper à la tête. Ce ne fut pas tout. Un artiste d’un talent bien inférieur, appelé Duni, ayant, à quelque temps de là, fait représenter sur le même théâtre un opéra seria, intitulé Nerone, se vit applaudi avec enthousiasme. Bien plus, la coterie, lâche autant que cruelle, dont Pergolèse était victime, en haine de celui-ci, prodigua ses éloges à Duni et voulut le couronner publiquement. Mais l’auteur ; de Nerone, par un sentiment de généreuse équité qui l’honore plus que ses ouvrages, loin de se prêter à ces misérables calculs, déclara hautement qu’il n’était point digne de cette ovation, méritée bien plutôt par ce Pergolèse qu’on traitait trop injustement en s’obstinant à méconnaître son génie.

Pergolèse rebuté, découragé, renonça pour toujours au théâtre auquel mieux eût valu qu’il ne songeât jamais ; car nous compterions en plus grand nombre encore ses beaux chants d’église où son talent triomphe et qui ont rendu son nom populaire. Sa vie fut trop courte et ne lui permit pas de multiplier les chefs-d’œuvre ; mais ceux qu’il a laissés suffiront à sa gloire. N’eût-il écrit que le Stabat et le Salve Regina, il serait immortel. Ces deux magnifiques compositions aussi bien que la cantate d’Orphée furent composées par lui à Pouzzoles et, pour ainsi dire un pied dans la tombe ; car déjà malade de la phthisie pulmonaire à laquelle il devait succomber, par l’ordre des médecins il avait quitté Lorette pour chercher un climat plus doux, et accepté l’hospitalité que lui offrait, au pied du mont Vésuve, un généreux Mécène, le comte de Montdragonne. C’est là que mourut le grand artiste, âgé de trente-trois ans à peine (1737) ; il était né le 3 janvier 1704, à Jesi, dans les États-Romains.

Le poète eût pu dire de Pergolèse tout aussi bien que de Cimarosa :


Chantre mélodieux, né sous le plus beau ciel,
Au nom doux et fleuri comme une lyre antique,
Léger Napolitain, dont la folle musique
A frotté tout enfant les deux lèvres de miel,

. . . . . . . . . . . . . . .


Ô maître, tu gardas à travers ton délire
Un cœur toujours sensible et plein de dignité.
Oui, ton âme fut belle ainsi que ton génie[2].


  1. Essais sur la musique.
  2. Barbier, Il Pianto,