Les oiseaux dans les harmonies de la nature/Partie 2/Chapitre 5
CHAPITRE V.
Il s’en faut de beaucoup que le droit de tuer l’oiseau soit sans restriction, et il ne faut pas se lasser de le dire, à une époque où tant de personnes ne voient dans cet être autre chose qu’un gibier.
Ce droit cesse quand la chair est mauvaise, comme celle du héron gris[1] ; quand, étant de bonne qualité, elle est d’un poids insignifiant, comme celle du troglodyte ; quand, la chair ayant de l’importance comme qualité et comme poids, la mort de l’oiseau qui la fournit doit nous priver de services considérables, ce qui a lieu quand on tue les martinets.
Un caractère principal de l’oiseau gibier, c’est-à-dire de celui qui peut paraître sur nos tables, c’est le développement des chairs, tel que nous le trouvons dans le pigeon, la perdrix, la poule et le canard.
L’oiseau gibier a comparativement plus de chair que les autres oiseaux, ainsi qu’il résulte de quelques pesages :
NOMS DES OISEAUX | Poids total | Poids sans la chair | Poids de la chair | Différence résultant de la dissection |
Grammes | Grammes | Grammes | Grammes | |
Oie sauvage, anser sylvestris |
3482. | 1014. | 2283. | 185. |
Canard sauvage, anas boschas |
1090. | 374. | 864. | 51.80 |
Canard souchet, anas clypeata |
627. | 199.50 | 405. | 22.50 |
Grande sarcelle (mâle), anas querquedula |
327. | 130. | 179. | 18. |
Grand ramier, columba palombus |
416. | 144. | 257. | 15. |
Perdrix grise, perdix cinerea |
351. | 122.30 | 219.80 | 9.90 |
Caille, perdix coturnix |
129. | 41. | 76. | 7.70 |
Faucon cresserelle, falco tinnunculus |
216. | 107.20 | 104. | 4.80 |
Geai, garrulus glandarius |
153. | 75.90 | 74. | 3.85 |
Étourneau, sturnus vulgaris |
80.25 | 40.50 | 33. | 1.75 |
Hirondelle rustique, hirundo rustica |
20. | 10.20 | 8.30 | 1.50 |
Fauvette à tête noire, sylvia atricapilla |
15.60 | 7.52 | 7.10 | 0.98 |
Grimpereau, certhia familiaris |
10.20 | 5.60 | 3.70 | 0.90 |
Roitelet moustache, regulus ignicapillus |
5.10 | 2.25 | 2. | 0.8 |
L’oiseau gibier appartient aussi, en général, au groupe des végétalivores et surtout à celui des gallinacés et des palmipèdes, c’est-à-dire des oiseaux qui sont les moins utiles comme éliminateurs ; nous ne devons pas lui demander annuellement un tribut qui soit excessif. Il doit être tel que la production des années à venir puisse être non-seulement égale, mais encore supérieure à celle des années passées.
Si les oiseaux sont sans valeur appréciable comme gibier, soit parce que leur chair est mauvaise, soit parce qu’elle est d’un très-petit poids, et s’ils sont nécessaires comme ouvriers à l’accroissement de la richesse publique ou comme artistes pour nous procurer certaines joies, nous devons en tuer peu ou point.
Vous ne voyez pas le héron gris et la chouette sur une table bien servie.
Voici le poids net de trente oiseaux qui appartiennent à nos petites espèces et qui ont été plumés, vidés et désossés :
En présence de pareils chiffres, quelles excuses peuvent donner les mangeurs habituels des petits oiseaux ?
Être obligé de détruire 250 roitelets pour avoir 500 grammes de viande ! quand ces 250 charmants volatiles peuvent donner en une année 91,260 journées de travail et éliminer ainsi plusieurs milliards d’insectes dans l’intérêt des forêts et surtout des arbres verts.
Comment aussi, au souvenir des chants si attendrissants et si délicieux du troglodyte, de la fauvette à tête noire, du rouge-gorge, du rossignol, ne pas se demander combien il faut de ces chers artistes pour produire 500 grammes de viande ?
Quand nous possédons un instrument de travail, comme un échenilloir, un instrument de musique, comme la flûte, un livre pour notre enseignement, l’idée ne nous vient pas de les détruire, ni de nous en défaire à vil prix ; pourquoi ne pas agir ainsi quand un livre, un échenilloir, un instrument de musique se trouvent personnifiés dans un oiseau gracieux comme la fauvette à tête noire, et surtout quand cet oiseau est le bien commun de tous ? Sa chair pèse 7 grammes 10 centigrammes.
