Les oiseaux dans les harmonies de la nature/Partie 2/Chapitre 3

CHAPITRE III.


De quelques bienfaits que les oiseaux nous procurent pendant leur vie.

§ 1. — CERTAINS VÉGÉTALIVORES SONT D’UTILES SEMEURS, DE MÊME QUE LES OISEAUX AQUATIQUES SONT QUELQUEFOIS DES AGENTS UTILES POUR L’EMPOISSONNEMENT DES EAUX.

En juin, on trouve dans les déjections du loriot des noyaux de cerises ; le ramier dégorge des glands. Comme ces oiseaux font de fréquents et de longs déplacements, il s’ensuit qu’ils répandent au loin des graines et qu’ils contribuent ainsi, dans les bois, à la dissémination des diverses essences d’arbres ; de la sorte, certains oiseaux deviennent d’utiles semeurs et concourent à la production de nos champs et de nos bois.

Les oiseaux aquatiques transportent également à de grandes distances des œufs de poisson et introduisent dans les rivières, les étangs et les marais, des espèces qui n’y avaient jamais existé. C’est ainsi que les terrains creusés pour la construction des chaussées des chemins de fer ont été empoissonnés aussitôt qu’ils ont été couverts d’eau.

§ 2. — CERTAINS ANIMALIVORES SE RENDENT UTILES EN ACCÉLÉRANT LA DÉCOMPOSITION DE MATIÈRES QUI CORROMPENT L’AIR ET L’EAU.

Un service dont il faut tenir compte à certains oiseaux est celui qu’ils nous rendent en accélérant la décomposition des animaux morts et des matières fécales. Le corbeau corneille recherche les bêtes mortes et même en putréfaction, ainsi que les immondices. Les autres espèces de corbeau ont des goûts du même genre. Le héron gris se contente, à l’occasion, de chair corrompue. Les goélands se jettent sur les corps morts qui flottent à la surface des eaux.

En accélérant la décomposition des matières qui corrompent l’air et l’eau, ces oiseaux font l’office de désinfecteurs et d’agents de la salubrité publique. Il faut bien le remarquer, tous les oiseaux qui se nourrissent d’animaux vivants ont cette utilité ; car, si les milliards d’animaux dont ils vivent étaient morts naturellement, ils seraient devenus, dans quelques circonstances, une cause de corruption pour l’air et pour l’eau, et un obstacle aux productions périodiques.

Le sarcoramphus papa, espèce de vautour, est chargé du service de la voirie à Mexico.

À Constantinople, le néophron-percnoptère (neophron percnopterus), autre espèce de vautour, est le principal ouvrier de la voirie ; il travaille, jour et nuit, à l’absorption des immondices et des matières animales de la ville, en compagnie de milans noirs, de corbeaux et 30 ou 40 gros chiens[1].

§ 3. — LES OISEAUX FOURNISSENT À LA TERRE UN ENGRAIS.

Pendant leur vie, tous les oiseaux nous rendent encore d’autres services.

Nous savons que le guano est un résidu d’excréments d’oiseaux, et que les éleveurs de pigeons et d’autres volatiles apprécient les résidus de colombiers et de poulaillers. Pour être disséminés comme la pluie sur tous les points de la terre, les excréments d’oiseaux n’en ont pas moins une valeur comme engrais ; et il arrive que les matières encombrantes, maladives ou en décomposition du monde végétal et animal, sont transformées en matières fertilisantes, facilement assimilables à la terre.

§ 4. — LES OISEAUX NOUS CONVIENT AUX ENSEIGNEMENTS ET AUX NOBLES JOIES QUE L’ON TROUVE DANS LA CONTEMPLATION DU BEAU.

