Les loisirs du chevalier d'Éon/1/Pologne/IX
CHAPITRE IX.
Suite des assemblées politiques pendant l’interrègne.
Revue de la noblesse.1. En vertu des diétines qui s’assemblent entre la diette de convocation & celle d’élection, comme on vient de le voir dans le dernier article du chapitre précédent, la noblesse de chaque palatinat & des autres territoires monte à cheval, passe en revue devant ses supérieurs, soit palatins soit castellans ; au nombre desquels il faut compter le staroste de Samogitie qui fait les mêmes fonctions dans sa province.
Marche de la noblesse.2. Chaque corps s’avance, vers Varsovie, par différentes routes, & en ordre de bataille, & va occuper, dans la plaine de Wola, le terrain que lui assigne un officier nommé Abozay, dont le titre signifie en Français maréchal de camp. Il n’est pas rare de voir alors dans cet endroit cent-vingt ou cent trente mille gentils-hommes, qui demeurent sous leurs tentes en attendant l’élection, & qui donnent une idée de l’arrière-ban Polonois, dont nous parlerons ailleurs.
Lieu d’élection3. L’élection des rois se faisoit autrefois auprès de Petrikow, ancienne ville située dans le palatinat de Siradie : mais depuis l’union du grand-duché de Lithuanie avec la couronne de Pologne, les constitutions veulent que cette importante scène s’ouvre & s’achève dans la plaine de Wola.
4. Wola est un petit village assez misérable, éloigné de Varsovie d’environ une lieue de France. Il faut pourtant remarquer qu’à cet égard les loix ne s’expriment pas si positivement, que l’on puisse en inférer qu’une élection faite ailleurs soit nulle. Henri de Valois & Auguste III ont été élus auprès de Prague, bourg que la Vistule séparé de Varsovie, leur élection cependant n’en a été ni moins valable ni moins reconnue. Il s’enfuit donc que le lieu est indifférent, & que le sort du candidat élevé au trône, dépend uniquement de l’unanimité actuelle, ou de l’accession subséquente du corps de la république qui produise cette unanimité que l’on souhaite plus qu’on ne l’espère.
5. Quelque tems avant l’ouverture de la diette d’élection, on jette un pont de bateaux sur la Vistule, tant pour faciliter le transport des vivres de Prague à Varsovie, que pour la commodité du passage de la noblesse, qui vient des provinces situées au-delà de ce fleuve. Ensuite on construit, dans la plaine de Wola, un grand bâtiment de bois nommé Szopa en Polonois, & consacré aux conférences que le primat veut avoir avec les sénateurs ou les ministres de la république.
6. Le Szopa, ainsi que plusieurs bancs placés en plein air pour les nonces, est environné d’un rempart & d’un fossé sec, qui ont trois ouvertures, par où l’on peut entrer, sortir & communiquer avec la noblesse campée autour de cette enceinte. Voilà précisément qu’elle est la forme du champ électoral : mais il faut observer que dans cette diette, l’assemblée des nonces, ne porte plus le titre de chambre, & s’appelle Rote équestre.
Ouverture de la diette d’élection.7. Quand le jour marqué pour l’ouverture de cette diette est arrivé, on commence par faire célébrer une messe solemnelle chantée dans l’église cathédrale de Varsovie, à laquelle le primat, les sénateurs, les ministres & quantité de membres de l’ordre équestre ne manquent pas de se trouver ; & ensuite on se rend au champ électoral.
Directeur.8. Les sénateurs & les ministres se placent dans le Szopa, chacun suivant son rang, & le premier préside : les nonces prennent séance sur les bancs qui leur sont préparés. Comme cette assemblée n’a point encore de maréchal, on en remet le bâton, ou à celui qui en a fait les fonctions dans la diette de convocation, ou en son absence à quelque autre nonce qui prend le titre de directeur ordinaire.
Maréchal.9. Aussitôt que le maréchal est nommé suivant les droits alternatifs, ce qui ne s’achève guère sans de grands débats, on lui fait prêter serment qu’il s’aquittera fidèlement de sa charge, qu’il ne recevra de présens de personne, qu’il n’entretiendra aucunes liaisons secrètes avec les candidats, & qu’il ne signera point le diplôme d’élection sans le consentement de la république.
10. Le maréchal étant élu, les deux chambres se complimentent & se haranguent mutuellement comme dans les autres diettes. On travaille ensuite à donner une force nouvelle aux jugemens généraux de Kaptur, dont il a été parlé dans le chapitre précédent article 14.