De tout temps, dans notre région, on a respecté les infatigables émoucheurs qu’on nomme hirondelles ; nous ne mangeons pas l’oiseau de notre cage, le rossignol de notre jardin, et nous nous sentons pris de tristesse quand ils meurent ou quand ils nous quittent. Ces sentiments sont bien naturels, il faut leur laisser une place dans notre cœur. Ne nous lassons donc pas de recommander le respect des petits animalivores ; à notre époque de chasse excessive et de braconnage effréné, nous n’avons pas à craindre leur trop grande multiplication.
Pour seconder ou contenir à ce sujet l’action des mœurs, la loi doit prohiber les procédés de chasse qui rendent la destruction trop grande, et même défendre de tuer, vendre et colporter ceux des oiseaux qui sont les plus utiles.
Gardons-nous enfin de croire que les oiseaux, dignes de notre respect, ne sont utiles que dans leur résidence d’été. À l’état de passage, ils ont, ainsi que nous l’avons dit, pour mission de contrôler, de rectifier et de compléter les travaux laissés inachevés par les oiseaux sédentaires. Comme les eaux d’un fleuve, ils traversent de nombreuses propriétés et contribuent à leur fécondité ; il est donc de toute équité que les propriétaires inférieurs aient, par rapport aux propriétaires supérieurs, des droits analogues à ceux que consacrent les art. 641, 643, 644 et 645 du Code civil, pour l’usage des eaux courantes.
Nous pouvons être certains que nous agirons utilement en favorisant de tout notre pouvoir la multiplication des oiseaux serviteurs et des oiseaux gibier. D’abord demandons de sages restrictions au droit de chasse ; la loi est mauvaise ou elle est mal exécutée, quand les oiseaux ne sont pas assez nombreux pour produire tout le bien que les hommes doivent attendre d’eux.
Ensuite, recherchons les procédés que conseillent la logique et l’expérience.
Nous avons démontré que, dans la nature, les forces de l’élimination se proportionnent aux forces de la production ; ainsi, la culture intensive des champs et des jardins attire de nombreux insectes, comme aussi ceux des oiseaux qui se nourrissent de plantes, de graines, de fruits, de baies ; si l’on veut se garantir contre le débordement de ces insectes, il faut attirer et protéger les insectivores des bois, tels que les fauvettes, qui peuvent résider, nicher, stationner ou simplement passer dans les champs, dans les jardins et les pépinières. Par exemple, laissons dans la plaine des arbres et quelques arbustes ; dans les jardins et les parcs, fixons aux arbres des nids artificiels en bois creusé ; quand les arbres nous manquent dans un champ, près des meules de blé, courbons des baguettes qui puissent servir de juchoir aux chouettes.
Si M. Arbeaumont, dont nous avons parlé (page 33), avait favorisé dans sa pépinière, la nidification des insectivores, il n’aurait pas éprouvé tout récemment des dommages aussi considérables ; avec des nids artificiels, il aurait eu facilement des étourneaux.
Souvent, à l’époque des nichées, j’ai vu ces oiseaux faire continuellement plusieurs kilomètres pour arriver au sillon creusé par le laboureur et saisir les vers blancs que le soc de la charrue met à découvert.
En général, il est bon de protéger dans les champs, et même dans les jardins, les petits granivores, puisque, indépendamment des insectes que beaucoup d’entre eux mangent, tous, et pendant toute l’année, ils détruisent les semences de ce qu’on appelle vulgairement les mauvaises herbes. Seulement, quand ces granivores nous causent de véritables préjudices, en se jetant sur nos grains et nos semences, il convient de les épouvanter pour les éloigner.
Il faut également pratiquer cette innocente guerre à l’égard des insectivores qui abusent de nos fruits sucrés. Il existe des épouvantails spéciaux pour beaucoup d’espèces d’oiseaux ; ainsi, de même que le pépiniériste doit attirer les étourneaux, en favorisant leur ponte au moyen de nids artificiels, de même, s’il a des cerisiers, il doit, quand les cerises mûrissent, coupler et pendre aux arbres des ardoises qui, au souffle du vent, s’agitent, font du bruit et éloignent ainsi ces oiseaux.
