Les mystères du château Roy/01/07

CHAPITRE
VII
WALTER DOIT RENONCER À THÉRÈSE

Walter est dans sa chambre qu’il arpente nerveusement de long en large, attendant avec impatience le retour du messager qu’il avait envoyé auprès de Thérèse. Il revint enfin. Il vint lui porter la lettre dans sa chambre. Walter s’en empara d’une main fiévreuse, régla le messager et refermant la porte, il fit sauter le cachet et lut : —
Monsieur.

Je regrette, mais après y avoir profondément réfléchi, il nous sera impossible de réaliser nos projets, que nous nous étions tracés.

Je vous demanderai donc de bien vouloir m’oublier, de ne plus m’écrire, de ne faire renaître aucune occasion de nous revoir ; De cette manière nous nous oublierons plus vite et la douleur sera moins grande. Je sais que vous allez vous rendre à ma demande sans plus d’explications, car ce serait impossible. Votre silence sera la grande marque d’amitié que je puisse désirer.

Je demeure, tout en gardant le souvenir, votre toute reconnaissante.

Thérèse.

Walter eut presqu’une crise, ses sourcils se foncèrent ; ses dents se serrèrent à se rompre ; ses doigts se crispèrent ; ses ongles entrèrent dans la chair. Il fit quelques pas dans la direction de son bureau, s’empara de la photographie de Thérèse qu’il regarda longuement. Ses nerfs se calmèrent peu à peu et la lucidité revint dans son esprit…

Non, je ne commettrai jamais un crime aussi atroce. Et parlant à haute voix comme s’il lui avait parlé à elle-même, il demanda d’une voix presque suppliante. Pourquoi m’abandonnes-tu ? Pourquoi veux-tu que j’oublie, que je me brise le cœur ? En prenant son parti. Eh bien puisque c’est toi-même qui me le demandes, j’essaierai de t’oublier. Et prenant un coffret où il renfermait ses photographies, il déposa celle de Thérèse. Walter descendit aussitôt au salon où son père se trouvait en ce moment et le prévint qu’il partirait avec lui.

— Que je suis heureux de voir que tu pars avec moi, mais tu as donc changé d’avis, tu devais rester par ici ?

— J’avais beaucoup à faire et je croyais être obligé de rester mais les choses se sont bien passées et je suis prêt à partir.

Ils mirent leur passeport en ordre, mais durent partir une journée plus tard qu’ils s’attendaient.


Il est huit heures de l’avant-midi. Walter et son père sont à la gare attendant l’arrivée de leur train pour New-York. Deux hommes les abordent et l’un d’eux demande à Walter s’il n’était pas un Allemand du nom de Walter Hines.

— Oui, monsieur.

— Voulez-vous nous suivre au poste dit-il en montrant son insigne de détective.

— C’est impossible, je dois partir dans quelques minutes.

— Vous êtes attendu au poste et nous avons ordre de vous amener, si vous voulez bien nous suivre de bon gré, vous nous dispenserez de sévir.

Walter dut de bon gré, se rendre au poste de police, où il fut longuement questionné au sujet de l’enlèvement de l’enfant de Thérèse.

Il fut des plus surpris de se voir interroger pour cette cause, car il ne savait même pas que Thérèse avait mis au monde l’enfant dont il était le père. Il aurait même donné la moitié de sa vie pour pouvoir le retrouver. Il dut passer deux jours au poste de police, le temps de prendre connaissance de toutes ses allées et venues, depuis la veille de l’enlèvement jusqu’à ce jour.

On dut le relâcher faute de preuves suffisantes, car on ne trouva aucun indice pouvant le compromettre. Une fois libre il reprit le chemin de l’Allemagne avec son père qui l’avait attendu.

— Quelques mois après son arrivée dans son pays il établit un bureau de médecine et se fit rapidement une clientèle enviable. Un an plus tard il convolait en juste noce avec une fille de sa nationalité de laquelle il eut un garçon. Il paraissait très heureux mais en lui-même il souffrait toujours de cette séparation si brusque avec Thérèse ; l’idée de la disparition de l’enfant qu’il aurait tant chéri, le hantait. Il aurait tant aimé l’avoir près de lui. Il aurait au moins un souvenir vivant de sa chère Thérèse.


Mais revenons au Château. Quelques jours après le départ de Walter pour l’Allemagne on aurait pu voir un soir Jeanne et Pierre assis dans le salon, paraissant fort préoccupés et parlant d’une voix très basse afin de n’être pas entendus.

— As-tu parlé à Thérèse ? demanda Pierre.

— Oui, ce matin. Elle n’est pas disposée à se marier cette année, elle demande un an pour oublier son ancien ami et pour pleurer la disparition de son enfant. Après quoi elle sera prête à t’épouser si tu as encore la même intention.

C’est impossible, nous ne sommes pas pour vivre cette vie-là encore un an.

— Pourtant il le faut.

— Oui, mais tu sais, tous les bruits que l’on fait à propos de la guerre, s’il fallait qu’elle éclate et moi encore garçon, que deviendrais-je ? Et toi ?

— C’est vrai je n’y avais pas pensé, nous allons donc parler à Thérèse demain et il faut qu’elle se décide.

Comme de fait, le lendemain on parla à Thérèse. On lui démontra tant de sincérité et de conviction qu’on finit par la convaincre et on lui fit accepter que son mariage eut lieu en juillet.

Le mariage n’eut pas lieu. La guerre s’étant déclarée plus tôt que l’on s’y attendait. Pierre fut donc obligé d’aller servir dans l’armée quoiqu’il eût bien voulu se cacher pour s’en exempter.

Le jour de son départ, on alla le reconduire et les adieux furent des plus touchants, mais si quelqu’un les avait remarqués il se serait sûrement aperçu qu’il y avait beaucoup plus de chaleur dans le baiser que Pierre donna à Jeanne que celui qu’il donna à Thérèse.

Revenus à la maison, au diner, M. Roy et Jeanne parlèrent beaucoup de Pierre, des dangers et les misères que les soldats endurent sur le champ de bataille. Thérèse seule demeurait silencieuse, car elle pensait beaucoup plus à son enfant qu’à Pierre. Et profitant de l’occasion ou la conversation était en suspens, elle demanda à son père ce qu’elle avait plus d’une fois demandé.

— A-t-on trouvé quelques indices sur l’enlèvement de mon enfant ?

— Non, toujours rien, et la prime que j’ai offerte n’a apporté aucun succès, mais nous ne devons pas désespérer car la justice est patiente c’est ce qui fait sa force. Tout la favorise contre les criminels un jour ou l’autre elle finira bien par mettre la main sur les coupables.

Jeanne qui les écoutait parler riait en elle-même et se faisait la réflexion suivante en les regardant du coin de l’œil.

Dans l’espérance l’on vit et l’on y meurt.

Elle riait et se jouait de la justice, c’est ce qui est très dangereux, et si quelqu’un qui aurait su ce qui se passait dans son for intérieur, il aurait certainement pu lui répondre tout en faisant ces réflexions comme elle.

— Qui joue avec le feu se brûle.

Mais laissons la rire et jouer, peut-être qu’elle se brûlera un jour. Oui, brulé par cette flamme d’amour qui renaîtra peut-être un jour et qui saura cette fois renverser et bruler tous les obstacles, et la clarté, qui jaillira de cette flamme saura guider la justice vers la découverte de cette énigme.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE

Vous retrouverez les personnages dans la deuxième partie de ce Roman.