Les mystères de l’île Saint-Louis/Tome 1/02

M. Lévy (tome Ip. 22-32).

II

UN CONSEIL D’AMI.


L’étranger avait prononcé ces paroles avec un tel accent de décision, que le passeux recula.

L’Italien, après avoir croisé ses bras sur sa poitrine, regardait silencieusement maître Gérard.

— Tu ne comprends donc pas que je veuille me noyer ? dit-il au passeux.

— Dame ! mon gentilhomme, c’est une idée comme une autre, répondit Gérard en affectant un grand flegme. Seulement, je trouve que vous quittez la vie de bonne heure…

— La vie ! tu en parles comme d’un bien assuré, reprit l’inconnu ; serais-tu donc heureux, par hasard ? Çà, continua-t-il en frappant la table du pommeau de son épée, qu’on me montre un heureux, et j’y croirai, à la vie !…

— Hélas ! monseigneur, dit Gérard avec un soupir, je n’ai guère le droit de vous prêcher ici en faveur de la vie, moi qui vous parle, et cependant, voyez-vous, non, je ne me noierais pas.

— Cela veut dire que tu n’en aurais pas le courage.

— Je suis aussi courageux qu’un autre dans l’occasion ; mais c’est un péché.

— Un péché, dis-tu ?

— Oui, c’est un péché que de disposer ainsi de soi-même ; comme si derrière nous, nous ne laissions rien !… Allons donc ! mais cela n’est pas possible… Tenez, monseigneur, on oublie toujours en partant quelqu’un que l’on aime ou qui vous aime. On a une mère, une sœur, une femme ou un ami.

— Je n’ai rien de tout cela, brave homme ; la famille est le plus gênant des attirails quand on veut se jeter en Seine. Je n’ai pas même un chien pour ami ; mais en revanche, j’ai là, sur le cœur, des choses qui m’empêcheraient de remonter sur l’eau si jamais je devais y revenir.

Gérard considéra l’Italien avec une sorte de frayeur superstitieuse. Il avait souvent ouï parler d’une armée occulte de bravi que le cardinal entretenait à sa solde ; c’étaient des Padouans, des Vénitiens, des gueux de Mantoue et de Naples. Il attacha sur l’inconnu un regard insistant. Mais les prunelles bordées de cils gris du vieillard furent bientôt forcées de s’incliner devant la flamme électrique qui jaillissait des yeux de l’Italien ; il resta confus et tremblant devant cet homme. Était-ce un véritable dépit d’amoureux, un désespoir de joueur, ou le remords qui poussait l’étranger à une résolution pareille ? L’inconnu s’était accusé trop franchement devant lui pour que Gérard ne dût pas le croire sous l’obsession de quelque délit ; il n’hésita donc pas à lui demander si d’aventure il s’était battu en duel, contrairement aux édits du cardinal.

— Le cas serait grave, ajouta l’honnête passeux, mais ce n’est pas une raison pour se tuer, quand on a tué son ennemi dans les règles.

— Je ne me suis pas encore battu ici, reprit l’étranger ; je suis dans cette ville depuis six jours.

— Mais enfin mon noble seigneur, dit Gérard en joignant les mains, par quelle circonstance cruelle…

— Encore un coup, l’ami, vos questions sont inutiles ; je me noie parce que tel est mon bon plaisir ; je me noie parce que je ne veux ni ne dois plus vivre.

Cette fois, le front de l’Italien s’était assombri, sa parole était devenue si brève et en même temps si ferme, que le passeux ne répliqua plus. Il fit semblant de chercher dans sa cahute une nasse dont il avait soin, disait-il, de se pourvoir dans son bateau chaque fois qu’il devait sortir. Puis, sans que l’étranger pût le voir, il s’assura en même temps de la présence d’une petite cassette en bois de sandal qu’il cachait chaque soir sous son oreiller. La rivière clapotait autour des planches de la cabane, et le veilleur de l’Arsenal venait de crier onze heures.

