Les révélations du crime ou Cambray et ses complices/Chapitre V

CHAPITRE V.


Expédition au Carouge. — Madame O… — Un vol pour rire. — Vol avec effraction, chez le nommé Paradis à Charlesbourg.


« À peine sommes-nous arrivés à Québec, Cambray et moi, que nous recommençons nos visites chez Madame A…, où nous trouvons Matthieu et Gagnon, qui y demeuraient. Entre autres projets, il fut question de faire une visite à un vieillard du nom de Paradis, qui demeurait, nous dit-on, au Carouge, et possédait d’immenses sommes d’argent. Il fut convenu que Cambray et moi nous nous procurerions les renseignemens nécessaires le lendemain. En effet, nous fîmes le voyage, mais presque sans succès. Nous trouvâmes la porte fermée, et une vieille femme (M. O…) qui demeure seule avec sa fille sur le chemin du Carouge, et y tient une espèce d’auberge, nous apprit que Paradis était allé demeurer à Charlesbourg. Nous rentrons dans la ville au commencement de la nuit, et rendons compte à nos Camarades de ce que nous a appris Madame O… »

« À propos, » dit Matthieu, « elle doit avoir de l’argent cette vieille-là, depuis si longtemps qu’elle et sa fille font le commerce. Allons dès ce soir tâter de leur pistrine. » — « À quoi bon ! » lui dis-je, « je la connais bien : c’est une pauvre femme, qui n’a pas le sou : sans compter que nous sortons de chez-elle.

« N’importe, n’importe, allons toujours ! »

« Et nous voilà partis. »

« Nous fesons sauter la porte sans cérémonie avec de forts leviers, les deux femmes épouvantées s’échappent par une fenêtre de derrière ; nous les poursuivons, et nous les ramenons bon gré mal gré ; sans plus tarder, nous les jetons toutes deux à la cave, où Cambray et Matthieu les suivent pour les consoler.

« Tiens, tu vois bien cette cave, » me dit Gagnon, « c’est la seule manière de faire les choses en sûreté. »

« Toute cette scène s’était passée dans les ténèbres, qui nous étaient nécessaires ; car nous n’étions pas déguisés : ce n’était pas notre usage. Les moineaux une fois dans le cachot, Gagnon et moi nous fesons de la lumière, et tandis que nos camarades s’amusent à leur guise dans la noirceur, nous apportons sur la trappe de la cave une petite table, que nous chargeons de bouteilles et de provisions, et assis tous deux en face l’une de l’autre nous nous mettons à manger, à boire et à chanter comme des lurons. Les deux autres ne tardent pas à sortir de leur cage, et à nous rejoindre. »

« Elles peuvent appeler cela comme elles le voudront, » dit Matthieu en sortant ; « mais du moins la résistance n’a pas été grande : le diable m’emporte, si elles n’ont pas pris cela comme une bonne fortune. J’ai pincé le bras de la fille, elle a eu cinq cents amants, m’a-t-elle avoué ! »

« Et moi, je lui ai ôté son jonc, » dit Cambray, en nous le montrant. »

« Bientôt nous chargeons la trappe de la cave de tout ce qui nous tombe sous la main, poêle, coffres, chaudrons, marmites ; et nous nous mettons à piller la maison. Après nous être emparés des meilleures hardes et de quelques pièces d’argent que nous trouvons, nous excitons nos deux belles prisonnières à la patience, et nous détalons. »

« Le jour suivant fut consacré à une nouvelle excursion à Charlesbourg, où Cambray et moi allâmes à la recherche de Paradis, que nous trouvâmes enfin. Cambray lui parla sur sa porte, pour lui demander le chemin du Lac Beauport. Cependant nous n’avions pas connu les êtres de la maison, et j’y retournai le lendemain avec Gagnon, qui y entra sous le prétexte de s’informer de la route qui conduit à Craig’s-mill, dont nous lui avions écrit le nom sur un morceau de papier. Je ne me montrai pas, je craignais que ma taille et mon bégaiement ne me fissent reconnaître. Nous revenons chez Cambray, et de là nous partons tous quatre le même soir pour l’expédition. C’était, je crois, le 3 Février, (1835.)