Jugemens généraux de Kaptur11. Pour y procéder, le primat joint aux grands & petits maréchaux, (qui doivent être présidens naturels de cette assemblée) trois assesseurs tirés de l’ordre des sénateurs, l’un de la grande, le second de la petite Pologne & le troisième de Lithuanie : & le maréchal des nonces y ajoute douze députés de la rote équestre, savoir, quatre pour chacune des provinces qu’on vient de nommer.
12. La république, voulant donner à cette affaire toute la consistance dont elle est susceptible, oblige les présidens, les assesseurs & les députés qui doivent composer ce tribunal, à prêter à genoux un serment, par lequel ils promettent d’administrer la justice avec intégrité, & dès lors ils aquierent une autorité si souveraine, qu’ils peuvent punir du supplice le plus honteux les principaux membres de la république, sans craindre le ressentiment des maisons intéressées, pourvu néanmoins qu’ils soient en état de prouver que le criminel méritoit un semblable châtiment.
Exorbitances.13. Si à la diette de convocation l’on a dressé quelques réglemens sur la matière des exorbitances, on les présente, pendant la diette d’élection, aux sénateurs & aux membres de la rote équestre, qui sont encore maîtres d’y faire tous les changemens qu’ils jugent convenables.
14. Comme il arrive souvent que la diette de convocation n’a rien statué sur cette importante matière, alors le primat de son côté nomme quelques sénateurs, & le maréchal des nonces du sien choisit quelques députés tirés de la noblesse, pour faire l’examen dont il s’agit, & pour dresser en conséquence un mémoire, qu’ils doivent soumettre au jugement des deux ordres.
15. On n’a pas fixé le nom des députés qui seront chargés de cet ouvrage, on a jugé avec raison qu’il suffisoit de les tirer également des trois provinces nommées dans le II article. Ils ne travaillent ni dans le Szopa ni dans la rote équestre : mais ils s’assemblent tous les matins dans le château de Varsovie, où ils demeurent jusques à midi pour examiner les prévarications du règne passé, & pour chercher les moyens d’y remédier pour la fuite. Après midi l’ordre veut qu’ils retournent au champ électoral, pour vaquer aux autres affaires courantes.
16. Leur ouvrage étant achevé, ils le portent à la diette, qui pèse leurs observations, les approuve, les change, les diminue ou les augmente, selon qu’elle le juge à propos. Lorsqu’enfin ce projet de réforme est arrangé au gré de la multitude, on le garde, tant pour en insérer les points les plus nécessaires dans les pacta conventa que pour profiter des autres dans les constitutions nouvelles, qui doivent être statuées par la diette de couronnement.
17. Il survient quelquefois tant d’incidens pendant le cours de cet ouvrage, & les débats qu’il occasionne vont si loin, souvent même sur des minuties, que la diette d’élection n’a gueres le tems de rien statuer au sujet des exorbitances, & alors on en remet l’examen à la diette de couronnement, où l’on se flatte que l’on pourra travailler avec plus de loisir & plus de tranquillité.
Ministres étrangers.18. Une diette d’élection ne peut guère manquer d’intéresser presque toutes les puissances de l’Europe ; aussi voit-on en Pologne, dans une pareille conjoncture, quantité de ministres étrangers. La république leur donne audience dans le Szopa, où les nonces de la rote équestre ont la liberté d’entrer pour les écouter, & où d’autres gentils-hommes des palatinats, campés dans la plaine, sont pareillement les maîtres de venir dans le même dessein.
19. Sans nous jetter ici dans une longue description des cérémonies qui accompagnent pour lors la réception des ministres étrangers, je crois qu’il suffira d’observer que le légat du Pape est admis le premier, qu’ensuite vient le tour de l’ambassadeur de l’empereur, & en troisième lieu celui de l’ambassadeur de France. L’histoire marque qu’après la mort de Sigismond Auguste, l’ambassadeur d’Espagne voulut disputer la préséance à celui de France, & que les deux ordres décidèrent en faveur du dernier. Les autres ministres enfin paroissent à la file ou quelquefois plusieurs ensemble, & les honneurs qu’on leur rend varient suivant leurs caractères. Les envoyés & les autres ministres d’un grade subalterne prennent place auprès des maréchaux de la couronne & du grand duché : mais le nonce & les ambassadeurs s’asseient entre le primat & l’évêque de Cujavie, tellement que le primat leur donne la droite.