Dieu merci, nous ne vivons pas seulement de pain et des autres productions de la terre, de tout ce qui se cote à la Bourse et au marché. La vie matérielle n’est qu’un moyen pour notre vie intellectuelle, et nous avons une soif insatiable du beau, du vrai et du bien. Rien ne nous arrête, quand il s’agit de chercher les joies de l’esprit et du cœur ; les beaux-arts ont toujours tenu une grande place chez les peuples civilisés ; mais est-il rien de comparable au beau de la nature ? Les chefs-d’œuvre des artistes sont, aux sublimités de l’univers, ce que l’homme est à son Créateur.

Comment, en entrevoyant quelques-unes des harmonies du monde des oiseaux, ne pas se sentir profondément ému et saisi d’admiration et d’amour ?

N’est-ce pas merveilleux que, sous les apparences de la liberté ou même du caprice, les oiseaux forment les rouages d’une immense et bienfaisante machine qui englobe notre monde, que certains de ces rouages fonctionnent souvent en quelques jours sur un espace de plusieurs centaines de lieues, avec une régularité et une grâce parfaites, selon les desseins du Créateur. Malgré ses nombreuses et élégantes évolutions, l’hirondelle va, en huit jours, d’Angleterre en Guinée !

Dans l’exposé qui précède, combien de fois n’avons-nous pas eu l’occasion d’admirer le rôle si remarquable de l’oiseau dans les grandes harmonies de l’élimination ? À d’autres points de vue, il n’est pas moins digne d’attention.

Il est un chef-d’œuvre de mécanique, la plus admirable des machines agricoles, le modèle des machines de locomotion aquatique et probablement aérienne[2]. Aussi, les palmipèdes ont donné l’idée de la rame, les nageurs et les plongeurs ont servi de modèle pour la construction et la décoration des navires.

Les formes des oiseaux sont toujours complétement en rapport avec leur spécialité de travail et elles ont toutes la beauté et la grâce qui leur conviennent le mieux.

Les harmonies organiques ne sont pas moins remarquables dans les détails que dans l’ensemble. On peut en juger par la beauté d’une plume.

Les couleurs des yeux, du bec, des pieds et surtout des plumes sont si merveilleusement combinées qu’elles caractérisent distinctement et embellissent chacune des milliers d’espèces connues, d’après son sexe, son âge et les saisons. Les plumages gris, qui ont été départis au plus grand nombre dans nos pays tempérés, ont eux-mêmes reçu des nuances et des variétés de dessins qui leur donnent un cachet particulier. Il est d’ailleurs beaucoup d’oiseaux, surtout dans les pays chauds, qui, comme les papillons et les minéraux, ont été dotés des plus riches couleurs, et ils ont souvent fourni des parures aux femmes et aux guerriers.

Un grand nombre d’oiseaux sont de véritables musiciens ; toujours et partout ils prodiguent leurs concerts ; et ils les donnent à ceux qui sont déshérités des joies du monde et des délicatesses de la musique du Conservatoire.

Les oiseaux de nos contrées possèdent dans leur voix plus de timbres divers que les plus grands orchestres.

Ils se jouent des commas de notre gamme, et, dans la libre carrière qu’ils parcourent, ils trouvent des hardiesses originales qui ne produisent jamais rien de discordant pour l’harmonie ; ils abordent une bonne partie de notre échelle des sons, et ils ont ainsi, à leur façon, des ténors, des barytons et des basses.

La plupart font, dans les ensembles, des parties d’accompagnement ; ils composent un fonds d’harmonie qui s’enrichit constamment de solos, donnés par l’alouette, le pouillot, l’hippolaïs, la fauvette, le rouge-gorge, le troglodyte et surtout le rossignol. Tous leurs accents sont empreints d’entrain et de gaieté.

Il en résulte des psalmodies pleines de vie et de chaleur, une harmonie variée, de délicates et brillantes ariettes.

Cette musique est si expressive qu’on lui a donné le nom de chant.

Or, les chants des oiseaux ne sont-ils pas des actes de reconnaissance et d’espérance, et pour les hommes, une invitation à la prière ?

Ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils n’éveillent aucune mauvaise idée, aucun mauvais sentiment et qu’ils sont l’expression des joies pures que nous trouvons dans toutes les harmonies de la nature.

