Les heures de Paphos, contes moraux/09

(Un sacrificateur de Venus)
(p. Fig.-52).
Les Deux n’en font qu’un
Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Figure p-52
Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Figure p-52

Les Deux n’en font qu’Un



Lise naquit dans la province ;
De parens, dont le revenu,
Par malheur, était un peu mince.
Lise sous un air ingénu
Cachait une ame véhémente,
Un vif penchant pour les plaisirs,
Un cœur agité de desirs.
D’ailleurs elle était ravissante.
Bien faite, et blonde sans fadeur,
Beau sourcils bruns, bouche mignonne,
Grands yeux bleus et pleins de douceur.
Teint de rose, oreille friponne ;
Cou d’albâtre ; tetons pommés,
Bien ronds, bien fermes, bien placés.
Bras d’ivoire, main potelée,
Taille svelte, démarche aisée,
Jambe fine, le pied furtif,
Enfin belle au superlatif,
Et faite pour etre adorée.
Jeune fille avec tant d’appas
Peut-elle rester ignorée !
C’est ce que l’on ne soupçonne pas.
C’était pourtant le sort de Lise.
En province on a la bêtise
De tenir aux vieux préjugés.
Les jeunes gens sont obligés

De se conformer à l’usage,
On veut qu’une fille soit sage
Et sur tout qu’elle ait des ecus ;
Sinon ses charmes sont perdus.
Lise n’était pas une bête
Et savait ce qu’elle valait.
Elle se fourre dans la tête,
Que si dans Paris elle allait,
Tant le monde lui ferait fête,
Et sans confier son secret,
Elle fait son petit paquet ;
Et marche vers la Capitale.
Tandis que la fille détale,
Les parents font grande rumeur.
S’imaginent qu’un ravisseur,
A suborné cette novice,
Ils vont se plaindre à la justice.
Mais comme ils n’avaient point d’argent,
A la requête ont mis neant.
Et voila la fille perdue…
Pendant ce tems, lasse et recrue ;
Enfin elle arrive à Paris,
Et va loger dans un taudis ;
Chés une matrone obligeante,
Qu’en arrivant elle trouva ;
Et qui volontiers se chargea
De lui servir de gouvernante.
— D’où venés vous, ma belle enfant ?

— De bien loin. — vous etes brisée.
— Helas oui. — que j’en suis touchée.
Venés dans mon appartement ;
A Paris que venés vous faire ?
— Ma fortune si je puis.
— Allés, je répond de l’affaire.
— Mais je voudrais d’autres habits…
— Non pas, s’il vous plaît, au contraire
Ceux-ci vous en feront gagner.
Gardés vous bien de les changer.
— Aurai-je bien de la fatigue ?
— Non ; il ne faut que de l’intrigue,
Pour du travail, il n’en faut point.
Lise suivit de point en point
Les leçons de sa bienfaitrice ;
Et par un adroit éxercice
De la mine, des yeux, des mains,
Devint la perle des putains.
L’or, les bijoux pleuvaient chés elle.
Enfin notre aimable pucelle
Sachant mettre à profit le tems,
Et faire valoir ses coquilles,
Se trouva dans moins de trois ans
Avoir plus de cent mille francs.
Modèle à suivre pour les filles.
Lise pourtant avait joui ;
Mais elle avait mis tant d’adresse
Dans le choix de son bon ami,

Qu’elle ne depensait pour lui
Que des feux, et de la tendresse.
Aimant son plaisir, et l’argent,
Alliant à l’économie
Sa lubrique philosophie ;
Elle jouait le sentiment,
Baisait, et faisait sa fortune.
Cette conduite peu commune
Fixa sur elle les regards
D’un des plus antiques paillards ;
Vieux garçon, riche, aimant la vie,
Qui se mit dans la fantaisie
D’epouser Lise tout de bon.
Elle saisit la balle au bond,
Et voila lise honnete femme,
Le barbon voulant à Madame
Rendre les devoirs de Mari,
Et croyant mettre son outil
Dedans l’amoureuse cachette,
Le fourre dans le trou qui pette.
— Eh bien Monsieur que faites vous ?
Un mari ! — maman je te fous.
Comment par là ? quelle sottise !
Vous n’avés pas le sens commun.
— Ah ! dit-il, voyant sa meprise,
Excusés, les deux n’en font qu’un.