Roy et Geffroy (p. 871-879).
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X

COMMENT ON PEUT DEVENIR « ARRIERO » SANS Y PENSER

Contre toutes prévisions, rien ne bougea dans la posada, et la nuit tout entière se passa tranquillement.

Cependant vers quatre heures du matin, Yann Mareck fut brusquement réveillé par un choc violent.

C’était un quidam qui, en traversant le corridor dans l’obscurité, venait de trébucher tout à coup dans ses jambes, avait failli tomber et qui s’éloignait en grommelant.

Le Breton crut même entendre cet individu, tout en s’en allant, prononcer entre ses dents le mot : imbécile !

Cependant, comme Yann Mareck n’était nullement susceptible, surtout fort prudent de sa nature, au contraire, il ne se formalisa point de cette épithète peut-être un peu mal sonnante, se tint coi et laissa, sans répondre, le grommeleur s’éloigner paisiblement.

Puis, après avoir attendu quelques minutes, en prêtant attentivement l’oreille, convaincu, enfin, que l’inconnu était sorti de l’auberge, le Breton se leva, s’étira pour rétablir la circulation du sang dans ses membres engourdis, et il quitta la posada à son tour.

Il lui était venu un soupçon qu’il désirait éclaircir.

Ainsi qu’il l’avait prévu, le Breton n’eut pas besoin d’aller bien loin pour s’assurer de ce qu’il voulait savoir.

En débouchant du Callejon de las Viudas et, en arrivant sur la plaza Mayor, il aperçut une dizaine de mules chargées, arrêtées devant la maison de la comtesse de Casa-Real.

Les arrieros, selon leur coutume, menaient grand train : ils allaient et venaient, en gourmandant leurs mules, qui s’écartaient sans cesse, et en causant, riant et caquetant entre eux avec cette vivacité, cette animation joyeuse qui est un des côtés les plus saillants et les plus pittoresques du caractère méridional.

Une pensée saugrenue traversa tout à coup comme un éclair, le cerveau du Breton et donna subitement un autre cours à ses projets encore mal définis dans sa tête.

Le costume qu’il portait, et la façon dont il avait grimé son visage le rendaient complètement méconnaissable.

Marcos Praya sortait en ce moment de la boutique d’un pulquero, que les arrieros avaient fait lever, afin de se rafraîchir, et dans laquelle le digne majordome, vu son goût prononcé pour les liqueurs fortes, avait sans doute bu une ample rasade d’aguardiente de Pisco ou même de rhum, afin de conjurer le brouillard du matin, si malsain pour les poitrines délicates comme était la sienne.

Yann Mareck, qui ne perdait pas le métis de l’œil, l’ayant vu entrer directement dans la maison de la comtesse, devina ce qui allait se passer, et il pénétra à son tour dans la pulqueria : sa résolution était prise.

Plusieurs arrieros s’y trouvaient, groupés devant le comptoir ou assis à des tables : fumant, buvant, mangeant et causant.

Yann Mareck se fit servir une infusion de tamarin mêlée d’une goutte d’aguardiente blanche de Pisco, et avisant un arriero vêtu avec plus de soin et d’élégance que les autres et dont la mine futée et les yeux toujours en mouvement lui inspirèrent tout de suite une certaine confiance, il tordit une cigarette de paille de maïs.

Ensuite, s’approchant de cet arriero, il le salua et lui demanda poliment du feu.

En Californie, comme au Mexique et en général dans toutes les anciennes colonies espagnoles, il existe une espèce de franc-maçonnerie entre les fumeurs : d’abord le feu ne se refuse jamais, à n’importe qui ; ensuite une cigarette allumée établit instantanément une certaine liaison, ou, pour mieux dire, pose le premier jalon d’une connaissance qui, les circonstances aidant, peut rapidement devenir intime.

— Merci, caballero, dit le Breton en rendant la cigarette à laquelle il avait allumé la sienne.

— Il n’y a pas de quoi, répondit poliment l’autre en replaçant sa cigarette à ses lèvres, et avec une forte aspiration lâchant un énorme nuage de fumée par la bouche et par les narines.

