Les préjugés contre l’Espéranto/Lettre-préface

LETTRE-PRÉFACE

À Félicien de Ménil, à l’auteur de notre Marseillaise espérantiste.

Cher ami,

La lecture de ta brochure si convaincante – parce que sincère — m’a fait revivre les heures de lutte en commun aux côtés de ces cœurs généreux, de ces hommes désintéressés qui forment notre phalange espérantiste, sans cesse croissante, puisqu’il n’y a jamais eu de déserteurs dans nos rangs. Elle m’a fait revivre cette délicieuse soirée du 22 octobre 1907 où, dans la petite salle de l’Université populaire du faubourg Saint-Antoine, nous avons escrimé avec M. Gaubert.

Le sabre de notre adversaire — qui sera bientôt, espérons-le notre ami — était de bois et s’est rompu au premier choc de nos épées d’acier.

À vaincre sans péril on triomphe sans gloire.

Mais, si nous n’avons pas encore réussi à convaincre pleinement M. Gaubert et ses jeunes amis qui lui faisaient escorte, nous avons eu la grande satisfaction d’attirer à nous son éditeur.

Le beau geste de M. Bernard Grasset venant nous offrir, spontanément, au sortir de la conférence, de publier une réponse à La Sottise Espérantiste honore autant celui qui l’a fait que l’Espéranto qui l’a provoqué. Et je ne sais qui nous devons remercier le plus de l’Espéranto qui permet de telles victoires, de M. Gaubert qui nous a fourni une si belle occasion de faire mieux connaître notre langue, ou de son éditeur qui nous donne une preuve de largeur d’esprit peu commune.

D’ailleurs l’expérience nous a appris depuis longtemps que les détracteurs de l’Espéranto servent au moins autant notre cause que ses défenseurs.

Frappé de cet enthousiasme communicatif qui caractérise nos réunions espérantistes, peut-être plus ébranlé qu’il ne voulait en avoir l’air, un des amis de notre contradicteur me disait, en sortant de la salle encore toute chaude de nos discussions passionnées :

« Mais c’est du Messianisme que votre Espéranto ! Vous n’êtes pas des propagateurs, mais les apôtres d’une religion nouvelle ! »

L’Espérantisme n’est certes pas une religion ; mais, de même que le Christianisme doit peut-être ses succès aux persécutions, de même l’Espéranto puise de nouvelles forces dans les attaques.

Et ce ne sont là probablement que des escarmouches d’avant-garde.

À mesure que grandira notre Œuvre, nous verrons grossir l’armée des contradicteurs routiniers et des concurrents jaloux. Les uns essaieront d’opposer une barrière à notre flot envahisseur, les autres tenteront de le détourner à leur profit. Mais, confiants en notre avenir, certains de notre bon droit, nous poursuivrons obstinément notre conquête pacifique, sans peur et sans reproche.

« À cœurs vaillans, riens impossible ! »
Carlo Bourlet