Les rues de Paris/Chaise (La)

Bray et Rétaux (tome 1p. 167-172).


DE LA CHAISE



Cette rue s’appela d’abord chemin de la Maladrerie, puis rue des Teigneux, noms qui lui furent donnés à cause d’un hôpital s’élevant sur l’emplacement occupé ensuite par l’hospice des Petits Ménages, monument, non, bâtiment qui lui-même va disparaître, car les démolisseurs sont à l’œuvre et paraissent pressés d’en finir.

On n’aura point à le regretter, si surtout à la place de ce vaste mais peu gracieux édifice, ayant un peu l’extérieur d’une prison, nous voyons s’épanouir le beau square que promet l’ancien jardin de l’établissement. De la rue on apercevait à travers la grille deux ou trois allées d’arbres magnifiques, et l’on n’eût pas demandé mieux parfois que de se reposer sous leur ombrage[1].

Comment et à quelle époque la rue, dite des Teigneux, prit-elle le nom de la Chaise ? Nous l’ignorons. Ce dernier nom lui vient-il d’une enseigne ainsi qu’un historien l’affirme, ou du célèbre Jésuite qui fut pendant tant d’années le confesseur de Louis XIV ? Cette version me paraît préférable, d’abord comme la plus naturelle ; puis parce qu’elle rappelle le souvenir d’un homme qui, dans le poste le plus difficile qui fut jamais, fit preuve d’un mérite peu ordinaire, soit que la prudence chrétienne, ce que nous inclinons à croire, ait dicté sa conduite ; soit, comme l’ont prétendu ses ennemis, qu’elle fut le résultat des calculs de la politique et d’une merveilleuse habileté.

François d’Aix de la Chaise, petit neveu du père Cotton, confesseur de Henri IV, né au château d’Aix, le 25 août 1624, était fils de Georges d’Aix, seigneur de la Chaise, et de Renée de Rochefort. Sa rhétorique terminée au collège de Roanne, il entra comme novice chez les Jésuites. Après deux années de préparation, chargé tour à tour du cours d’humanités et du cours de philosophie, il professa avec éclat, à ce point que ses leçons furent imprimées en 1661, sous ce titre : Abrégé de mon cours de philosophie[2]. Nommé supérieur de la province de Lyon, il fut, sans doute par le conseil de l’Archevêque de cette ville, Villeroi, frère du maréchal, choisi comme confesseur du roi Louis XIV, en remplacement du père Terrier, qui venait de mourir.

« Jusque-là, dit un biographe, le Père La Chaise avait vécu à plus de cent lieues de la cour. Il y parut au commencement de 1675 et s’y montra simple et aisé dans ses manières, poli et prévenant sans affectation. Tous les suffrages se réunirent bientôt en sa faveur. »

Cette unanimité dans la bienveillance ne devait pas être de longue durée ; car, jeté au milieu de toutes les intrigues de la cour comme des complications et des difficultés suscitées tour à tour et presque coup sur coup par les passions du roi, l’affaire du jansénisme, celle du quiétisme, la révocation de l’édit de Nantes, la déclaration de 1682, etc : « Quelque avis qu’il embrassât, dit le biographe déjà cité, il se faisait des ennemis et il lui arriva plus d’une fois de déplaire également aux partis opposés. »

Le biographe exagère et le bon Père ne tint pas autant qu’il l’affirme la balance égale entre les opinions, à moins qu’elles ne fussent indifférentes au point de vue de la conscience. Mais ce qui doit surtout lui mériter nos éloges, c’est que, chargé, par suite de sa position, de la feuille des bénéfices, il s’attachait à ne faire que de bons choix. Il donna aux missions une grande impulsion. Les jansénistes, dont l’hostilité l’honore, l’accusaient de favoriser les passions du roi ; le fait est qu’il travailla avec persévérance à ruiner l’influence de Mme de Montespan et qu’il y parvint. Après la mort de la reine, il crut sage de conseiller et de bénir le mariage du roi avec Mme de Maintenon, qui, dit-on, ne lui pardonna pas de s’être opposé à la publicité de cette union restée morganatique ; il semblait difficile que la veuve de Scarron fût déclarée officiellement reine de France.