— Je vous demande mille pardons, señor cabellero, mais je me suis aperçu, après être sorti de chez moi, en fouillant dans toutes mes poches que j’ai oublié mon mechero : je ne sais pas au juste en quel endroit, de sorte que depuis une heure j’étais enragé de fumer.

— Je comprends cela, répondit l’arriero d’un air de commisération, en aspirant de nouveau sa cigarette allumée, c’est terrible de ne pouvoir fumer quand on en a envie. Vous êtes sans doute du pays, señor ?

— Non, señor cabellero, je suis du pueblo de San-José, répondit effrontément le Breton à tout hasard.

— Seriez-vous du pueblo de San-José qui se trouve près de San-Francisco ?


— Halte-là ! lui dit une voix rude.

— Oui, de celui-là même, caballero, tout à côté, et, sur mon âme, je voudrais bien y être de retour, caraï !

— Qui vous en empêche, señor ?

— Ah ! voilà : bien des choses ; vouloir et pouvoir font deux, comme vous savez sans doute, caballero ?

— C’est vrai.

— S’il n’y avait que moi encore, cela irait tout seul, hélas ! murmura-t-il tout en sirotant son infusion de tamarin, d’un air passablement mélancolique.

— Vous êtes deux ?

— Oui, malheureusement : j’ai mon jeune frère avec moi, un enfant presque, très frêle, très mignon et très délicat.

— Diable !

— C’est bien là ce qui me contrarie… Est-ce que vous connaissez San-José par hasard, vous, caballero ?

— Je le crois bien que je connais San-José, et depuis longtemps même ; c’est là que réside mon compadre Andrès Carnuto, le chasseur d’ours ; vous devez le connaître ? Et à chacun de mes voyages à San-Francisco, je ne manque jamais d’aller le voir.

— Bah !

— Ah ! par exemple, voilà qui est singulier ! Certainement je connais don Andrès Carnuto, répondit le Breton, qui jamais, depuis qu’il était en Amérique, n’en avait entendu parler ; mais alors, puisqu’il en est ainsi, vous faites donc quelquefois le trajet de Sonora à San-Francisco ?

— Depuis plus de dix ans je ne fais que celui-là, j’étais au service du capitaine Sutter, un Suisse ; vous savez, le propriétaire de la plantation de la Nouvelle-Helvétie, un bien digne homme tout de même, ce capitaine Sutter, quoiqu’il soit gringo — hérétique. — Je ne fais que celui-là ; aussi je connais la route sur le bout du doigt, allez, je vous le promets.

— Et aujourd’hui est-ce encore de ce côté-là que vous retournez ?

— Eh bien, pourquoi donc pas, puisque c’est mon trajet habituel ? Oui, señor, je retourne à San-Francisco, avec mes arrieros qui sont là. J’ai été loué, quelques jours, par un noble seigneur très généreux, qui m’a averti cette nuit de me tenir prêt à partir ce matin ; et me voici à mon poste prêt à me mettre en route.

— Vous êtes donc l’arriero mayor de la recua, señor ?

— Pour vous servir, caballero.

— Quel malheur que je ne puisse partir avec vous !

— Oui, ma foi ! c’est un malheur, pour vous et pour moi, señor, car vous avez l’air d’être un bon diable.

— Vous êtes bien honnête, caballero, fit-il avec un soupir. Puis il reprit au bout d’un instant : « Si nous prenions un verre de pulque ? »

— Je préfère l’aguardiente de Pisco : c’est une liqueur qui est bonne au corps. Le pulque est trop froid pour mon estomac.

— Va ! pour l’aguardiente de Pisco, alors ; nous trinquerons à notre rencontre.

Il appela le pulquero et fit servir.

Les deux hommes trinquèrent.

— À votre santé, señor…

— Don Benito Calaveras y Prusiano de la marquesita del Tronco Redondo, dit l’arriero mayor en saluant.

— Joli nom ! fit le Breton avec admiration, joli nom ! et qui promet, quoi qu’il soit peut-être un peu long.

— L’arriero sourit avec satisfaction.

— Et vous, señor, serait-il indiscret de vous demander votre nom ? — Nullement, caballero : je me nomme Pacheco Sandras Cabrecillo pour vous servir si j’en étais capable, et mon jeune frère, dont j’ai eu l’honneur de vous parler tout à l’heure, Santiago ; maintenant vous connaissez toute la famille, nos parents sont morts.