Les épouvantails ne nous préservent pas de toutes pertes ; mais par cela même les oiseaux se trouvent encore attirés dans les lieux où ils sont utiles ou nécessaires.
Aussi, quand les fruits sont pour nous sans valeur, et que, pour cette raison, nous pouvons en faire l’abandon, ils deviennent un appât très-profitable à nos intérêts.
Je me trouve bien de réserver, dans la futaie d’un bois, des cerisiers, des merisiers, des alisiers, des sorbiers ; dans les taillis, les arbustes qui se couvrent de baies, et dans les jardins le micocoulier. Les oiseaux insectivores, attirés par ces fruits sucrés, y séjournent, y nichent et y font la police des insectes. C’est grâce aux baies qui, pendant les neiges, sont une dernière ressource, que nous pouvons conserver, en hiver, les litornes et les merles.
L’eau est, comme la nourriture, un appât principal, dans les plaines et surtout dans les forêts où il n’y a ni fontaine ni ruisseau. Creusons des trous pour que l’eau pluviale y séjourne ; cette pratique serait surtout utile dans les plantations de pins de la Champagne.
Empêchons le dénichage.
Ne dérangeons jamais les couveuses.
Faisons la guerre aux animaux qui détruisent nos oiseaux utiles ; quand nous voyons un nid sur un arbre de notre verger, entourons d’épines le pied de cet arbre afin d’éloigner les chats.
Pour attirer les oiseaux, employons les principaux moyens dont se servent les chasseurs ; nous réussirons d’autant plus que nous ne leur ferons pas de mal, et nous arriverons ainsi à les retenir et à les fixer dans nos propriétés.
On peut aussi, dans une certaine mesure, avoir recours à la domestication des oiseaux serviteurs ; des amateurs élèvent, dans les jardins entourés de murs, des échassiers qui en éliminent les insectes.
J’ai connu un œdicnème qui a vécu pendant trois ans libre et apprivoisé.
Il faut, selon l’usage, protéger les hirondelles et la construction de leurs nids, et, par suite, laisser, à partir du 25 mars, aux écuries et surtout aux étables à vaches, des ouvertures qui permettent aux hirondelles rustiques d’y pénétrer et d’y nicher.
Il importe surtout de faire naître la conviction que les oiseaux sont aussi utiles qu’aimables, et alors on saura bien trouver les moyens d’en multiplier le nombre.
Il est nécessaire que la science qui nous a fait faire des progrès dans l’art des armes et de la destruction, nous en fasse faire également dans l’étude de la protection et de la conservation, et que l’ornithologie contrebalance les effets désastreux d’une chasse inconsidérée et excessive.
Il est indispensable que les hommes qui sont à la tête de la société fassent ou aident à faire de bons règlements sur la chasse et l’enseignement de l’ornithologie et qu’ils donnent l’exemple, quand il s’agit de protéger et de multiplier les oiseaux utiles. Alors ils seront complétement en droit de demander aux dénicheurs de respecter les œufs et les jeunes oiseaux que, chaque année, ceux-ci détruisent par millions, et la France sera autorisée à réclamer aux autres nations, et à l’Italie surtout, où passent beaucoup de nos oiseaux, le respect dont elle donnera l’exemple.
Nous avons moins d’oiseaux qu’autrefois. Les vieux dénicheurs, en cela si compétents, disent qu’ils en voient beaucoup moins que dans leur enfance. Les insectivores ne sont plus en assez grand nombre, le gibier devient de plus en plus rare. Dans notre région, nous avons perdu, depuis 1830, une dizaine d’espèces sédentaires, entre autres, l’oie cendrée {anser ferus), la perdrix rouge (perdix rubra), la grande outarde (otis tarda). Les dernières perdrix rouges ont été tuées dans les environs de Vitry, en 1830, à Saint-Dizier, et à Chancenay, en 1831, à Chevillon, en 1867 ; les dernières jeunes outardes ont été prises à la Fère-Champenoise, en 1846.
L’espèce du dronte, qui avait la taille d’une oie, a disparu depuis 1696.
Et cependant les besoins de la consommation grandissent ; les produits de la culture augmentent et varient considérablement ; on acclimate et on désacclimate, on défriche, on plante ; pour faire face aux nécessités nouvelles, pour suivre toutes les évolutions de nos idées et de nos cultures, il nous faudrait un nouveau contingent d’oiseaux.
