Les préjugés contre l’Espéranto/Avant-propos

AVANT-PROPOS

Quelques mots à l’auteur de la Sottise Espérantiste

M. Ernest Gaubert, dans une brochure de quelques pages qu’il intitule La Sottise Espérantiste — mais dont le titre plus exact serait : Sottises à propos de l’Espéranto — se fait l’écho de quelques préjugés répandus, au sujet de cette langue auxiliaire, chez les personnes d’esprit superficiel comme chez ceux qui — tels les gens de qualité d’autrefois — savent tout sans l’avoir appris.

Un certain nombre de ces préjugés se trouvent dans sa ridicule[1] brochure, mais il en est d’autres encore, sans doute ignorés de lui ; nous allons tâcher de les grouper en un seul faisceau pour mieux en démontrer tout le néant et toute l’absurdité.

Quelques-uns de ces préjugés ont été combattus mainte et mainte fois déjà. Mais semblables aux sept têtes de l’hydre, qui repoussaient à mesure qu’on les tranchait, les préjugés reviennent à certaines époques. Oserons-nous espérer, qu’avec le bonheur du héros de la légende, nous les abattrons définitivement et que les têtes de l’hydre ne renaîtront plus sur leur tronc exaspéré ? Ce serait peut-être un trop beau rêve ! Toutefois au moment où une brochure, qui voudrait être bruyante, essaie de donner corps à ces fantômes peu terrifiants, il nous a paru utile d’approcher de près ces visions horrifiques, afin de bien nous convaincre qu’elles sont vapeurs mensongères.

Puissent donc ces quelques pages, qui s’adressent principalement aux indifférents, leur apprendre ce que valent les préjugés anti-espérantistes, ce qu’est l’Espéranto, ce qu’il veut, et les intéresser enfin à ses progrès toujours croissants. C’est là ce qu’il importe de faire bien connaître.

L’Espéranto aura longtemps encore contre lui, les ignorants de parti pris et de mauvaise foi. Avec ces derniers est-il besoin vraiment d’entrer en discussion ? « Les chiens aboient, la caravane passe, » dit le proverbe arabe.

Je crains fort que le fougueux adversaire de l’Espéranto — l’auteur de la Sottise, — n’appartienne à cette dernière catégorie. Lorsque l’on veut s’attaquer à un ennemi, il est utile de connaître les défenses que cet ennemi peut opposer ; il est indispensable de posséder des renseignements exacts sur sa valeur et sur les forces dont il dispose ; faute de quoi on se jette dans la lutte avec la très discutable sagacité dont fait preuve la corneille qui abat des noix.

Peut-être M. Gaubert a-t-il cru qu’il suffisait d’un peu — oh ! combien peu ! — de bagout méridional pour traiter cette question de la langue auxiliaire, dont se sont longuement préoccupés (quoi qu’en dise M. Rémy de Gourmont), Bacon, Descartes, Leibnitz, Locke, Condillac, Ampère, Burnouf, Max Muller, — des esprits d’une haute envergure, ceux-là, — et pour trancher la question par la négative, au nom du bon sens national qui ne paraît pas dans la circonstance d’être incarné dans la personne de M. Gaubert.

De deux choses l’une : ou M. Gaubert à étudié la question avant de se lancer, tête baissée, contre l’Espéranto, et il n’a pas eu la bonne foi de tenir compte des renseignements puisés par lui au cours de son étude ; ou bien il est parti en guerre sans avoir la moindre notion de la grande idée qu’il voulait tourner en ridicule ; cela ne paraît pas être le fait d’un tacticien très sérieux.

Une seule chose pourrait lui servir d’excuse : c’est de n’avoir pas compris un seul mot à la question.

M. Gaubert est « un jeune homme qui ne se recommande que de sa seule sincérité, de son amour pour les lettres françaises et du bon sens national ». Ce sont là de bien piètres recommandations qu’il s’est choisies en la querelle et l’on verra, dans la suite de ces pages, ce qu’est la sincérité de M. Gaubert, ce que le bon sens national pense de l’Espéranto, et les avantages que les lettres françaises peuvent tirer d’une langue auxiliaire.

L’auteur de la Sottise déclare ensuite que « par lâcheté, par complaisance, par snobisme, par indifférence ou simplement pour se venger de ne savoir pas écrire leur langue natale — (sans doute M. Gaubert veut dire langue maternelle !) — un certain nombre d’artistes et d’hommes de lettres qui ne sont pas tous médiocres (merci pour eux ! Mais comment ne sont-ils pas tous médiocres, s’ils ne savent point écrire leur langue maternelle… pardon natale) — prêtent leur appui à la diffusion d’une langue artificielle inesthétique et ridicule ».

Est-ce qu’au contraire il n’y aurait pas un certain nombre d’hommes de lettres qui, glorieusement inconnus, cherchent, en attaquant l’Espéranto, à faire naître autour de leur nom tout le bruit que ne parviennent pas à créer leurs écrits, dont la longue liste se trouve en première page de leurs pamphlets anti-espérantistes ?

Le bon « jeune homme » qu’est notre détracteur en chef demande encore qu’on lui permette « avec toute l’irrévérence de son âge de rire au nez des pontifes et des adeptes de l’Espéranto ». Mais comment donc, cher Monsieur, je vous en prie, ne vous gênez pas ! Riez, nous vous le permettons. Vous n’êtes même pas le premier. D’autres, avant vous, ont ri de l’Espéranto, qui ne s’en est d’ailleurs pas porté plus mal. Riez à votre aise, puisque vous n’avez pas d’autre argument. Pourtant n’oubliez pas que celui-là rit vraiment bien qui rit le dernier.

Mais laissons un instant M. Gaubert et sa Sottise. Faisons ce qu’il s’est bien gardé de faire : Apportons des faits, discutons-les sans parti pris et tâchons d’en tirer les véritables conclusions.

  1. L’auteur de la Sottise ne saurait se formaliser que l’on emploie à son égard les expressions un peu brutales dont il s’est servi envers les partisans de l’Espéranto.