L’arriero mayor salua avec un air de condoléance.

— À votre santé ! dit-il en portant son verre à ses lèvres.

— À la vôtre, répondit poliment Yann Mareck en imitant son mouvement.

— Eh, mais j’y pense, reprit-il au bout d’un instant, caraï, je ne sais pourquoi, caballero ; mais, sur mon âme, vous m’intéressez : votre honnête figure me revient.

— Pas autant que me revient la vôtre, señor. Bien que je ne vous connaisse que depuis quelques minutes à peine, je vous considère déjà presque comme un ami.

— Merci, touchez-là, señor, vous êtes un buen muchacho.

— C’est ce qu’on dit.

— Je l’affirme. Eh bien ! je crois en y réfléchissant qu’il y a peut-être un moyen d’arranger les choses.

Le rusé Breton dissimula soigneusement la joie que ces paroles de l’arriero mayor lui faisaient éprouver.

— Vous croyez, señor ? Pour ma part, je vous avoue que je n’en vois pas, dit-il avec une feinte indifférence.

— Peut-être, amigo. Mais voyons, là franchement entre nous, êtes-vous ce qu’on appelle hombre de a caballo ?

— Hum ! c’est mal de se vanter soi-même ; cependant je puis vous dire en toute conscience que je passe pour un des meilleurs ginettes de toute la basse et la haute Californie, répondit modestement le Breton, qui, en réalité, était excellent cavalier.

— Et votre frère Santiago ?

— Il promet ; je le forme, dame ! Il ne va pas mal du tout, pour sûr ! bien que pourtant il soit très jeune encore.

— Quel âge a-t-il ?

— Environ quatorze ans.

— Et il sait bien lancer le lasso et manier un mustang ?

— Caraï ! je le crois bien ! Il ne serait pas mon frère sans cela.

— C’est juste ! Eh bien ! puisqu’il en est ainsi, caballero, tout est arrangé entre nous, je vous emmène, ainsi que votre frère.

— Bien vrai ?

— Dame ! Écoutez donc, cela vous regarde après tout ; voyez ce que vous voulez faire. Il ne tient qu’à vous seul.

— Oh ! alors…, c’est fait !

— Et de plus, señor, non seulement sans qu’il vous en coûte un réal, mais encore je vous compterai, à votre frère et à vous, chacun vingt piastres, si je suis content de vous en arrivant à San-Francisco.

— Chacun vingt piastres ! C’est magnifique, caballero : je suis confus de tant de générosité ; aussi, soyez tranquille, vous serez satisfait de mon service. Maintenant que faut-il faire ?

— Écoutez-moi, dit l’arriero mayor en souriant avec bonhomie.

— Je suis tout oreilles.

— Ce caballero dont je vous ai parlé tout à l’heure et qui m’a loué ma recua est, à ce qu’il paraît, excessivement pressé d’arriver là-bas à San-Francisco.

— C’est sans doute un des grands négociants de la ville ?

— Je ne sais pas ce qu’il est, et de plus je vous avoue franchement que cela m’est parfaitement égal.

— À moi aussi, señor, répondit en riant le Breton, de plus en plus intéressé.

— En conséquence, reprit l’arriero mayor, comme, excepté quelques misérables ranchos disséminés de loin en loin sur la route, nous avons constamment à traverser les déserts horribles, ce caballero a fait en même temps prix avec moi pour que j’emmène, outre ma recua de mules de rechange, une caballeriza composée de trente mustangs des prairies.

— Afin d’avoir toujours des relais préparés ; je comprends cela.

— Voilà la chose.

— Et ces chevaux, vous les avez réunis sans doute, señor ?

— Caraï ! je n’y ai point manqué ; ce sont tous des mustangs à demi sauvages que j’ai lassés moi-même, il y a moins d’un mois, dans les repaires les plus inexplorés des prairies de l’Ouest, de belles et nobles bêtes, s’il en fut jamais, de véritables coursiers, je vous l’assure, avec lesquels on va comme le vent.

— Je m’en rapporte à vous.