Ces vérités deviennent évidentes pour tous.
Beaucoup de comices agricoles reconnaissent que les ravages occasionnés par les insectes sont devenus plus graves. Il est à remarquer aussi que le nombre de ces animaux est en raison inverse de celui des oiseaux ; or, le plus souvent cette coïncidence n’est pas le résultat du hasard, mais un rapport de cause à effet, d’un principe avec ses conséquences. Quand on s’est laissé aller à dénicher et à tuer pendant les neiges les oiseaux d’un village, au printemps suivant, les jardins sont envahis par les insectes et surtout par les chenilles. Quand un cultivateur n’attire pas les hirondelles ou qu’il les laisse détruire, ses fumiers, ses viandes, ses laitages, les fruits sucrés de son jardin, les raisins de ses treilles et de ses vignes, son bétail et même les habitants de la maison sont sans cesse assaillis par les mouches.
Les maires insistent plus que jamais pour que l’échenillage se fasse rigoureusement et conformément à la loi.
Des primes sont offertes par certains départements, par quelques communes et par des particuliers pour la destruction des vipères et des hannetons.
Dans quelques pays, et surtout dans les environs de Paris, on décortique ou on blanchit à la chaux les troncs des arbres infestés d’insectes.
La plupart des horticulteurs emploient le soufre, la poudre, le tabac, la chaux, différents produits chimiques, tels que la sauce de tabac et la naphtaline, pour empêcher l’invasion de ces petits, mais innombrables ennemis.
Les laboureurs en détruisent beaucoup en déchaumant leurs champs aussitôt l’enlèvement des récoltes. Ils se font quelquefois escorter par des enfants armés de balais et par des chiens qui se précipitent sur les mulots et les campagnols. Des propriétaires de la Marne creusent dans leurs champs de petits trous pour y placer des pots remplis à moitié d’eau. Sur ces pots quelques baguettes sont posées de manière à supporter une planchette recouverte d’avoine. Les souris s’aventurent sur ce léger échafaudage, tombent dans l’eau et s’y noient.
On emploie encore d’autres moyens de ce genre-là. En blanchissant à la chaux l’extérieur des maisons, et même autant que possible l’intérieur et les écuries, on s’épargne des dépôts considérables d’œufs d’insectes qui doivent commencer, activer ou achever la décomposition des matières engrangées, des provisions de ménage et même des charpentes.
Il est bon de dire aussi qu’en épuisant le sol par une production excessive, on en affaiblit les plantes ; on les expose alors à une décomposition prématurée, qui attire des myriades d’éliminateurs. Réagir contre la cause première de cette invasion est, dans ces circonstances, ce qu’il y a de plus efficace.
Même recommandation à faire dans des cas analogues, surtout à l’occasion des plantes et arbustes que l’on importe de pays ou plus chauds ou plus froids que les nôtres. Souvent, en effet, on amène avec eux leurs parasites, et, comme on ne peut fixer les oiseaux qui éliminent ces derniers, il en résulte un mal incurable.
Telles sont les opérations principales auxquelles l’homme peut se livrer et se livre pour se préserver des animaux de petite taille. Elles sont assurément recommandables et dans beaucoup de cas nécessaires. Mais comment pratiquer l’échenillage et le hannetonnage dans une forêt, déchaumer les bords des fossés, des ruisseaux, des rivières, des chemins, etc., faire en grand ce que l’on exécute sur l’arbre fruitier ou d’agrément, dans un coin de jardin, sur un champ ? Comment, par une loi, imposer à l’égard de toutes les propriétés des pratiques si coûteuses et quelquefois impossibles ? Dans le seul département de la Haute-Marne, il y a 49,823 hectares de bois et 7,597 hectares de friches.
Or, si ces mesures ne sont pas générales, elles ne sont pas suffisantes.
À l’état parfait, beaucoup d’insectes ont surtout pour mission de se reproduire et de déplacer leur famille d’après les nécessités de l’élimination. Ainsi, le hanneton, qui vit de dix à douze jours, se transporte d’une forêt dans un jardin, à cinq, dix kilomètres et plus, pour y déposer ses œufs.