20. Personne n’ignore que, pendant l’interrègne, la république prend le titre de sérénissime ; ainsi tout ministre qui lui présenteroit une lettre dans laquelle ce titre ne seroit pas énoncé, ou qui, en parlant aux deux ordres, ne le feroit point entrer dans son discours, courroit grand risque d’essuyer un affront. L’évêque de Passau ambassadeur de l’empereur, après la mort de Sobieski, fit une fâcheuse expérience de la délicatesse des Polonois sur cet article, ainsi qu’on peut le voir dans la Bizardiere, Massuet & plusieurs autres historiens.
21. Chaque ministre, dans l’audience qu’on lui donne, propose le candidat que son maître souhaite de porter au trône. Alors tous les aspirans sont représentés sous les couleurs les plus brillantes. L’on ne manque point de faire de leur part à la république les offres les plus avantageuses : mais cet étalage n’est qu’une formalité qui par elle-même n’aboutit presqu’à rien. Lier les parties de bonne heure dans l’intérieur du pays, négocier sagement avec les puissances voisines, faire des largesses qui nourissent l’espérance sans assouvir la cupidité, montrer constamment un air affable, tenir table ouverte, prodiguer le vin d’Hongrie, voilà les vrais ressorts qui font bien tourner une élection.
22. Dès que tous les ministres ont eu audience, la république les somme encore, ainsi qu’elle l’a fait pendant la diette de convocation, de s’éloigner du champ électoral : mais c’est ordinairement avec aussi peu de fruit que la première fois. Quoiqu’il en soit, le primat & le maréchal députent, l’un des sénateurs & l’autre des nonces, qui sont chargés de conférer particulièrement avec les ministres étrangers, en cas que la nécessité s’en présente, & qui doivent venir rapporter les difficultés, les expédiens, les propositions nouvelles, que peut suggérer la politique étrangère combinée avec les incidens de chaque séance. On concevra sans peine qu’un usage pareil, loin d’empêcher les cabales & les manœuvres secrètes, n’est propre qu’à les favoriser. Un ministre passeroit pour être absolument dépourvu de talens & de moyens, s’il manquoit de mettre dans les intérêts de sa cour les députés qu’on lui envoie.
Continuité des rapports à faire par les nonces.23. Quelque soit pendant la journée la délibération du Szopa & de la rote équestre, quelque soit la vicissitude des incidens, qui surviennent de moment en moment dans cette enceinte, chaque nonce est obligé d’en aller faire le soir un fidèle rapport à la noblesse de son palatinat ou de son territoire : & même il arrive souvent que les avis doivent être donnés coup sur coup & avec diligence ; de sorte qu’on ne voit alors que gens à cheval qui courent de l’assemblée au camp & du camp à l’assemblée.
Les nonces sont souvent changés.24. Tant de mouvemens divers, tant d’attentions scrupuleuses marquent suffisament que les Polonois regardent l’élection de leurs rois, comme l’acte le plus solemnel & le plus intéressant de leur liberté. Les constitutions en conséquence leur permettent de changer chaque jour les nonces qu’ils ont dans la rote équestre, & d’y en mettre de nouveaux aussi souvent qu’ils le veulent. Aussi la multitude jalouse & naturellement défiante profite-t-elle le plus qu’elle peut d’un droit si commode : par-là elle tâche d’éviter les inconvéniens où le petit nombre pouroit l’entraîner, s’il présidoit constamment aux délibérations & aux manœuvres.
Tout gentil-homme est électeur.25. Avec de pareils sentimens & dans une forme de gouvernement aussi libre, la nation n’a pas jugé à propos de se fier aux suffrages du sénat & de la rote équestre pour le choix de son roi. Chaque gentilhomme, ne fut-il que tout récemment annobli, porte avec lui le titre d’électeur. Au milieu d’une semblable foule d’électeurs également accrédités, l’unanimité requise, plutôt par l’usage que par les loix anciennes, devient un phénomène si rare, qu’on n’en trouve que très peu d’exemples dans l’histoire.