Le chant des oiseaux est un Te Deum qui s’élève de tous les points de la campagne et des bois.

Deux courtes citations donnent une idée de ce que pensaient nos ancêtres à cet égard :

« Puisque, « dit Belon », l’on voit que les artisans et les bourgeois des villes n’ont rien qui récrée leur esprit ennuyé plus promptement que le chant des petits ossyllons qu’ils nourrissent en cage, aussi voit-on aisément que l’homme champestre, qui se plaist en leur chant, est en grand saouls, se trouvant en l’ombrage des petits arbrisseaux escoutant si plaisante mélodie ».

« La gentille alouette avec son tirelire
Tirelire, relire, et tirelirant tire
Vers la voûte du ciel, puis son vol vers ce lieu
Vire et semble nous dire : Adieu, adieu, adieu ».

(Dubartas.)

Beaucoup d’oiseaux se distinguent également comme architectes.

Leurs nids sont établis au centre des éliminations prévues pour la période de l’élevage des petits, sagement répartis sur les différents points du sol, des eaux, des herbages, des buissons et des arbres. Grâce à leur forme, leurs proportions, leur solidité, l’élasticité et le moelleux de leurs matériaux et leur décoration, les oiseaux y trouvent, pour leur jeune famille, la sécurité, le confort, la beauté et l’élégance. Aussi sont-ils, à beaucoup près, de tous les animaux, les plus habiles architectes.

Les œufs ne sont pas moins intéressants par leurs proportions, leurs formes, leurs nuances nombreuses et brillantes. Rien de charmant dans ce genre comme une collection scientifiquement formée d’espèces et de variétés caractéristiques.

On remarque en eux toutes les formes ovalaires, un coloris et des dessins aussi riches que variés, le lustre du vernis, la blancheur de l’albâtre, l’azur du ciel, le pointillé du granit, les marbrures du Saint-Anne, d’élégantes couronnes, etc

Quoique admirables sous ces différents rapports, les oiseaux le sont bien davantage encore au point de vue de leurs instincts.

On trouve, en effet, chez eux une aimable pétulance, et cependant quelquefois une gravité qui n’est pas sans noblesse, de la réflexion, « de la mémoire et de l’imagination (Cuvier) », de la vigilance, du courage, de la hardiesse, de la fermeté dans le travail, de la prévoyance, l’amour du pays natal et de la nature, l’esprit de famille et de société, enfin de l’attachement pour l’homme. Les pigeons sont l’emblème de la fidélité ; beaucoup d’espèces offrent des modèles d’amour maternel et même paternel. Tous les naturalistes, depuis Aristote et Pline jusqu’à M. d’Orbigny, ont raconté des traits de leurs mœurs qui feraient honneur à l’humanité.

La beauté qui, sous tant de formes, leur a été prodiguée, sera toujours pour les poètes une inépuisable mine.

Quels attraits n’ont pas la tendre sollicitude de la couveuse, de la mère pour ses petits, les touchantes unions de presque toutes nos espèces, les affectueuses démonstrations de l’oiseau apprivoisé, la majesté de l’aigle, la noble gravité du duc, la magnificence du paon, l’aimable pétulance des passereaux, la grâce de la fauvette, l’élégance de la bergeronnette, le vol ondulé de l’hirondelle, la course légère et rapide du chevalier, l’imposante navigation du cygne, les nuances variées des plumages, les riches livrées du printemps, le blanc lustré du grèbe, les éclatantes couleurs du chardonneret, le plastron pourpré du bouvreuil, le manteau vert du martin-pêcheur, la robe dorée du loriot, la couronne du roitelet, l’hymne de l’alouette, le chant éclatant du serin, du chardonneret et de la linotte, l’air brillant de la grive, les sons de voix filés et les douces mélodies de la fauvette, le chant si varié, si harmonieux et si étendu du rossignol, l’intéressante construction des nids, la légèreté et la grâce de ces berceaux, le riche coloris de l’œuf !