De ces œufs éclosent des vers blancs qui, pendant trois ans, pratiquent leurs opérations souterraines sur une surface de quelques mètres. En supposant qu’avec de la naphtaline, de la peine et du temps, le jardinier arrive à détruire ceux de ces vers qui ne se logent pas dans les racines des arbres, que ne lui restera-t-il pas encore à faire ! Une femelle de hanneton pond jusqu’à cent œufs, et sur la lisière des bois, les branches des jeunes arbres plient sous le poids de ces insectes.
En présence de ces difficultés, n’oublions jamais que les oiseaux sont chargés par le Créateur d’immenses travaux, quelquefois impossibles pour nous, et qu’ils les exécutent à des conditions de prix que nous n’obtiendrions de personne.
J’ai élevé un corbeau qui mangeait, par jour, une centaine de hannetons ; il allait jusqu’à 112. Au mois de mai dernier, j’ai ouvert dix estomacs de jeunes corbeaux qui tous regorgeaient de ces insectes.
Est-ce à dire que les oiseaux sont tous et toujours utiles et jamais nuisibles, et que notre droit de les tuer ne doit pas être plus étendu que nous l’avons dit ? Non.
Il est très-peu d’oiseaux qui ne causent quelques dommages ; mais, si nous tenons compte du bien qu’ils nous font, nous pourrons reconnaître qu’ils se réservent une part insignifiante de la richesse qu’ils produisent.
Nous aurions mauvaise grâce à nous plaindre qu’un oiseau ne nous procure qu’une valeur de 10 francs au lieu de 10 fr. 50, et à oublier que la créance de l’ouvrier est privilégiée.
L’hirondelle mange des ichneumons, le rossignol des fruits sucrés de nos jardins, la cigogne du poisson.
Il peut se faire qu’en un moment donné, sur un point quelconque des champs et des jardins, des parcs, des réservoirs, c’est-à-dire partiellement et accidentellement, au point de vue de l’intérêt général, certains oiseaux commettent un véritable dégât ; c’est le cas de les éloigner au moyen d’épouvantails ou de coups de pistolet.
Ces oiseaux étant sensiblement, mais accidentellement nuisibles, on peut se départir un instant des égards qu’on leur doit ; mais l’éloignement et la destruction, si elle est nécessaire, doivent être circonscrits, partiels et momentanés comme le dommage.
Il existe cependant quelques espèces qui semblent être devenues préjudiciables à l’intérêt général et d’une manière permanente.
Par suite des modifications constantes que l’homme produit à la surface de la terre, dans les végétaux comme parmi les animaux, il arrive que de temps en temps, l’équilibre des forces qui s’y meuvent est passagèrement rompu. Or, quand un frein disparaît, le contre-frein devient inutile et même dangereux ; par exemple, les poissons et surtout les oiseaux étant moins nombreux qu’ils ne doivent l’être, certains rapaces qui ont mission d’en réduire le nombre peuvent, en les détruisant actuellement, partout et d’une manière permanente, faire plus de mal que de bien et devenir ainsi nuisibles.
D’un autre côté, l’homme tient à ce qu’il lui soit réservé dans l’avenir une large part des poissons et des oiseaux que les rapaces sont chargés d’éliminer.
Pour déterminer si une espèce d’oiseaux est devenue nuisible, il faut savoir : si habituellement elle détruit les animaux qui nous sont utiles, tels que les oiseaux serviteurs et les oiseaux gibier ; dans quelles proportions elle se nourrit de ceux qui nous nuisent présentement, et si elle ne peut être suppléée pour la spécialité de ce travail ; si elle est particulièrement chargée de détruire plusieurs variétés d’animaux qui nous causent de graves dommages. D’après ces principes, il y aurait, même à notre époque, dans notre région, peu d’oiseaux véritablement nuisibles. D’abord, tous nos petits et moyens rapaces nocturnes sont presque exclusivement des destructeurs de gros insectes comme le hanneton, la courtilière et surtout de petits mammifères, souris et loirs, et, à ce titre, ils sont forts utiles, bien qu’ils soient souvent la victime des préjugés populaires et que, comme oiseaux de proie, ils soient classés parmi les oiseaux nuisibles par beaucoup de préfets.
J’ai quelque temps protégé les hulottes (chats-huants), en raison de ce qu’elles font une grande consommation de souris et même d’écureuils ; cependant, depuis que j’ai trouvé dans les troncs où elles nichent des plumes de mésange, de merle, et des becs de bécasse, j’ai cru devoir signaler ces oiseaux comme quelquefois dangereux pour un parc, mais sans réclamer les rigueurs réservées à l’oiseau nuisible.
