Les heures de Paphos, contes moraux/01

(Un sacrificateur de Venus)
(p. Fig.-4).
Le Moignon de l’invalide
Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Figure p-04
Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Figure p-04

Le Moignon de l’Invalide.



Chargé de gloire et de blessures,
Porteur d’une jambe de bois ;
Et voulant une bonne fois
Mettre fin à ses aventures :
En son pays se retira
Muni d’un brevet d’Invalide ;
Mathieu Gareau, dit fier-à-bras ;
Vieux serviteur ; homme intrépide.
Quittant le sejour de l’hôtel,
Pour habiter le foyer paternel.
Le lendemain de sa venue
Fut un Dimanche. Il reposait :
Et des paysans la cohue
Autour de l’Orme bourdonnait ;
Quand on entend sonner la messe,
Chacun y court. Gareau se presse,
Et vient clopant, à l’élévation.
Dès l’instant, la distraction
S’empare de la gent rustique.
On se retourne, on parle bas.
Et le Curé dans sa boutique
En est à Benicat vos ;
Qu’on le croit à libera nos ;

De son côté, le Militaire
A lorgner ne s’épargnait pas,
Et sur tout fixe une bergère
Qui près de lui tout justement,
Grommelait machinalement
Son chapelet… Joli corsage,
Toute la fraicheur du bel âge,
Tetons pommés et bondissans ;
Beaux cheveux noirs et bien luisans,
Retroussés sous fine cornette :
Grands yeux, tein vif, de belles dents ;
Air gracieux, bouche rosée.
Au fait, un ensemble d’appas
A tenter un Anachorette :
Maitre Gareau ne l’était pas
Il forme soudain la pensée
D’etre l’époux de ce tendron :
Sort de l’Eglise, et sans façon
S’accoste de la pastourelle ;
Lui débite une kirielle
De mots galans : et par dessus,
Lui fait présent de deux fichus
Les plus brillans de ceux qu’étale
Un petit marchand Porte-balle ;
Et qu’il paya quarante sous.

Et puis bras dessus, bras dessous
Il la reconduit chez son pere,
Et sans forme de compliment,
La demande pour Ménagére.
— C’est trop d’honneur assurément.
— J’ai de l’argent — moi de la terre.
— Nous serons bien — marché conclu…
Contrat passé force vin bû.
Huit jours après il se marie
Et quoique la tête étourdie
Pour avoir pinté tout le jour ;
De bonne heure il songe à l’amour ;
Se retire en sa maisonnette ;
Aide à coucher la tendre Annette,
Met sa jambe au porte manteau ;
Et plus ardent qu’un jouvenceau
Se précipite sur la belle.
Mais ne pouvant trop aisément
Enjamber sa chere donzelle,
Le moignon, mal adroitement
A la place de l’allumelle,
S’enfile au séjour des plaisirs.
Ah ! cher ami lui dit sa femme,
Que tu satisfais mes desirs !
Ah… que tu me chatouille l’ame !

Double f…, je le crois bien,
Dit Gareau, jurant comme un Suisse,
Ne sens tu pas que c’est ma cuisse ?
Oui, mon cher… mais… ne changes rien…
L’epoux ne voulait rien entendre.
Morbleu ! Nanon, je ne f… pas.
Si fait bien moi, dit Annette tout bas ;
Quand on prend du plaisir, on n’en saurait trop prendre.


Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Cul-de-lampe
Les Heures de Paphos, contes moraux, 1787 - Cul-de-lampe