Maître Gérard, en continuant ainsi divers préparatifs, espérait gagner du temps ; mais il avait affaire à forte partie. Depuis quelques secondes pourtant, l’inconnu semblait plongé dans une sorte de rêverie mélancolique ; il s’était approché du berceau laissé dans un coin de cette demeure, et il regardait ses branches d’osier presque rompues.

— Un enfant que vous avez perdu sans doute, et que vous aimiez ? demanda-t-il au passeux avec intérêt. Comment est-il mort ?

— Cette histoire serait trop longue à vous conter, mon gentilhomme, répondit le bonhomme avec malice ; n’oubliez pas que vous devez vous noyer avant minuit…

— À minuit, soit mais en une heure, tu peux me dire ton histoire. Voyons, fais-moi, l’ami, quelque beau récit ; demain, je le conterai aux poissons.

Et l’inconnu sourit d’un sourire amer et triste.

— Après tout, mon gentilhomme, répondit Gérard, puisque vous l’exigez, je m’en vais vous satisfaire. Ce berceau que vous voyez fut fait par moi, il y a quinze ans, pour une pauvre petite créature qu’on espérait bien noyer en Seine.

Vivat ! tu sauvas l’enfant ? J’en eusse fait autant à ta place, mon brave Gérard ! C’était peut-être quelque petit monstre qu’on voulait prudemment empêcher de grandir, de peur qu’il ne déshonorât son noble père ? demanda l’Italien avec ironie… On a vu cela ; continue.

— Du tout, mon gentilhomme, vous êtes pleinement dans l’erreur. Le pauvre enfant recueilli par moi, grâce à mon filet de pêche, était une ravissante petite fille…

— Que tu as vue grandir, croître sous tes yeux, jusqu’au jour où ses parents…

— Ses parents… continua le passeux en hochant la tête, elle n’en avait point ; personne ne la réclama. Ceci dura deux ans ; elle grandissait et devenait belle à faire ma joie… Un soir, des bateleurs revenant de l’Arsenal, où M. de Sully donnait une fête, entrèrent subitement chez moi… Ils exigèrent que je les conduisisse vers Conflans. Pendant que je disposais ma barque, je crus entendre des gémissements sourds, étouffés. L’un d’eux me tenait toujours par ma cape, je voulais sortir, je voulais reconnaître l’endroit d’où partaient ces cris… Tout d’un coup, un de ces misérables me pousse dans l’eau, les autres me frappent à coups d’aviron ; j’avais beau crier, ils chantaient en chœur un noël assourdissant. Leur barque s’éloigna, laissant bientôt derrière elle un sillage où s’était mêlé mon sang… Quand on me transporta chez moi sur mon lit, ma cabane était déserte. Le berceau de la pauvre enfant était renversé, mon chien était couché près du berceau et faisait entendre des hurlements douloureux. En un mot, on m’avait enlevé ma fille, mon seul bien, hélas ! le trésor de ma pauvreté ! Ces lâches l’emmenaient, ils l’emportaient dans ma propre barque !

— Et tu ne pus découvrir…

— Les noms et la retraite de ces misérables ? Non, monsieur. Je pensai seulement qu’arrachée une fois à la mort par un miracle, la pauvre enfant avait dû cette fois la trouver entre leurs mains… C’étaient des gens payés, ou des histrions qui voulaient trafiquer d’elle sur leurs tréteaux…

— Et jamais depuis…

— Depuis, il y a de cela un mois seulement, il s’est passé ici même quelque chose d’extraordinaire… Mais, reprit maître Gérard, vous me faites jaser, et j’avais promis de me taire…

— Et que s’est-il donc passé ?

