Les mystères de Montréal (Feuilleton dans Le Vrai Canard entre 1879 et 1881)
Imprimerie A. P. Pigeon (p. 125-127).

XI

LA NOCE.


Deux jours après les événements que nous avons racontés, le père Sansfaçon était plus guilleret que de coutume. La femme du vieux charretier faisait le grand barda de la maison. Les catalognes avaient été lavées, on avait renouvelé les rideaux en papier vert. Le poêle à fourneau avait été miné, les tuyaux étaient vernis et tout reluisait dans la maison.

Le père Sansfaçon était tempérant et se tenait correct. Son attelage avait été passé au blaguebolle et reluisait comme s’il était neuf. Sa voiture avait passé par les mains du peintre et reluisait comme un sou neuf.

Les commères du quartier faisaient mille cancans sur le mariage prochain de Mlle Ursule Sansfaçon. Les bans avaient été publiés à l’église Saint-Pierre et les noces devaient avoir lieu dans quelques jours.

Son futur était un homme qui allait faire les choses en grand.

Un joueur de harpe et un violoniste italiens avaient été engagés pour la soirée.

L’heureux mortel qui allait convoler avec Ursule était Bénoni, qui pigeait le trésor des Bouctouche caché dans l’écurie du vieux cocher.

Caraquette, pour des raisons que nous expliquerons plus tard, n’avait pas encore fait arrêter le voleur, et celui-ci menait la vie gaiment, brûlant la chandelle par les deux bouts.

Bénoni n’y allait pas de main morte. Il avait engagé les plus beaux « Span » de Dumaine pour conduire sa fiancée à l’autel et tous les préparatifs de la noce avaient été faits sur un grand pied.

Le jour du mariage arriva.

À huit heures du matin pas moins de douze voitures étaient arrêtées à la porte du vieux Sansfaçon.

Tous les charretiers avaient garni la mèche de leurs fouets avec des rubans roses.

La rue avait été mise en émoi par les préparatifs de la noce. Toutes les voisines étaient à leurs fenêtres, attendant avec impatience le défilé du cortège.

Vers huit heures et demie une voiture attelée de deux chevaux crèmes s’arrêtait devant la maison du père Sansfaçon.

C’était Bénoni qui venait chercher sa bien-aimée pour la conduire à l’autel.

Le marié descendit de voiture et entra dans la maison de son futur beau-père.

Bénoni était tiré à quatre épingles et faraud comme un bourreau qui va faire ses Pâques. Il avait un beau tuyau neuf, une bougrine en velours marron, une cravate rose et une chemise avec des friles sur le devant. Il portait des pantalons noisette et des bottines en cuir à patente.

Ses doigts étaient emprisonnés dans une paire de gants de kid vert et le bout de son mouchoir sortait avec avantage de la poche de côté de sa bougrine.

Après avoir salué le père et la mère Sansfaçon qui lui offrirent la goutte, il annonça aux invités qu’il n’y avait pas de temps à perdre et qu’il fallait partir au plus tôt.

Ursule sortit de sa chambre en toilette de mariée. Elle était à croquer. Elle s’était fait crêper les cheveux par un perruquier, et sur chacune de ses tempes elle s’était posé deux beaux accroche-cœurs. Elle portait une magnifique robe en gros de Naples et des souliers en satin blanc.

Sa figure était couverte par un léger incarnat et ses yeux brillaient des feux du désir.

Elle s’était corsée très serrée et sa taille était ravissante d’élégance.

Un bouquet de fleurs s’épanouissait à sa ceinture en beau ruban de moire antique.

Elle s’approcha de Bénoni et lui tendit la main avec grâce.

Le marié la conduisit jusqu’à la voiture et prit place à côté d’elle.

Le père Sansfaçon et celui qui devait servir de père à Bénoni prirent place dans la voiture en face des mariés.