J’en dirai autant des buses : elles n’ont pas la vitesse des faucons pour faire la chasse au vol ; mais, pendant qu’elles élèvent des petits, elles détruisent quelques nichées. Comme les hulottes, elles mangent considérablement de souris. En raison des services qu’elles rendent à l’agriculture, nous devons leur pardonner leurs déprédations, sans toutefois leur laisser libre accès auprès de nos réserves de gibier.
La bondrée est, on le sait, à peu près complétement utile ; nous ne voyons donc d’oiseaux réellement nuisibles que chez les faucons. Parmi eux, en effet, il en est qui, comme l’autour et le busard Saint-Martin, semblent être dans nos contrées, d’une manière constante, la cause de plus de mal que de bien pour l’intérêt général ; j’ai du moins cru pouvoir le supposer en visitant les nids.
Les rapaces mangent seuls sans que le père et la mère soient obligés de leur donner la becquée ; aussi, le plus souvent ceux-ci se contentent d’aller chercher la proie et de la déposer sur le bord du nid. L’ornithologiste, en visitant chaque jour le nid, peut donc se rendre compte de la nourriture habituelle de la famille, et c’est ce que j’ai fait bien des fois.
Je connais un vieux charbonnier qui a souvent vécu du gibier et du poisson qui était destiné aux petits des oiseaux de proie.
En visitant, en 1864, un nid d’autour, j’ai trouvé au centre quatre jeunes, et sur les bords un cuissot de levraut, la moitié d’une brème qui avait pu peser 700 grammes, une perche de 500 grammes, une grive, deux fauvettes et trois bruants jaunes. Comme ce nid était dans un bois qui m’appartient, je dis au garde de revenir le lendemain avec son fusil et de tuer le père et la mère ; mais, le jour même, un dénicheur vint chercher les quatre jeunes.
J’ai trouvé cinq perdreaux près d’un nid de busard Saint-Martin ; dans nos pays, on le nomme chasse-alouette et chasse-perdrix.
Des oiseaux nuisibles, tous ne le sont pas au même degré ; de ce fait voici un exemple :
Les poissons sont assurément très-importants comme substance alimentaire, mais, comme travailleurs et comme artistes, ils me semblent bien inférieurs aux oiseaux. Jamais l’aquarium ne détrônera la cage. De plus, les poissons sont d’une fécondité prodigieuse ; à ce titre, ils ont besoin d’une élimination d’autant plus grande.
On a compté jusqu’à sept cent mille œufs dans une carpe d’un kilogramme.
Le faucon-pêcheur est donc moins nuisible que celui qui fait la chasse aux oiseaux.
Il importe beaucoup de déterminer les caractères de l’oiseau nuisible ; car il est considéré par la loi comme un ennemi de l’homme qui, vis-à-vis de lui, est censé être dans le cas de légitime défense. Alors toutes les barrières de la police de chasse s’abaissent ; on peut, sur son terrain, en tout temps, sans permis de chasse, tuer l’oiseau de proie et même le dénicher.
Il est encore des départements dans lesquels on donne des primes pour sa destruction.
Ne pouvant, dans une étude aussi restreinte, exposer en détail les questions relatives aux oiseaux nuisibles, j’ai au moins voulu établir qu’actuellement, et à l’égard de certaines espèces de rapaces, nous avons un droit très-étendu de destruction, sans que jamais cependant nous cherchions à les faire complétement disparaître.
Mais le législateur sait bien que, malgré toutes les permissions qu’il accorde, ces espèces se laissent rarement anéantir ; une seule, celle du grand-duc, qui de tout temps et chaque année élevait une famille dans les roches du Foulon, entre Chamarandes et Verbiesles, a, depuis 1831, cessé de faire partie de nos oiseaux sédentaires.
- ↑ La plupart des hérons que l’on tue sont d’une maigreur excessive. Buffon, annoté par Flourens, t. VIII, p. 62.
Par sa maigreur, il dit que le Carême, pour lui, dure douze mois par an. Toussenel, Monde des oiseaux, pr. 321.
Sa chair est immangeable. Toussenel, id., p. 321.
Sa chair a une odeur huileuse et paludéenne. Vicomte de Dax, Journal des chasseurs, année 1861.