— Une dame, son loup sur le visage, escortée d’un seul valet, est venue un soir m’appeler… là, comme vous l’avez fait tout à l’heure… Elle aussi, elle m’a donné de l’or, et m’a demandé si je n’avais pas recueilli, il y avait quinze ans, une petite fille qu’avait dû me conduire un homme masqué. Je lui racontai ce qui en était. « Le misérable ! » s’est-elle écriée en apprenant le crime tenté sur l’enfant. Elle avait fait retirer le valet qui l’accompagnait du moment qu’elle mit le pied dans ma cahute. Tirant alors une cassette de dessous sa mante : « Je tremble, dit-elle, que mes démarches ne soient surveillées, c’est donc à vous que je confie ce dépôt. Un jour, s’il plaît à Dieu, si cet enfant existe, si vous le retrouvez… ces papiers lui serviront. En attendant, gardez-vous, avant toutes choses, de montrer cette cassette à qui que ce soit. Elle est plus en sûreté dans vos mains que dans les miennes. Adieu ! J’espérais, en frappant à votre porte, moi qui touche d’hier le sol de France, retrouver celle qu’un lâche m’avait juré sur Dieu de vous avoir confiée ; mais Dieu est juste, il venge les mères, un jour il me vengera ! »

Ces paroles à peine dites, elle disparut, me laissant anéanti de frayeur, car en ce temps-ci, ajouta le passeux, un pareil dépôt n’est pas commode à garder. Plus d’une fois les corbeaux du cardinal sont venus s’abattre ici, et sans mes précautions…

L’italien avait écouté avec un singulier intérêt le récit de maître Gérard ; un trouble inexprimable se faisait jour dans ses traits, il semblait en proie à un combat violent avec lui-même.

— Sans ces lettres d’Italie que je tiens là… murmura-t-il ; mais quelle apparence que la duchesse… Elle est à Ferrare, oh ! oui. N’importe. Il pourrait se faire… Ne savez-vous rien de plus, maître Gérard ?

— Rien, mon gentilhomme, et c’est déjà vous en avoir trop dit… mais comme vous allez être discret pour longtemps…

— Gérard, reprit l’étranger en se levant subitement, il faut que tu me montres cette cassette…

— Cette cassette ? répondit Gérard, impossible…

— Encore une fois, je veux la voir.

— Et moi, je ne dois la rendre qu’à celui qui se présentera de la part de la comtesse Alvinzi… C’est le nom que m’a laissé cette dame.

— Alvinzi !… ce n’est pas elle, balbutia l’inconnu en retombant sur sa chaise avec accablement.

Il demeurait terrassé ; de longues gouttes de sueur humectaient ses joues… Il passa une main rapide sur son front et demanda au passeux s’il était prêt.

En ce moment même, la porte de la cahute se vit ébranlée violemment, et un nouveau personnage, poussant des éclats de rire immodérés, la chevelure et le baudrier en désordre, entra dans l’unique chambre de maître Gérard.

Cette figure grotesque, enluminée des tons les plus chauds, contrastait dès l’abord d’une façon si frappante avec celle de l’Italien, que tous deux se regardèrent. Ce visiteur nocturne était certainement aussi inattendu que l’autre chez maître Gérard…

Il était couvert de boue de la tête aux pieds, et semblait, à vrai dire, sortir plutôt d’une ornière que de la chaussée… Une oscillation perpétuelle imprimée à tout son corps donnait à penser qu’il revenait alors de quelque joyeux repas où il avait splendidement fêté Bacchus ; son panache était indignement maltraité, ses bottes remplies d’eau et sa collerette méconnaissable.

— Allons, dépêche, l’ami ; je me nomme Saint-Amand, et l’on m’attend là-bas pour un sonnet ! Diable de sonnet, il m’a fait rouler au fond d’un trou ! À quoi pensent les ouvriers de maître Marie de n’avoir pas encore établi de garde-fous en cet endroit pour les gens qui reviennent comme moi de dîner à Charenton !

— Voulez-vous pas d’abord, monsieur, que je sèche votre manteau ? répondit Gérard ; il n’est pas convenable qu’un gentilhomme comme vous…

— N’est-ce pas, mon ami, que j’ai bien l’air cavalier ? Écoute donc, tu parles à l’un des chevaliers de la Coupe, à l’ami du duc de Retz, au grand Saint-Amand, couronné ce soir pour son ode aux Goinfres, par Gillot et Faret, les vrais favoris de la déesse Hébé ! J’avais dit à mon valet Mardochée de me précéder au cabaret de la Pomme de pin. Le drôle a laissé éteindre sa torche et m’a embourbé. Que la peste l’étouffe ! Il me mène à l’eau quand j’allais au vin ! Me voilà bien loti, dans ta maudite cahute !

