Bray et Rétaux (tome 2p. 124-127).

LHOMOND




Il y a peu de temps, dans une rue très-connue assurément de la plupart de nos lecteurs, il s’est fait une petite révolution, ou plutôt un changement passé fort inaperçu, à ce qu’il semble ; mais dont certaines personnes, de la province surtout, ne seront pas fâchées d’être averties.

La rue, connue longtemps sous le nom de rue des Postes, s’appelle maintenant rue Lhomond. À vrai dire, l’ancienne dénomination n’est point à regretter, puisque aujourd’hui rien ne la justifiait et que ladite rue ne conduit à aucune espèce de postes. Il faut au contraire se réjouir de la substitution, cette fois heureuse ; il nous plaît qu’on honore ainsi la mémoire d’un homme de bien qui, dans la sphère modeste où volontairement il renferma sa vie tout entière, a rendu plus de services à la religion, à la patrie, que beaucoup d’autres, dont la gloire éclate bruyamment et dont la Renommée par ses cent voix redit au loin le nom répété par mille échos. Cet homme, qu’on doit placer au rang des hommes utiles et rares, c’est Lhomond, le bon Lhomond comme on l’appelait, dont le nom et les excellents livres sont si connus des écoliers, moins au courant peut-être de ses actions, des détails de sa vie si noble ; aussi croyons-nous qu’on nous saura gré de les rappeler.

Lhomond (Charles-François), né à Chaulnes, diocèse de Noyon, en 1727, fit ses études comme boursier au collége d’Inville dont il devint plus tard principal.

Nommé ensuite professeur au collége du cardinal Lemoine, il vint à Paris pour y remplir ses fonctions et en même temps avec la pensée de se faire recevoir à la licence. Mais tout à coup on le vit renoncer à ce projet comme à toute idée d’avancement pour se consacrer avec une sollicitude infatigable à l’instruction des plus jeunes enfants. En vain par la suite on voulut le tenter par l’offre d’autres chaires et de places estimées selon le monde plus honorables, plus avantageuses, invariablement il répondait :

— Je suis plus utile là où je suis, je n’abandonnerai pas mes sixièmes.

Et, pendant plus de vingt ans, on le vit avec le même zèle se dévouer à ses modestes fonctions (quoiqu’elles ne fussent guère pour lui une fatigue) en se délassant par la composition de ces livres élémentaires « où brillent, dit M. Lefebvre Cauchy, tout ensemble une saine littérature, un bon jugement et une piété solide. »

De cette vertu chrétienne il donna maintes fois la preuve et en particulier lors des événements malheureux qui vinrent troubler tout-à-coup cette existence jusqu’alors si paisible quand éclata la Révolution. Arrêté au commencement d’août 1792, il fut enfermé avec un grand nombre d’ecclésiastiques insermentés dans la prison de Saint-Firmin d’où il semblait ne devoir sortir que pour être conduit à l’échafaud. Mais il avait eu naguère pour élève Tallien qui, prévenu de l’arrestation de son maître, dont le souvenir lui était resté cher et vénérable, le fit mettre en liberté.

Au bout de quelques mois cependant, Lhomond jugeant de nouveau sa vie en péril, crut qu’il serait plus prudent de s’éloigner de Paris. Il partit donc, et à pied ; mais arrivé sur le boulevard de la Salpétrière, il se vit tout à coup assailli par deux militaires, ou prétendus tels, qui le laissèrent pour mort après lui avoir enlevé l’argent qu’il portait sur lui.

Relevé par des passants charitables, venus par hasard dans cet endroit alors désert, Lhomond fut transporté dans la maison la plus voisine, où des soins empressés le rappelèrent à la vie. À quelque temps de là, l’un des voleurs ayant été pris, Lhomond, par les bons offices d’une personne obligeante, recouvra son argent. Comme on le pressait d’ailleurs de ne pas laisser le crime impuni et d’en poursuivre la vengeance devant les tribunaux, il s’y refusa en disant :

« Je n’en ferai rien ; si vous vouliez faire tenir à ce malheureux la moitié de la somme qu’il m’a laissée, vous m’obligeriez, il peut en avoir besoin.

L’année suivante, Lhomond mourut tout probablement par suite de cette violente secousse.

Cet homme excellent, ce chrétien fervent et humble était un homme aimable, et sa conversation enjouée était souvent égayée par des bons mots qui faisaient de lui un causeur charmant comme un maître que ses élèves ne se lassaient pas d’entendre.

On raconte encore de lui cette particularité : il avait coutume de faire tous les jours, n’importe la saison et le temps, une promenade à pied jusqu’à Sceaux, et c’est à la régularité de cet exercice quotidien qu’il attribuait sa bonne santé. La recette est facile pourvu qu’on ait de bonnes jambes.