Les maîtres-adjoints d’école normale

Les maîtres-adjoints d’école normale
Revue pédagogique, second semestre 18794 (p. 334-337).

LES MAÎTRES-ADJOINTS D’ÉCOLE NORMALE.


Dans l’excellent article qu’il a publié au sujet de l’application de la circulaire ministérielle du 22 mai dernier, M. Ungerer fait appel aux lumières de ses collègues et des maîtres-adjoints eux-mêmes, pour la solution de cette question vitale du recrutement du personnel de nos écoles normales. Cet appel, j’en suis persuadé, sera entendu ; chacun de nous tiendra à honneur d’apporter dans cette grave élude le résultat de son expérience, et ce qu’il croit être la vérité.

M. Ungerer l’a dit avec raison : l’examen pédagogique, sans être inutile, est insuffisant. Si nous voulons que nos instituteurs abandonnent la routine et sortent du terre-à-terre, il est indispensable que les maîtres qui les forment soient eux-mêmes placés bien au-dessus de ce terre-à-terre ; il faut qu’ils possèdent sûrement, d’une façon étendue, les connaissances qu’ils sont chargés d’enseigner. Hommes de progrès et d’initiative, ils doivent développer chez leurs élèves le goût de la recherche et de l’investigation, seule voie qui conduise au perfectionnement des méthodes et des procédés.

Mais, pour arriver à ce résultat, le maître-adjoint doit posséder des connaissances bien supérieures à celles qu’il doit transmettre, et cela ne sera possible que lorsqu’on aura fait pour l’enseignement primaire ce que l’on a libéralement et justement établi pour les deux enseignements secondaires, un lieu de préparation spéciale, une école normale ad hoc.

La nécessité de cette innovation s’impose : ce sera, je l’espère, avant longtemps, un fait accompli :

Il est néanmoins une réforme tout aussi urgente, que l’on réclame depuis longtemps, et qui pourrait se réaliser à bref délai. Je veux parler de la création d’un emploi de surveillant, création qui exonérerait les maîtres-adjoints du pénible service du dortoir et de celui du réfectoire.

J’ai, dans l’école que je dirige, quatre maîtres-adjoints ; tous sont mariés, pères de famille, et il faut qu’ils abandonnent cette famille, à laquelle ils ont si peu d’instants à consacrer, au moment qui, chez tous les hommes, est destiné à l’intimité, aux épanchements. Le père est absent à l’heure des repas ; il est absent pendant la veillée du soir ; il est absent souvent la nuit entière ! Qui donc, je le demande, aura la responsabilité et la direction de la famille ? La mère a son rôle qui est distinct de celui du père, qui complète ce dernier sans l’effacer, rôle d’amour, de dévouement, de pardon ; mais, je le répète, qui donc, alors, représentera l’autorité !

Il semble que les règlements qui régissent les écoles normales n’aient prévu, pour directeurs comme pour adjoints, que des célibataires. On y remarque une préoccupation étrange, puérile, de concentrer dans l’école toute la vie de famille, d’en faire une sorte de communauté fermée : la règle d’un monastère quelconque a dû servir de type à l’inspirateur du règlement de 1851, simplement modifié dans les détails en 1866.

Si donc les maîtres-adjoints ne se plaignent pas, s’ils supportent courageusement cet écrasant fardeau, il nous appartient à nous, leurs chefs et leurs amis, de réclamer pour eux, de dénoncer une situation intolérable et qui demande un prompt remède. Exigeons de nos maîtres des garanties de capacité et d’aptitude, je le veux bien ; mais attachons-nous à leur rendre facile et attrayante cette vie de labeur que nous leur imposons ; qu’ils ne soient pas des parias au milieu de la société, ignorant les joies de Ja famille ou ne les connaissant que par les amères privations qui les leur rendent plus enviables. Après cela, demandons-leur du zèle et du dévouement, astreignons-les à des examens sérieux, tout cela est bon, tout cela est nécessaire, et ils seront les premiers à y acquiescer.

J’ai dit, en commençant que cette réforme est réalisable à bref délai. Le principe, en effet, en est consacré dans le budget de 1880 ; la Chambre des députés à ouvert, à titre d’essai, un crédit de 20,000 francs. Avec cette somme on peut, dès le 1er janvier, établir dans vingt écoles normales un surveillant choisi parmi les anciens élèves de l’établissement. Ce surveillant aurait spécialement le service du dortoir, du réfectoire et des études du matin et du soir. On pourrait lui confier, en outre, une petite partie de l’enseignement, en première année ; il aurait ainsi du temps, beaucoup de temps, pour son travail personnel, et il en profiterait pour se préparer à l’examen que devront dorénavant, nous l’espérons, subir les maîtres-adjoints. Ce sera pour lui un stage ; ce sera, pour nous, une précieuse pépinière, qui nous permettra d’attendre la création de l’école normale dont j’ai parlé plus haut.

Vingt écoles normales, seulement, d’après les prévisions budgétaires, pourraient être pourvues dès cette année ; mais, si je suis bien renseigné, cette création est déjà faite dans un certain nombre d’écoles normales ; quelques autres pourraient l’entreprendre à l’aide de leurs bonis, et je suis persuadé que le budget de 1881 généralisera la mesure.

Ainsi sera accomplie une réforme dès longtemps réclamée et qui servira comme d’heureuse préface aux améliorations que l’on médite, dans le régime de nos écoles normales.

H. Belloc,
Directeur d’école normale.