En jetant ces mots d’un air burlesque, Saint-Amand examinait la cabane de maître Gérard. Tout d’un coup il demeura muet vis-à-vis de l’inconnu, dont la physionomie, il faut le dire, était bien faite pour modérer ses transports bachiques. Dès que le passeux lui eut expliqué le dessein de ce gentilhomme :

— Qu’ai-je entendu ? reprit-il, monsieur veut se noyer ? Fi donc ! je partage peu cette opinion aquatique. Alexandre se baigna dans le Cydnus et il périt ; Sapho trouva la mort au sein des ondes, Léandre ne put se sauver de leur courroux : voilà de jolis exemples à imiter ! Mais par les démons de la joie ! une table ronde vaut bien la Seine ; on y trouve des linceuls de toutes couleurs ! Vin d’Arbois, vin de l’Ermitage, vin de Langon, voilà l’eau du Styx dans laquelle un vrai gentilhomme doit se noyer ! De grâce, mon cher monsieur, n’annoblissez pas la Seine ! La Seine est une vile roturière ; pour moi, je la méprise et ne reconnais que la Taverne. La taverne ! c’est là mon champ clos, j’y défie les mauvais garçons et les capitaines ! La taverne, monsieur, c’est mon âme, c’est ma vie ! À moi, Faret, Grandchamp, Bilot, Pontmenard, Saint-Brice, Chassaingrimont[1] et vingt autres ! venez tous ici pour dire à ce gentilhomme quel goût fade possède l’objet de ses vœux ! La Seine ! mais ce lit est bon pour un Gascon ou un recors ! Eh quoi ! monsieur, dont la moustache est frisée en croc, dont l’air est martial et n’a rien d’un comte allemand, voudrait converser avec des nymphes grelottantes qui ne jouent pas même au lansquenet ! Mais songez donc, monsieur, que c’est là un gîte abominable ! Sans compter ce qu’on y jette, réfléchissez un peu qu’on n’y rencontre que des dieux armés de fourches qu’ils nomment tridents, et qui ne leur servent pas même à ouvrir les huîtres vertes. Ma parole d’honneur, j’ai connu une Amadryade qui s’ennuyait tant en ce pays, qu’elle en est morte. Allez, cher désolé, on voit bien que vous ne connaissez en rien le Cours ni les Tuileries. Je vous recommanderai au comédien Bellerose. En voilà un brave ! il m’a promis à souper l’un de ces soirs. Par les yeux de Marmousette, la docte chatte de maître Philippe Gruyn, je veux vous présenter à nos amis. Précisément, ils seront tous ce soir à notre cabaret du pont Marie.

Arrière, Dol, Peur, Mort, Soif, Faim,
Honte, Rancœur, Dam, Deuil, Chagrin,
Paresse, Désespoir, Envie,
La kyrielle en est finie.
Mon cher, à la Pomme de Pin !

Cette tirade achevée, le gros et joyeux Saint-Amand s’éventa, avec la plume de son feutre. Un auditeur de plus lui plaisait assez, et l’idée de rencontrer peut-être un protecteur inconnu dans l’étranger le comblait de joie. L’orgie et le cabaret étaient les seules classes de ce poète éraillé, plus connu par un quatrain au Palais de Justice que par ses œuvres. L’Italien le considéra d’un air dédaigneux.

— Vous ne répondez pas, mon cher compagnon ? Je vois bien que le vin ne vous tente pas. C’est dommage, celui de maître Philippe est excellent. Un gaillard qui a la promesse de fournir la cave de M. de la Meilleraye ! Je vois bien qu’il faut que je vous parle de la jolie Mariette… Apprenez donc que pour cet objet glorieux… ce brasier, ce soleil, on met chaque soir le glaive au poing. Moi-même, je vous le confie, j’en suis féru ; le dard m’est entré là… ajouta Saint Amand en touchant son cœur, et il n’est pas de jour où je ne lui fasse des vers à miracle… Le cabaretier m’adore et je la vois à toute heure… Écoutez plutôt :

J’ai vu ses beaux cheveux blonds, charmes des regards,
Sous l’ivoire du peigne alentour d’elle épars,
Représenter au vrai le Pactole en sa source !