Les militaires exclus comme tels.26. Il faut pourtant observer que, malgré les vastes prérogatives de la noblesse dans l’élection de son roi, les gentils-hommes qui servent dans les armées de la république & du grand duché, n’ont plus droit de venir en corps & sous leurs drapeaux militaires au champ de Wola. On les priva de ce privilège en 1674 parcequ’ils avoient précédemment fait quelques violences à la diette, dans laquelle Michel Wienowieski avoit été élu. Maintenant les officiers & les soldats qui sont gentilshommes & qui veulent contribuer à la nomination de leur maître, doivent se ranger sous les banières de leurs palatinats ou des territoires auxquels ils appartiennent, tellement qu’ils ne paroissent que dispersés dans l’assemblée, & non en qualité de gens de guerre, mais en celle de compatriotes. Cette loi vraiment judicieuse oppose une forte barrière à l’ambition & à l’autorité des grands généraux.
La noblesse entoure la diette.27. Vers la fin de la diette, les palatinats & les districts ou territoires particuliers font monter à cheval leurs gentilshommes, qui s’approchent de l’enceinte du Szopa & de la rote équestre. Ils se rangent à l’entour chacun sous leurs drapeaux, ou pour mieux dire sous leurs enseignes. Il y a pourtant quelques compagnies de fantassins, troupes de pauvres nobles qui, n’ayant pas le moyen d’acheter un cheval ni un sabre ; viennent à pied & sont armés de faulx, avec autant d’assurance & de droit que les plus importans personnages de la république.
Forme & embarras de l’élection.28. Tout étant disposé de la forte, le primat chante ou fait chanter l’hymne Veni creator au milieu du champ électoral ; ensuite escorté de plusieurs sénateurs, il passe à cheval devant chaque division & propose à haute voix les candidats qui sont sur les rangs. Alors la scène devient tumultueuse, mille & mille vivat, mille cris confus semblent porter jusques au ciel, tantôt le nom d’un aspirant, tantôt celui d’un autre. L’opposition des sentimens ne sauroit guère manquer d’échauffer les esprits. On s’anime, on s’injurie, on met le sabre à la main, les coups de pistolets se font entendre : & il y a quelquefois du sang répandu.
29. Dans de pareilles circonstances, le devoir du primat & des sénateurs tant séculiers qu’ecclésiastiques, est de haranguer, de caresser la multitude & de la ramener à l’union. Mais souvent tous leurs efforts sont inutiles, si plusieurs d’entre eux ne travaillent pas à fomenter adroitement la discorde, dans l’idée d’affoiblir le parti qu’ils jugent contraire à leurs intérêts, ou de procurer une scission convenable à leurs desseins.
30. L’embarras du primat doit être considérable dans cette position ; car s’il n’est que bon patriote, la crainte de plonger l’état dans un long enchaînement de calamités, l’empêche de précipiter la nomination du roi : mais s’il est ambitieux, il achève son ouvrage dès qu’il voit que le parti qu’il favorise prend le dessus, & qu’il y auroit du danger à temporiser pour gagner les opposans. Au surplus il peut fort bien arriver qu’il ne soit pas le maître de différer la conclusion de cette grande affaire ; car quelquefois on l’étonne, on le menace, & il est contraint de céder aux emportemens d’une faction prépondérante.
Nomination du roi.31. De quelque manière qu’aillent les choses, l’ordre veut qu’après avoir pesé les suffrages dans la tournée dont on vient de faire mention, le primat demande encore par trois fois consécutives, si l’on consent à recevoir un tel candidat pour roi ? Lorsque toutes les voix s’unissent ou que du moins le plus grand nombre s’exprime affirmativement, en criant. Qu’il vive, il nous plait : la fonction du primat est de nommer le roi, & voici la formule de cette nomination.
« Au nom de Dieu notre seigneur, je nomme N*** roi de Pologne & grand duc de Lithuanie ; en même tems, puisque la providence le destinoit à gouverner notre nation, je prie le roi du ciel de lui accorder sa sainte grâce & de rendre cette élection utile & salutaire pour notre chère patrie & principalement, pour le maintien de la religion catholique. »
Proclamation.32. Le primat ayant fait cette nomination, c’est aux maréchaux de la couronne & du grand duché à proclamer le roi : ce qu’ils font en ces mots.
« N*** choisi par le suffrage unanime des deux nations, vient d’être nommé par le régent de la sérénissime république ; reconnoissez-le donc pour votre roi élu & nommé légitimement. »
33. Dès que cette proclamation est faite, l’assemblée se met à genoux dans la campagne, & le primat chante le Te Deum, auquel succèdent les salves d’artillerie & de mousqueterie, avec le bruit des timbales, des trompettes & mille cris d’allégresse.
