Les loisirs du chevalier d'Éon/1/Alsace/II


CHAPITRE II.

Distinction de l’Ancienne et nouvelle Domination.


ON appelle ancienne domination les pays & territoires qui composoient en Alsace la souveraineté médiate de la maison d’Autriche, ainsi qu’ils ont été cédés & aquis de l’Empereur, de l’Empire & de l’archiduc Ferdinand par le traité de Munster, ce qui comprend le comté de Ferrette, les bailliages d’Altkire, Landzer, Betfort, Delle, Ensisheim & autres situés dans la haute Alsace, avec le bailliage d’Haguenau situé dans la basse.

La nouvelle domination s’étend sur tout ce qui étoit immédiatement sujet à l’Empereur & à l’Empire, ce qui comprend les terres de l’évêché & du grand chapitre de Strasbourg, des abbayes de Murbac & d’Andlaw, de la maison d’Hanau, de la baronnie de Flekensteim, du comté d’Horbourg, de la seigneurie de Richwir, de la noblesse de la basse Alsace & des dix villes Impériales qui reconnoissent la préfecture d’Haguenau : le tout cédé par le traité de Riswic.

On appelle états immédiats, ceux qui relèvent nûment & immédiatement de l’empereur & de l’Empire, & états médiats tous monastères, chapitres, comtes, gentils-hommes, villes, patrices, bourgeois & paysans qui dépendent & relèvent de ces états immédiats, & qui, par leur moyen sont, aussi bien qu’eux, sujets de l’empire. Telles étoient les terres de la maison d’Autriche, parce qu’elles relevoient de l’évêché de Basle qui avoit la Seigneurie directe & féodale.

Ces états immédiats jouïssoient autrefois, comme jouïssent actuellement ceux de l’Empire, des droits régaliens, & de toute supériorité territoriale, entre autres du droit de lever des tributs sur le peuple, sur les marchandises & sur les denrées, de celui de la navigation, de battre monnoie, d’exercer toute justice civile & criminelle, d’accorder des privilèges & des dispenses, de donner asile aux Juifs, &c.

Suivant la lettre de M. d’Obrecht, écrite de Francfort à Louis XIV le 5 Mai 1699, la supériorité territoriale comprend tous les droits que la France appelle seigneriaux & la plupart de ceux attachés à la souveraineté.

Le domaine suprême s’étend sur les mêmes droits, avec cette différence que le domaine ou la souveraineté est indépendante & que la supériorité territoriale lui est soumise & subordonnée dans l’exercice de tous les droits qu’elle renferme de manière que ce que les états de l’Empire peuvent dans leur territoire en vertu de la dite supériorité, l’Empereur & l’Empire le peuvent dans ces mêmes états en vertu de la souveraineté.

Mais depuis que la France a la paisible possession de cette Province, tous les droits territoriaux se trouvent réduits, & ne consistent quères que dans celui d’Aides appellé Umgeld, dans celui de vendre du sel nommé Accifa, & dans le droit de protection des Juifs. Le roi y impose les tributs, & lorsque les seigneurs veulent lever quelques deniers pour leur utilité ou pour les besoins de leurs territoires, ils doivent en obtenir permission du souverain, qui ne l’accorde qu’après avoir été amplement informé de la nécessité & de la destination de l’impôt.