Mais ce qu’il y a de cruel, monsieur, c’est que c’est à la fois un miroir de beauté et de vertu. Je l’aime, oui, je l’aime, malgré le gris de mes cheveux ; elle a le sceptre de mon cœur, mais elle s’en moque. En un mot, vous la verrez, et vous direz ensuite comme moi que c’est là une fille inexplicable. Je connais Céphise, Amaranthe, Sylvie et Macette ; elles ne sont pas dignes de lui embrasser les pieds, et cependant c’est une simple cabaretière ! Le cavalier Marin brûlerait pour elle ses sonnets, son maître ses futailles, Paris son pont Neuf, et vous, par ma foi ! vous vous noieriez.

L’Italien se prit à sourire. La bonne humeur de Saint-Amand l’avait gagné ; c’était aussi la première fois qu’il entendait parler du cabaret de la Pomme de pin. La résolution extrême qu’il avait prise cédait peu à peu, non qu’il y renonçât, mais il voulait peut-être jouer cette fois son dernier coup de dé contre le hasard. Le passeux attachait alors sur Saint-Amand un regard épais, ébloui. Le babil bouffon du poëte le plongeait, à son insu, dans le même étonnement naïf que lui eussent causé Tabarin ou Gauthier Garguille.

— Bacchus a rarement trahi Saint-Amand, reprit l’étrange poëte : allons, mon gentilhomme, prenez-moi pour votre guide. Je suis un homme de plume, vous un César ; la cape et l’épée vont bien ensemble ! Encore un coup, ne vous noyez qu’après avoir vu Mariette. En attendant, voguons jusque-là à l’aide de ce brave passeux. Çà, mon laquais Mardochée est déjà loin…

Et comme l’étranger semblait encore hésiter :

— Ce n’est pas, reprit le poëte, un fils de la Gascogne que j’inviterais, croyez-le. Mais à votre teint, j’ai vu tout de suite que j’avais affaire à un enfant d’Espagne ou d’Italie. Or, ces deux pays sont les deux seuls créanciers que je reconnaisse. Nous autres poètes, nous leur empruntons beaucoup.

L’inconnu s’inclina et salua Saint-Amand d’un air railleur.

— Eh bien ! vous êtes décidé ?

— À découvrir par tous les moyens ce que je cherche, reprit l’Italien en attachant un regard fixe sur maître Gérard. Peut-être m’instruirai-je à la taverne de la Pomme de pin.

— Maître Caron, poursuivit Saint-Amand en s’adressant au passeux, songe à bien mener ta barque. Tu nous descendras, ce gentilhomme et moi, au pont Marie… Le cabaret de maître Philippe fait l’angle du quai des Ormes.

— Suffit, dit Gérard, ce n’est pas d’aujourd’hui que je connais la Pomme de pin. Seulement mon maître, ajouta à voix basse le passeux à l’Italien, ayez en ce lieu la bouche close ; observez-vous-y, c’est essentiel.

La barque fendit la Seine, et atteignit vite les arches noires du pont Marie…

Le poëte et l’inconnu sautèrent à terre ; à droite, devant eux, brillait un grand fallot retenu au mur par un bras de bois peint en rouge.

C’était l’enseigne du cabaret de la Pomme de pin.

Comme ils abordaient ce seuil renommé, l’Italien et son compagnon entrevirent dans l’ombre un cavalier de moyenne taille, muché jusqu’aux yeux dans sa cape ; il s’arrêta devant une petite porte basse, tira une clef de la poche de son pourpoint, et se glissa prestement dans l’allée de maître Philippe Gruyn.

— Bravo ! murmura Saint-Amand, voilà quelque bachelier qui fait son siège ! Avec Mariette, le cabaret ne doit point chômer. Entrons.

  1. Tous ces héros ont été célébrés par Saint-Amand dans ses vers.