34. Du champ électoral, le primat, les sénateurs & une grande foule de noblesse vont à l’église cathédrale de Varsovie pour assister au Te Deum qui s’y chante une seconde fois. On y mène le nouveau roi, s’il est pour lors dans la ville, comme il arriva à Stanislas Leczinski qui, pendant les derniers jours de la diette, étoit secrétement chez le marquis de Monti.
On abbat le Szopa.35. L’usage & la prudence veulent également qu’après la proclamation du nouveau roi, on détruise sur le champ le Szopa, qu’on abatte les remparts & que l’on comble le fossé, principalement lorsqu’il y a lieu de craindre quelque scission. Par ce moyen l’on retarde les manœuvres de la faction contraire, ou on la met dans le cas de commettre quelqu’illégalité.
On dresse le diplôme & les pacta conventa.36. Le lendemain les sénateurs & les nonces s’assemblent dans le château de Varsovie, y dressent le diplôme de l’élection & le signent, pour le remettre au nouveau roi. Ils travaillent ensuite au recueil des pacta conventa, loix vraiment sacrées, dont l’observation doit faire le bonheur de la république & la gloire de son chef : Un grand nombre de députés des deux ordres composent cet important ouvrage, après quoi le maréchal de la noblesse le lit devant toute l’assemblée, qui l’approuve, l’augmente ou le corrige, selon qu’elle le juge à propos.
On y joint les37. Les pacta conventa qui ont été promesses faites par le roi et la république.arrêtés sont mis au net, & l’on y ajoute les promesses faites à la république par le nouveau roi, lors qu’il n’étoit encore que candidat. Elles forment en effet aux yeux des Polonois des conditions qu’il s’est imposé lui-même, & qu’il doit par conséquent remplir avec l’exactitude la plus scrupuleuse ; puisqu’il y a toujours sujet de présumer que les états ne l’auroient point porté au trône sans cette espérance.
38. Quand le roi est absent, on fait venir tout de fuite son ambassadeur, soit au château, soit à l’église cathédrale, & il y jure, au nom du roi son maître, tant l’observation des pacta conventa, que l’accomplissement des promesses annexées. Mais si le roi se trouve sur les lieux, il prête en personne le serment, dont voici la formule.
« Je soussigné N*** élu roi de Pologne & grand duc de Lithuanie, de Russie, de Prusse, de Masovie, de Samogitie, de Livonie, de Smolensko, de Kiovie, de Molhinie, de Podolie, de Polaquie, de Czernichow, &c. &c. &c. promets & jure saintement à Dieu tout-puissant, que les présens pactes, dont je conviens avec les ordres de l’état, seront fidèlement observés, maintenus & remplis par moi dans tous leurs articles, points, clauses & conditions, sans que la spécialité déroge à la généralité, ni la généralité à la spécialité. Je jure & promets en outre que je les confirmerai par un second serment au tems de mon couronnement solemnel. Ainsi Dieu me soit en aide & la passion & l’évangile de Jésus Christ. »
Le diplôme est remis à l’élu.39. Soit que le prince prononce & signe lui-même ce serment, soit qu’un ambassadeur lui serve d’organe, dès que la chose est faite, le maréchal de la noblesse délivre sur le champ à l’un ou à l’autre le diplôme de l’élection ; & aussitôt les maréchaux de la couronne & du grand duché proclament de nouveau le roi par trois fois consécutives.
40. Enfin l’on s’arrange avec le roi ou avec ses ministres pour fixer le tems de son couronnement. Voilà de quelle manière s’achève la diette d’élection, qui ne dure que six semaines. Les deux ordres peuvent néanmoins la prolonger, puisqu’ils sont pour lors les maîtres absolus de prendre telles résolutions que bon leur semble : mais ces fortes de prolongations, dont les exemples sont assez rares, traînent quelquefois avec elles beaucoup d’inconvéniens. L’un des plus considérables est que par-là l’on court risque d’impatienter la multitude & de l’exposer à une disette de vivres & de fourages qui la jette aisément dans de fâcheuses mutineries.