À combien d’agréables rêveries n’ont pas donné lieu tous ces joyaux des parures de la nature ! Partout et toujours elles ont surexcité l’imagination des poètes et des peuples. Il en est résulté pour l’histoire naturelle une surcharge de contes les plus fantastiques. De là, l’invention du Phénix, qui renaissait de ses cendres, de la Harpie, qui avait une belle tête de femme et un corps d’oiseau de proie, etc.

La science héraldique a aussi trouvé que les oiseaux, malgré leurs variétés, ne suffisaient pas aux nécessités de son langage et de ses insignes symboliques ; elle les a modifiés et même défigurés de telle sorte, qu’il faut les étudier souvent plus dans l’histoire du blason, que dans l’histoire naturelle.

Assurément donc, l’oiseau est bien admirable, et cependant il n’a que l’ombre de la liberté ; il est comme un simple, mais magnifique instrument entre les mains de Dieu.

Le rossignol chante toujours le même air ; toujours les chardonnerets ont fait le même nid ; les migrations doubles et périodiques de chaque année n’ont pas varié d’une manière sensible.

L’étude de l’oiseau nous mène donc directement à Dieu, et son vol rapide dans les hautes régions de l’air attire notre regard et nos pensées vers le ciel. Cet être si admirable est tout à la fois un artiste et un professeur ; si Dieu n’avait pas voulu qu’il en fût ainsi, il aurait pu lui donner le mutisme de l’insecte et la laideur de la chauve-souris.

L’oiseau a donc été créé pour nous convier aux joies de l’esprit et du cœur, pour exciter notre foi et nos espérances, en développant le sentiment du beau, du vrai et du bien.

On comprend que l’homme ait quelquefois choisi l’oiseau pour symboliser de grandes idées.

C’est ainsi que l’alouette et le coq ont servi d’emblème à la Gaule, et que l’aigle est devenu celui de plusieurs nations de l’Europe ancienne et moderne.

On trouve, dans les armoiries de la noblesse, l’aigle, le grand-duc, la cigogne, le héron, la grue, le pélican, la tourterelle, la perdrix, le merle, etc.

Quelques familles nobles ont même tenu à porter le nom d’un puissant oiseau. C’est ainsi que nous avons, en France, M. le marquis de l’Aigle, M. Épervier de Béron, MM. Faucon de Mayac et de Villaret.

Enfin, n’était-il pas bien naturel que l’oiseau eût une part de nos affections ? Si cela était possible, nous en ferions volontiers l’hôte habituel de nos maisons.

On ne peut traverser une ville, un village, sans voir bon nombre de jolies cages, qui sont l’objet des soins les plus minutieux et les plus assidus, et il est à remarquer que, dans le château, la maison bourgeoise et la chaumière, l’oiseau est comme la fleur, l’indice de goûts élevés et de sentiments généreux.

Chaque année, à Paris, cinq industriels fabriquent pour 100,000 francs de cages portatives, et on y vend en plus, pour 200,000 francs de grandes volières.

Ajoutons enfin que l’oiseau apparaît dans toute sa beauté, surtout au printemps, c’est-à-dire quand les travaux de la construction du nid et de l’élevage des petits réclament pour lui de plus grandes distractions, quand il lui est si nécessaire d’intéresser les hommes, quand nos espérances ont besoin d’être ravivées.


Des nombreuses lettres que j’ai reçues au sujet de mes publications, il en est une que mes lecteurs liront sans doute comme moi avec beaucoup d’intérêt et que, pour cette raison, je suis heureux de pouvoir reproduire.

Un mot de préambule.

