SUPPLÉMENT.


Jusqu’à cette date, 18 avril 1883, M. Sulte a publié trois communications, dans la Minerve, en réponse aux nombreuses critiques et protestations suscitées par son livre. Cela constitue le factum de sa défense. Les deux premières de ces correspondances sont contenues dans les lettres qui précèdent, où je les reproduis intégralement. Comme je tiens beaucoup à ce que ce plaidoyer, si caractéristique de l’auteur, soit mis au grand complet sous les yeux du public, j’insère ici, sans commentaire, la troisième de ces pièces, voici :

Montréal, 5 avril 1883.
« Monsieur le Rédacteur,

« On me demande comment je répondrai à M. Taché dans « mon livre. » Voici : Au mois de juin, vingt-deux livraisons auront paru renfermant toutes les pièces de première main qui attestent de l’ignorance et encore plus de la mauvaise foi de mon contradicteur. Une feuille volante, sorte d’index dressé dans ce but, permettra au lecteur de retrouver sur chaque question, la réponse que M. Taché s’est attirée. On verra que « mon livre » comme il l’appelle, est surtout formé de documents que ni lui ni sa petite clique ne peuvent renverser. L’histoire se compose de preuves. Or, ces preuves, je les donne au public en plus grande abondance que n’importe quel écrivain avant moi. Par exemple, je ne répondrai pas aux gros mots. M. Taché en a l’unique propriété. Ce caractère pointu, cet engueuleur, m’a toujours fait penser au vers de Corneille :

« Les gens que vous tuez se portent assez bien ! »
« Mille bonjours.
« Benjamin Sulte. »


À propos de l’incroyable appel à Bossuet, fait par M. Sulte, contre les Jésuites, un critique, M. P. B. Mignault, avait, avant moi, dans la Revue Canadienne, demandé l’indication de l’ouvrage où Bossuet aurait tenu le langage que M. Sulte lui impute. La question est de celles qui, au tribunal de l’honneur, ne connaissent d’autre solution qu’une justification immédiate et complète, d’autant plus facile à obtenir, quand il y a lieu, qu’elle repose sur une constatation pure et simple d’un fait vulgaire. À défaut de cela, il reste à l’auteur d’un pareil acte la ressource — obligatoire — de l’aveu et du repentir ; car il n’y a pas faute si grande que l’humble confession et la réparation sincère ne puissent expier.

C’est à Bossuet lui-même qu’il faut demander la réfutation des idées que M. Sulte lui prête, sur la Compagnie de Jésus. Je la trouve dans la péroraison du troisième sermon du grand orateur, pour la fête de la Circoncision (édition de 1816 des Œuvres de Bossuet, tome XI, page 528).

Ce magnifique discours fut prononcé, à Paris, le premier jour de l’an 1687, dans l’église de Saint-Louis des Jésuites. L’aigle de Meaux, planant au-dessus des misères de la terre, en avait scruté les profondeurs, puis s’arrêtant en face de l’humanité, représentée devant lui par la société distinguée qui encombrait le saint lieu : — « Mais puisque les joies de la terre, avait-il dit, sont si mortelles à l’âme, ne cessons de réveiller sur ce sujet le genre humain endormi ; répandons dans les saints discours le baume de la piété ; et au lieu de ces finesses dont le monde est las, la vive et majestueuse simplicité, les douces promesses et l’onction céleste de l’Évangile. »

Puis s’adressant aux Jésuites, présents au chœur :

« Et vous, s’écria-t-il, célèbre compagnie, qui ne portez pas en vain le nom de Jésus, à qui la grâce a inspiré ce grand dessein de conduire les enfants de Dieu, dès leur plus bas âge, jusqu’à la maturité de l’homme parfait en Jésus-Christ ; à qui Dieu a donné vers la fin des temps des docteurs, des apôtres, des évangélistes, afin de faire éclater par tout l’univers, et jusque dans les terres les plus inconnues, la gloire de l’Évangile ; ne cessez d’y faire servir, selon votre sainte institution, tous les talents de l’esprit, de l’éloquence, la politesse, la littérature ; et afin de mieux accomplir un si grand ouvrage, recevez avec toute cette assemblée, en témoignage d’une éternelle charité, la sainte bénédiction du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »

Rentrez sous terre, M. Sulte. Que votre œuvre, monument de honte, soit démolie pièce à pièce, et que la poussière en soit jetée aux quatre vents.

Le lecteur a compris que ce n’est pas par amour de la chose que je suis sorti du calme de mes travaux, pour m’occuper des pauvretés de M. Sulte. Il fallait multiplier les protestations, il le faut encore, pour l’honneur de notre petit peuple, et parcequ’il est malheureusement trop vrai qu’il n’y a pas si chétive créature qui, laissée à elle-même, ne puisse faire du mal, qu’il n’y a pas si sot détracteur qui ne puisse racoler des adhérents. La pauvre humanité a de tels penchants, a dans son sein un tel caput-mortuum de têtes croches, de natures mal faites, de volontés défaillantes ou perverses, que le beau, le bon et le vrai ne peuvent se maintenir que de haute lutte.

On a dit, avec trop de raison, hélas, que l’histoire, telle que beaucoup la font, est — « une conspiration contre la vérité. » Veuillot, que nous pleurons en ce moment, mais que nous pleurons dans la magnifique espérance du bonheur éternel, Veuillot indique deux moyens de combattre les fausses histoires : — « Le premier, c’est de refaire les histoires systématiquement et partout hostiles à la vérité ; le second, c’est de vérifier à fond les autres. » (Pensées de L. V., p. 293).

Le malheureux auteur des écrits qui ont soulevé un concert si général de réprobation ne peut s’en prendre qu’à lui-même de se voir durement réprimandé. C’est lui qui a choisi de mériter les reproches d’une honnête indignation et la flétrissure d’odieux éloges. La détestation, toutefois, ne s’adresse qu’à son œuvre ; car la personne du coupable ne peut inspirer, à des chrétiens, d’autres sentiments que ceux d’une profonde et suppliante commisération.


18 avril 1883.