— La caballeriza est réunie tout entière depuis plus de huit jours déjà, dans la coral du tambo de Guadelupe.

— Très bien ; en dehors de la ville, à une demi-lieue environ, sur la route de San-Francisco, señor, je vois cela d’ici. Ne m’en dites pas plus, c’est inutile.

— Oui, caballero, mes mozos de mulas les gardent ; ils sont cinq. Voulez-vous vous charger de diriger la manada ? Mes garçons seront placés sous vos ordres ; votre frère vous donnera un coup de main à l’occasion, et, de plus, il y aura non pas vingt piastres, mais quatre onces pour chacun de vous deux. Cela vous va-t-il ? Voulez-vous faire cela ?

— Je le crois bien, que je le veux ! señor ! s’écria-t-il joyeusement.

— Eh bien, alors, c’est une chose entendue, n’est-ce pas ?

— Parfaitement.

— Bon ! Attendez un instant. Et il appela : Eh ! Antonio !

— Voilà ! répondit un arriero en accourant auprès de lui.

— Surveille le départ, muchacho, j’ai certaines affaires à terminer, je vais partir un peu en avant avec ce caballero ; je vous rejoindrai à la sortie de la ville.

— Allez à vos affaires, nô Benito, je veillerai, soyez tranquille.

— Bien, muchacho, et merci ; venez, don Pacheco.

— À vos ordres, répondit le Breton, en payant la consommation.

Ils sortirent.

L’arriero se mit en selle.

— Où est votre cheval ? dit-il.

— À dix pas d’ici, dans la posada où j’habite avec mon frère.

— Justement, c’est notre chemin.

Ils se mirent en route.

— Il est donc bien riche, ce señor qui vous a loué ? demanda au bout d’un instant le Breton, pour dire quelque chose.

— Il paraît ; l’or coule comme de l’eau entre ses doigts.

— Eh mais ! dites donc, nô Benito, s’écria tout à coup Yann Mareck en s’arrêtant au milieu de la place d’un air décontenancé, je pense à une chose, moi.

— Laquelle ?

— Croyez-vous, señor, que cela ne le contrariera pas, ce noble caballero, que vous m’ayez engagé ainsi ce matin, et sans le prévenir, à son service ?

— D’abord, amigo, je vous ferai observer, entre nous, que vous n’êtes pas du tout engagé à son service, mais au mien, ce qui n’est pas du tout la même chose.

— C’est vrai, au fait ; je n’avais pas songé à cela, il n’a rien à y voir.

— Pas la moindre des choses, continua l’arriero mayor, ensuite il est plus que probable qu’il ne s’apercevra même pas de votre présence parmi nous, présence dont, soit dit sans vous fâcher, il doit se soucier médiocrement. Et puis, en fin de compte, comme, à cause de vos occupations, vous serez toujours, soit en avant, soit en arrière de la caravane, il est à peu près certain que vous ne vous trouverez pas, à moins d’un hasard extraordinaire, une seule fois en face l’un de l’autre d’ici à San-Francisco.

— Vous avez mille fois raison, señor don Benito. Et il reprit allègrement sa route ; au bout d’un instant, ils atteignirent la posada.

— C’est ici, señor, dit le Breton. Arrêtez, je vous prie ; dans un instant, je suis à vous.

— Faites, faites ; ne vous gênez pas, nous avons le temps.

Et pendant que le Breton entrait tout joyeux dans la posada, l’arriero mayor tordit gravement une fine cigarette de paille de maïs qu’il alluma au moyen de son mechero, instrument dont les Mexicains, les plus enragés fumeurs qu’il soit au monde, ne se séparent jamais sous aucun prétexte.

Cependant Yann Mareck ne perdit pas une seconde pour se rendre auprès de sa jeune maîtresse.

Mlle Edmée de l’Estang était éveillée, habillée, et toute prête à sortir.

Elle n’attendait que le retour de Yann Mareck pour quitter la posada.

Ainsi que l’avait dit le Breton à l’arriero mayor, elle avait l’air d’un jeune garçon de treize à quatorze ans.

Le fidèle Yann Mareck lui rapporta en deux mots, car il n’avait pas un instant à perdre, ce qui s’était passé entre lui et le Mexicain, et de quelle façon il avait trouvé le moyen de se joindre à la caravane.