La science doit à M. le comte de Villeneuve-Flayose, ancien ingénieur en chef et professeur à l’École des mines, ancien inspecteur général d’agriculture, des démonstrations mathématiques sur l’harmonie des formes de la terre et des corps organiques végétaux et animaux, ainsi que le constatent les comptes rendus de l’Académie des sciences, en 1866, et l’annuaire publié en 1870 par l’Institut des provinces de France. J’ai pu seconder quelques recherches de ce célèbre géologue que la science vient de perdre, en lui fournissant un état de pesages et mesurages nombreux et relatifs à quatre-vingts espèces d’oiseaux caractéristiques de genres ou de groupes. C’est à ce sujet que j’ai reçu la lettre suivante :

« Monsieur et cher Confrère,

« Je puise dans le tableau que vous m’avez envoyé de remarquables confirmations des règles auxquelles j’ai été amené sur la loi mécanique des formes de la terre et de celles des corps organiques végétaux et animaux.

« J’ai le plus souvent trouvé, dans les subdivisions de la matière mise en vibration, le rapport de 1 à 3.

« C’est celui que présentent les grandes étendues des continents terrestres et leurs subdivisions établies par les isthmes.

« On sait aussi, depuis longtemps, que les rapports naturels de deux cordes qui forment les deux notes fondamentales de l’accord parfait, ut, sol, sont 1 et 2/3 ou 1.0, 66, et que les proportions de longueur qui président à l’accord parfait, ut, mi, sol, se déterminent par les longueurs de corde 1 4/5 2/3.

« À l’aide des éléments que me fournit votre précieux tableau, je retrouve chez les oiseaux les proportions que j’ai pu constater dans la subdivision de toutes les surfaces vibrantes.

« La principale de toutes les proportions à étudier dans les oiseaux est celle des parties du corps qui président aux mouvements. Ce sont les parties toujours vibrantes, dont les vibrations doivent être concordantes comme les cordes harmoniques d’un instrument. Or, le rapport moyen général de la taille de vos quatre-vingts oiseaux, à l’envergure totale, est celui de 1 pour l’envergure et de 2/3 pour la taille.

« Pour les œufs, le rapport entre le grand et le petit diamètre est exprimé par la fraction très-simple 3/4.

« Ainsi, partout éclate l’harmonie des proportions révélées par les rapports les plus simples entre les dimensions les plus générales.

« Je crois donc pouvoir toujours répéter le grand adage :

« Le désordre et l’irrégularité dans le monde ne « sont qu’apparents ».

« C’est l’ordre et l’harmonie qui, sous les traits gracieux de la variété, sont au fond de toutes les œuvres de Dieu.

« Et, si l’ordre physique est si beau, est-ce que l’ordre moral ne doit pas être mille fois plus beau encore ?

« L’imprécation est donc une stupide ignorance.

« Sur ce, cher Confrère, recevez l’assurance réitérée de mes sentiments tout dévoués.

« Cte  de VILLENEUVE ».
§ 5. — L’ACCLIMATATION, LA NATURALISATION ET LA DOMESTICATION DES OISEAUX SONT ENCORE POUR NOUS UNE SOURCE DE BIENFAITS.

Comme les plantes et les insectes, les différentes espèces d’oiseaux sont réparties à la surface du globe d’après les variétés principales du sol et du climat.

L’acclimatation consiste à fixer une espèce d’oiseaux dans un pays autre que celui de leur primitive origine et à obtenir d’eux, que, dans le second habitat, ils se comportent comme dans le premier.

La naturalisation a pour objet de les retenir dans la plaine, dans les bois ou sur les eaux d’une contrée.

On les domestique quand on les fixe à une habitation. La domestication est de deux sortes : forcée quand elle a lieu au moyen de la cage, et volontaire quand elle se produit en liberté dans une basse-cour.

On apprivoise l’oiseau quand on l’attache à la personne.

Ces différents actes d’acclimatation sont complets quand une espèce se développe entièrement et se reproduit dans sa nouvelle position.

Si ces faits ne se répètent pas depuis longtemps et de telle sorte qu’on puisse les considérer comme définitifs, on dit que l’acclimatation, la naturalisation et la domestication est partielle, qu’elle n’est pas définitive.