Dans sa lettre au cardinal de Noailles (8 octobre 1708), Mme de Maintenon pourtant rendait au père La Chaise cette justice : « Qu’il avait osé louer, en présence du roi, la générosité et le désintéressement de Fénelon. »

Il ne craignait pas d’ailleurs de dire la vérité au roi et même assez rudement parfois, d’après ce que racontait Louis XIV lui-même, après la mort du père La Chaise : « Je lui disais quelquefois : « Vous êtes trop doux ! — Ce n’est pas moi qui suis trop doux, répondait-il, c’est vous, sire, qui êtes trop dur. »

Le roi cependant ne voulut jamais consentir à ce qu’il prît sa retraite bien que, devenu plus qu’octogénaire, le père La Chaise la demandât ; mais y mit-il assez d’insistance ? « Il lui fallut porter le fardeau jusqu’au bout. La décrépitude et les infirmités ne purent l’en délivrer. Sa mémoire s’était éteinte, son jugement affaibli, ses connaissances brouillées, et Louis XIV se faisait apporter ce cadavre pour dépêcher avec lui les affaires accoutumées. »

Ainsi s’exprime Saint-Simon, si peu favorable aux Jésuites. Plus loin il ajoute : « Désintéressé en tout genre quoique fort attaché à sa famille ; facile à revenir quand il avait été trompé, et ardent à réparer le mal que son erreur lui avait fait faire ; d’ailleurs judicieux et précautionné, il ne fit jamais de mal qu’à son corps défendant. Les ennemis même des Jésuites furent forcés de lui rendre justice et d’avouer que c’était un homme de bien, honnêtement né et très-digne de remplir sa place. »

Sa conduite, à l’égard de ses nombreux ennemis, en est la meilleure preuve : « Libelles, couplets satiriques, histoires scandaleuses, dit M. de Chantelauze, ne cessèrent de l’assaillir de toutes parts durant tout le cours de son ministère. Bien qu’il eût en main un pouvoir qui dût inspirer de sérieuses craintes à ses ennemis, il ne se vengea de leurs calomnies en toute occasion que par le silence. Plusieurs puissantes cabales s’élevèrent sourdement contre lui pour le supplanter : il eut l’habileté de les découvrir à temps et de les déjouer sans en tirer vengeance et sans faire le moindre éclat. »

Le chancelier d’Aguesseau, un contemporain du père La Chaise et très-prévenu contre les Jésuites, dit aussi de lui : « Le père La Chaise était un bon gentilhomme, qui aimait à vivre en paix et à y laisser vivre les autres ; capable d’amitié, de reconnaissance, et bienfaisant. »

Ce bon gentilhomme, comme dit assez singulièrement le célèbre magistrat, était brave à l’occasion, témoin ce passage d’une lettre de Boileau à Racine, datée de Mons, à l’époque du siége : « J’ai oublié de vous dire que, pendant que j’étais sur le mont Pagnotte, à regarder l’attaque, le R. P. de La Chaise était dans la tranchée et même tout près de l’attaque pour la voir plus distinctement. J’en parlais hier à son frère (capitaine des gardes) qui me dit tout naturellement : Il se fera tuer un de ces jours. Ne dites rien de cela à personne, car on croirait la chose inventée, et elle est très-vraie et très-sérieuse. »

Le P. La Chaise mourut à Paris, le 20 janvier 1709, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Il était membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et se montrait fort assidu aux séances.

Les Jésuites avaient acheté, en 1626, non loin de Paris, une maison de campagne appelée la Folie-Regnault, qu’ils nommèrent plus tard le Mont-Louis, en l’honneur du roi. Cette résidence que Louis XIV fit embellir et agrandir, par considération pour son confesseur, devint une villa fort agréable, comme on dirait aujourd’hui, où volontiers le père La Chaise aimait à venir se reposer et se distraire en compagnie de ses confrères. Aussi lorsque sous l’Empire, ce terrain fut converti en cimetière, le funèbre enclos prit le nom de La Chaise. Quand on songe qu’en soixante années au plus, le cimetière de l’Est, continuellement agrandi, est devenu l’immense nécropole que nous voyons, on ne peut s’empêcher de dire avec le refrain de la ballade allemande : Les morts vont vite.



  1. Ces arbres, à l’exception de trois ou quatre, ont été abattus l’an dernier, pendant le siége.
  2. 2 petits vol. in-folio, à Lyon.