La jeune fille sauta littéralement de joie à cette nouvelle.

— Maintenant, venez tout de suite, not’ demoiselle, ajouta le Breton ; le señor don Benito nous attend.

— Don Benito ?

— Oui, l’arriero en chef.

— Ah ! très bien, je vous suis.

— Surtout, not’ demoiselle, n’oubliez pas que vous êtes mon frère, que votre nom est Santiago et le mien Pacheco.

— Bien, Santiago, n’est-ce pas ? Je m’en souviendrai.

Yann Mareck sella en un tour de main les deux chevaux, régla le compte avec le posadero et ils sortirent.

Le señor nô Benito, immobile et droit sur sa selle, fumait philosophiquement sa troisième cigarette.

— Ah ! vous voilà, dit-il en les apercevant, en route, muchachos ; nous n’avons que trop perdu de temps déjà.

La connaissance fut bientôt faite.

Le digne arriero mayor, qui, en réalité, était un très brave homme, tout rond, était réellement enchanté de ses deux nouveaux employés et il se félicitait tout haut avec eux de cette heureuse rencontre.

Les trois cavaliers traversèrent la ville presque au galop et ils atteignirent bientôt, en riant et en causant, le tambo de Guadalupe, où la caballeriza était parquée.

Le señor nô Benito appela aussitôt ses garçons, et, dès qu’ils furent réunis autour de lui, il leur présenta le Breton et son soi-disant frère, en leur annonçant que le premier était désormais leur chef, et qu’ils auraient à lui obéir comme à lui-même en tout ce qu’il leur ordonnerait pour la direction de la manada.

Puis, la présentation terminée, ce qui ne fut pas long, le señor don Benito se retourna vers Yann Mareck :

— Ami Pacheco, lui demanda-t-il, connaissez-vous la route ?

— À peu près, señor don Benito, répondit effrontément celui-ci, qui ne la connaissait pas tout.

— D’ailleurs, au cas où vous ne la connaîtriez pas très bien, cela importe peu ; vos garçons la connaissent depuis longtemps, et ils savent où ils doivent s’arrêter.

— Très bien.

— Votre première journée est indiquée au rancho de Ojo de Agua.

— Je le connais, señor. Ce rancho est situé, je crois, si je ne me trompe, à cinq ou six lieues d’ici, tout au plus,

— C’est cela même, allons, je vois avec plaisir que tout ira bien.

En ce moment, les portes du tambo s’ouvrirent à deux battants, et une trentaine de chevaux entièrement nus s’élancèrent au galop sur la route, flanqués à droite et à gauche par les mozos qui, armés de longues perches les refoulant sans cesse sur le milieu du chemin, les empêchaient ainsi de s’écarter.

— Voilà votre manada, ami Pacheco, dit alors l’arriero mayor.

— Diablos ! elle est bien nombreuse, répondit le Breton.

— Dame ! vous comprenez, les chemins ne sont pas positivement sûrs de ces côtés-ci, fit nô Benito, il est bon de prendre ses précautions, si l’on ne veut pas courir le risque d’être arrêté en Toute ; et le señor voyageur, qui probablement ne se soucie pas sans doute d’être dévalisé par les pirates des prairies ou les Indiens bravos qui pullulent dans les environs, a pris avec lui une escorte de vingt-cinq hommes bien armés, en cas d’attaque ou de surprise.

— C’est prudent.

— Allons, à ce soir, don Pacheco ; partez, et bon voyage ! La caballeriza est déjà loin ; et voyez, voici là-bas la caravane qui passe la guarita de la ville et arrive grand train ; dans un quart d’heure elle sera ici.

— À ce soir et merci encore une fois, señor don Benito ! j’espère que vous serez content de moi, dit Yann Mareck en enfonçant les éperons dans les flancs de son cheval.

Edmée l’imita.

Les deux cavaliers partirent aussitôt ventre à terre,

L’arriero mayor était paisiblement demeuré devant le tambo, sa cigarette de paille de maïs à la bouche.

Lorsque la caravane passa devant le rancho quelques minutes plus tard, il n’eut que la peine de se joindre à elle.