La domestication est partielle soit lorsque une espèce ne se comporte pas encore dans la maison comme la poule et le canard, soit quand, fixée complétement à l’habitation, elle conserve comme le pigeon une partie de ses habitudes de sauvagerie.

Nous nous abstenons de reproduire ici les principes que nous avons exposés dans un opuscule, intitulé : De l’oiseau au point de vue de l’acclimatation, et nous allons seulement dire quelques mots de la domestication.

Les oiseaux sont amis de l’homme. Dans les pays primitifs, ils se laissent facilement approcher et même tuer avec le bâton. Dans nos contrées, le chasseur sait qu’à l’ouverture de la chasse le gibier, et notamment les perdreaux, tiennent bien ; ils ne deviennent sauvages et inabordables que lorsqu’ils sont souvent chassés et tirés.

Beaucoup d’oiseaux peuvent même s’apprivoiser et se domestiquer ; de cette façon, ils se rendent encore plus utiles. Quand ils deviennent familiers, ils témoignent de l’affection par leurs attitudes, leurs mouvements et leurs chants, et ils méritent vraiment qu’on ne reste pas insensible à ces touchantes démonstrations.

On obtient de ces jolis êtres des actes d’obéissance tels, que de patients et habiles éleveurs, comme Gilbert, des Champs-Elysées, font passer certains chardonnerets et autres granivores pour des oiseaux savants, et il n’est pas un pays dans lequel on ne se soit amusé à apprivoiser des oiseaux, à leur faire faire des tours d’adresse, articuler quelques mots, prononcer une phrase, répéter un air.

On est même arrivé à trouver, dans quelques espèces, des serviteurs domestiques.

Le grand-cormoran est devenu un aide de pêche pour les Chinois. Avant l’invention et surtout le perfectionnement des fusils, les faucons étaient également utilisés comme auxiliaires de chasse.

« Le jaccana », dit Guérin[3], « devient pour l’homme un serviteur fidèle ; il apprend à garder les troupeaux ; il fait la ronde ; il appelle de sa grande voix les brebis qui s’éloignent, et devient, à cet égard, le rival de l’animal le plus intelligent et le plus utile à l’homme, le chien ».

La domestication du pigeon bizet a donné lieu à un service fort remarquable de la poste aérienne. Comme nous l’avons dit, tous les oiseaux sont fixés au sol, en ce sens qu’ils reviennent au lieu de leur naissance, quand ils en ont été éloignés. C’est ainsi que chaque année l’hirondelle retourne au nid que l’automne lui a fait quitter. Or, le bizet domestique s’attache tellement à son colombier, que notre Code civil, art. 524, l’a classé au nombre des immeubles par destination. Si on l’emporte, il regagne sa volière, aussitôt qu’on lui rend la liberté.

Quand donc, au moyen d’un ballon parti d’une ville assiégée, on transporte un pigeon et qu’on le lâche après lui avoir attaché des dépêches au pied, ou sous l’aile, ou à l’une des grandes plumes de la queue, cet oiseau retourne immédiatement à sa ville natale et y transmet ces dépêches. Il fait au moins deux kilomètres en une minute ; lorsqu’il parcourt de grandes distances, il peut faire 80 kilomètres en une heure, et on est arrivé, par la réduction photographique des lettres, à lui faire transporter en un seul voyage 70,000 mots. Depuis longtemps les banquiers ont eu recours à ce mode de correspondance. Actuellement encore, il en est qui s’en servent, parce que ces messagers incorruptibles, rapides et presque invisibles, n’ont guère à craindre que les oiseaux de proie.

Les Arabes et les Sarrasins ont largement fait usage de cette poste aérienne.

La science n’est pas tellement avancée et surtout répandue, que les cultivateurs, les chasseurs et les voyageurs n’aient plus à se soucier des inductions que l’on peut tirer de certains détails de la vie des oiseaux, au sujet des variations du temps et des saisons[4]. Les oiseaux domestiques, par cela même qu’ils sont toujours sous leurs yeux, ne sont pas sans importance à cet égard.