Titre & autorité du roi jusques à son sacre.41. Jusques à son sacre, le prince qu’on vient d’élever au trône ne porte que le titre de Roi Élu : & non simplement le titre de Roi, qui désigne un monarque vraiment régnant. De là il suit que c’est l’acte du couronnement qui termine l’interrègne, & la régence du primat : aussi le nouveau roi n’exerce-t-il point, en attendant, les droits que les Polonois appellent Majestatiques : c’est-à-dire, qu’il ne peut convoquer aucunes diettes, ni donner des universaux pour aucunes assemblées militaires, ni conférer aucunes charges vacantes, ni expédier aucunes dépêches sous les sceaux de l’état. Enfin les maréchaux tiennent devant lui leurs bâtons baissés, pour marquer qu’il n’a pas encore toute l’autorité convenable au chef d’une si grande république. Il survient pourtant quelquefois des cas, où les deux ordres jugent à propos d’adoucir l’austérité de cette règle : par exemple, ils accordèrent au roi Sobieski, avant son couronnement, la permission d’employer les sceaux de Lithuanie dans ses dépêches au Czar ; d’indiquer à la noblesse une expédition générale, ou d’arrière-ban, contre les Tartares & les Turcs, qui pour lors infestoient les frontières de la Pologne ; & de nommer Étienne Wyzga pour succéder au primat Cazimir Florien Czartorisky qui étoit mort pendant la diette d’élection.
Scission.42. Il est aisé de juger, par la description que l’on vient de donner, qu’une élection sagement conduite est un chef-d’œuvre d’habileté : mais les plus grandes précautions peuvent rarement empêcher qu’il n’y ait des scissions toujours funestes à la république. Deux candidats, nommés pour occuper un même trône, la plongent nécessairement dans les horreurs d’une guerre civile, qui devient plus ou moins sanglante & plus ou moins longue, suivant que les compétiteurs sont plus ou moins égaux en forces.
Qualités nécessaires au primat pour nommer un roi en pleine scission.43. Une vérité bien constante, c’est qu’il faudroit que tout primat, qui nomme un nouveau roi en pleine scission, fût alors moins prêtre qu’homme d’état, porté aux résolutions les plus promptes & les plus vigoureuses. Ordinairement la faction du primat est d’abord supérieure, soit par le nombre, soit par la qualité des adhérens. On ne sauroit douter de cet article, pour peu que l’on connoisse l’histoire & les affaires de Pologne : mais l’indécision, la timidité & les lenteurs ruinent souvent un parti, qui naturellement devroit écraser ses rivaux. Radziecousky & Potocky ont perdu par-là les fruits de leurs manœuvres préliminaires, qui d’ailleurs n’avoient pas été mal concertées. Maintenant on convient que, s’ils avoient su se déterminer sur le champ, & s’ils eussent commandé à l’immense multitude de noblesse qui les suivoit, de fondre sur leurs adversaires le sabre à la main, ils auroient épargné beaucoup d’inquiétude tant à eux-mêmes qu’à leurs candidats & à leurs amis.
Il ne faut point différer le sacre.44. Retarder dans de semblables conjonctures le couronnement du roi élu est une autre faute considérable ; la majesté de la religion & la pompe des cérémonies prennent toujours un grand ascendant sur les Polonois. Auguste II. & son fils ont gagné presqu’autant de monde par leur sacre, que par la terreur des armes employées pour soutenir leurs droits ; & c’est une chose que l’on pourroit démontrer facilement.
Le candidat étranger doit être dans le voisinage.245. L’expérience du passé nous fournit sur cet objet quantité d’autres réflexions, qui excéderoient les bornes d’un simple abrégé ; mais il y en a une qu’on ne doit point oublier, lorsqu’on veut connoître parfaitement le tour que les scissions ont coutume de prendre. Toute cour qui travaille à mettre un Prince étranger sur le trône de Pologne, commet une lourde faute, si elle ne le poste pas de manière qu’il puisse entrer dans le pays, & y briller à la tête de ses partisans, aussitôt qu’ils l’auront nommé. La présence d’un prince, que la gloire & l’intérêt animent, produit beaucoup dans une situation pareille. Plusieurs bons mémoires font foi que les ennemis du Prince de Conti auroient généralement plié devant lui, s’il eût paru d’abord après son élection.
La possession légitime l’élection faite par scission.46. Au surplus quelque prodigieuse différence que le nombre & la qualité des partisans puissent mettre dans une double nomination, tout prince scissionaire, qui soutient ses droits contre un rival, n’est coupable envers lui d’aucune injustice ; car dans le fonds l’un n’est pas moins scissionaire que l’autre. Si ensuite l’un des deux compétiteurs l’emporte jusques au point de réunir les esprits dans une diette de pacification, l’on ne sauroit, avec ombre de raison, le faire passer pour usurpateur ; puisque, selon ce qu’on a insinué article 4 de ce chapitre, l’accession subséquente vaut tout autant que l’unanimité des suffrages donnés dans le champ électoral.