Les heures de Paphos, contes moraux/11

(Un sacrificateur de Venus)
(p. Fig.-64).
Lisette Capucin
Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Figure p-64
Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Figure p-64

Lisette Capucin.



Parmi sept autres Capucins,
Des plus renforcés libertins ;
Vivait un jeune prosélyte,
Frais sorti du noviciat :
Qu’avait jetté dans cet état
Une conversion subite.
Fruit du désordre de son bien.
Car le drôle avait fait la vie
Avec si peu d’économie ;
Qu’à vingt ans il n’avait plus rien.
(Plus d’un a fait cette folie.)
Il était frais, gras et dodu,
Blanc de visage, et fort beau C.
Aussi, tandis qu’il fut novice
Lui donna t’on de l’exercice :
Des nouveaux venus c’est l’office
Mais les vœux etant prononcés,
Par la regle ils sont dispensés
De se prêter à ce service,
A moins que ce ne soit par goût.
Damis ne l’aimait point du tout.
Il conservait au fond de l’ame
Un secret penchant pour la femme ;
Et Moine sans vocation,
Il détestait la B.....rie.
Un jour, fillette fort jolie
Lui faisant sa confession,
Soit hazard, soit prétention
Entrouvre une gaze légère
Qui couvrait un sein ravissant.
Le révérend pere à l’instant

Y porte une main téméraire
— Ah ! que faites-vous donc mon pere ?
— Rien. — mais si fait… finissés donc.
— Ce n’est rien. — si, c’est quelque chose.
Enfin sur le bouton de rose,
Qui couronnait chaque teton,
Il cueille un baiser plein de flame.
A son tour, la fille en son ame
Sent passer le feu du désir ;
Et bientot un tendre soupir ;
Devient la seule résistance
Qu’elle oppose à la violence.
Six fois le moine l’attaqua,
Six fois l’amour le couronna,
Rien n’est tel qu’un homme d’eglise.
Lors que Lisette fut remise ;
On chercha des arrengemens,
Pour retrouver ces doux momens.
Enfin l’on n’en trouva point d’autres
Que de se fixer au Couvent.
— Sous des habits comme les nôtres,
Vous passerés pour mon parent
Qui veut entrer au monastere,
Mais qui par ordre de son pêre
Veut payer un an pension ;
Pour voir si sa vocation
Est solide et determinée.
Voilà donc Lisette emmenée
Dans la Cellule du Coquin :
A l’instant il la deshabille ;
La revet d’une mandille ;
Et la tond comme un Capucin :

Met ses hardes sous la Couchette ;
Puis s’enva trouver le gardien :
Et de l’argent de la fillette,
Paye ; et surtout n’epargne rien,
Pour que le novice soit bien.
Il n’est homme qu’argent ne tente.
Et chés la race nazonnante,
On l’aime autant qu’ailleurs ; et plus.
Le Gardien prend donc les écus
Et donne au frere une chambrette,
Qui pour la jeune Anachorette
Devient le temple de l’amour.
Le Gardien se trouvant un jour
Moins endormi qu’à l’ordinaire.
Se leva de très grand matin,
Et descendit dans le jardin,
Tout en grommelant son breviaire.
Les fenêtres du grand dortoir
Y donnaient, il croit entrevoir
Du mouvement, dans la Cellule
Du frêre Ange : il va doucement
Au Coridor, avec scrupule
Prête l’oreille ; et brusquement
Pousse la porte mal fermée ;
Et trouve Lisette pâmée
Sous frere Ange qui l’exploitait ;
Ayant en tête son bonnet……
— O crime ! scandale ! anathême !
Une fille dans le Couvent !
Vous ne tonnés pas, dieu supreme !
C’était donc là ce beau parent.
Vit-on plus coupable imposture !

La pénitence la plus dure
Est un trop faible châtiment……
Lisette entrouvre en ce moment
Deux beaux yeux, tout baignés de larmes.
Aussitôt, épris de ses charmes,
— Je veux sur le champ vous punir :
Levés vous, dit-il à la fille,
Puis prenant sa vieille Béquille,
D’une main la lui fait tenir ;
Tandis que l’homme par derriere,
Par ordre du révérend pere :
Emplit son sacré fondement.
Voilà, dit-il, le châtiment,
Au quel tous deux je vous condamne ;
Pendant un an tous les matins :
Où je vous livre entre les mains,
De nos austères Capucins ;
Ennemis de l’amour prophane :
Qui décideront votre sort.
— Ah ! donnés moi plutot la mort ;
S’ecria Lisette desolée.
— Quoi ! vous êtes donc raffolée ?
Dit pere Ange en allant son train,
Avés vous peur qu’un tour de rein
Me mette à sec !… non je vous jure
Que j’en saurais garder pour vous ;
Et je trouve l’arrêt bien doux.
— Mais il offence la nature.
— Est-ce qu’on la connaît chés nous.