Le chant du coq est, pour une ferme, un excellent réveille-matin et mérite assurément une place dans l’horloge ornithologique de Linné[5]. Aussi un des noms de cet oiseau, chez les Grecs, était Alector (qui fait sortir du lit). Sa vigilance lui a même valu l’honneur d’être placé sur la flèche des églises, et de rappeler, à toutes les heures du jour, que la vigilance est la mère de la sûreté, pour la vie présente et pour la vie future. L’oie, qui a eu l’honneur de sauver le Capitole, peut encore, au besoin, faire l’office du tocsin et sauver une ferme en poussant son cri d’alarme.

Mais c’est surtout au point de vue de la chair, des œufs et des plumes, que les oiseaux domestiques sont recherchés. Un simple détail pourra donner une idée de la valeur des produits qu’ils fournissent. Paris, avant ses agrandissements, a consommé, en une année, plus de 100 millions d’œufs, et on en exportait alors en Angleterre 76,091,120. On mange annuellement en France plus de 7 milliards d’œufs de poule.

Non-seulement c’est aux oiseaux sauvages que nous sommes redevables de tous ces bienfaits de la domestication, mais il faut encore nous adresser à eux, quand nous voulons, soit nous procurer des races nouvelles, soit renforcer et renouveler celles qui sont abâtardies.

Ainsi, quand nos variétés domestiques du pigeon, de la poule, du canard et de l’oie, se sont affaiblies, au point de ne plus guère produire, elles retrouvent leur fécondité par le croisement avec des sujets des espèces sauvages dont elles descendent, celles du pigeon bizet (colomba livia), de la poule bankiva (gallus bankiva), du canard sauvage (anas boschas) et de l’oie cendrée (anser ferus).

Et, grâce à l’initiative des Sociétés d’acclimatation, on a commencé et très-avancé la domestication ou même la naturalisation de quatorze espèces de gallinacés et de onze de palmipèdes et accompli la domestication de l’oie de Guinée[6].

  1. Vian, Des migrations des oiseaux.
  2. En 1808, un horloger de Vienne, Jacob Degen, s’était construit deux ailes d’une surface totale de 10 mètres carrés, avec lesquelles il s’élevait en 30 secondes à la hauteur de 16 mètres, quand le poids de son corps était réduit à 35 kilogrammes, par une corde lestée d’un contre-poids ; ou bien il se faisait hisser par un petit ballon jusqu’à une hauteur de 100 et 200 mètres et descendait ensuite doucement avec des temps d’arrêt et en profitant parfois du vent pour remonter un peu. (Revue des Deux-Mondes, 1er  avril 1870.) Il est probable qu’on arrivera à la navigation aérienne par l’étude approfondie du vol de l’oiseau.
  3. Dictionnaire d’histoire naturelle, au mot Oiseau, p. 287.
  4. D’après Tiedemann, Zoologie, t. ii, p. 154, les plumes auraient cela de remarquable, qu’elles sont enclines à admettre la tension électrique ; et Carus pense que la faculté dont les oiseaux jouissent de pressentir les variations du temps dépend de ce que l’état électrique de leur plumage change en même temps que celui de l’atmosphère.
  5. Dans mon ouvrage sur le chant des oiseaux, j’ai indiqué à quelle heure commencent à chanter les oiseaux de notre contrée.
  6. Colin de Californie ; faisans de Mongolie, versicolore, vénéré, de Wallich, doré, de Lady Amherst, de Swinhoë, argenté, à dos noir, à huppe blanche ; paon à ailes noires, dit du Japon ; éperonnier chinquis ; talégalle ; cygne noir ; ceréopse cendré ; bernaches de Magellan, des îles Sandwich, à poitrine grise ; oie du Canada ; canards casarka ordinaire et de Paradis, de la Caroline, mandarin, de Bahama.