« Nous nous lançons tous ensemble avec des leviers sur la porte qui s’ouvre avec fracas, et nous nous précipitons dans la première salle. Quelle est notre surprise d’apercevoir au milieu de la chambre un vieillard à genoux, les mains jointes et levées vers le Ciel, tremblant, priant, et criant : »

« Miséricorde ! miséricorde ! mille fois miséricorde ! »

« C’était un mendiant qui avait pris là son gîte pour la nuit. Sa peur et ses prières nous firent éclater de rire. L’un s’empare du mendiant, un autre prend au collet le vieux Paradis dans son lit, et nous les envoyons tous deux de compagnie à la cave. »

« Je voulus entrer dans un cabinet, où j’avais vu remuer quelqu’un. »

« N’entre pas là, » me dit Cambray, fesons les choses en ordre, et partageons en frères. »

« Laisse-moi faire, » lui dis-je, « il y a là quelque jolie fille, la nièce du bonhomme : c’est à mon tour ce soir. »

« Reste avec nous, te dis-je ; reste, ou tu es mort ! »

« Je fus forcé d’obéir. Nous enfonçons un tiroir, et dans une boite de fer blanc nous trouvons une grande quantité de pièces d’or, que Cambray met dans ses poches. Nous nous préparions à retirer Paradis de la cave, pour lui faire avouer où était le reste de son argent, décidés à le faire assoir sur le poêle qui était rouge, au cas qu’il voulût regimber, opération destinée à tous ceux qui fesaient les méchans enfans ou qui ne donnaient pas de bonne grâce, quand l’un de nous s’apperçut que quelqu’un s’était échappé par une fenêtre du cabinet où j’avais voulu entrer. C’était sans doute la jeune fille qui était sortie. Craignant que l’alarme ne fût donnée dans le canton, nous fûmes forcés d’évacuer la place à la hâte et plus tôt que nous ne le désirions. Quand nous fûmes à quelque distance, G…g…n nous montra un pistolet, qu’il nous dit avoir arraché des mains de Paradis. « Sur la route, Cambray s’approchant de moi me dit à l’oreille : »

« Il faut tâcher d’embêter G…g…n et Matthieu. Cache cet or-ci. » « Et il me remit dix-huit doublons et quinze piastres. Il glissa adroitement le reste dans les doublures de ses pantalons et dans ses chaussures. Rendu chez lui, il mit la main dans ses poches, en retira quelques piastres, et en remit seize à G…g…n et Matthieu pour leur part ; pour moi j’en reçus quarante huit, et Cambray dut en garder pour lui pas moins de six cents et quelques. Nous avions mis le vieux Paradis à contribution pour £170.

« Tandisque nous étions d’humeur, nous continuâmes à travailler. Nous enfonçâmes le bureau de M. Parke, Marchand à la Basse-ville, et nous en enlevâmes quelque argent et un télescope, que Cambray s’appropria, pour satisfaire une fantaisie, ainsi qu’il le disait. »

« Nous vivions alors dans la plus grande sécurité ; personne ne nous soupçonnait ; nous entendions chaque jour raconter les détails de nos brigandages, et nous nous permettions aussi la réflexion morale. Cambray et moi voyions toujours des sociétés bien respectables. Quand plus tard des soupçons se furent élevés contre nous, et que nous fûmes incarcérés, trouvé en possession du Télescope pris chez M. Parke, eut son procès pour ce vol, mais ne fut pas trouvé coupable.

« Enhardis par nos premiers succès, nous ne nous arrêtâmes pas là, et le vol de la Chapelle de la Congrégation fut commis. J’ai rendu témoignage dans cette affaire, et le procès de Gagnon, complice dans ce crime, vous fournira tous les détails de cette audacieuse entreprise. »