(pseudo)
Librairie franco-anglaise (p. 39-47).

V

Symphonies en mineur.


Maintenant François Fard se sentait pressé de terminer cette quiète soirée de famille. Il prit soudain une attitude trépidante.

— Oh ! mon Dieu ! Et le comte de Pénoulette qui m’attend au club !… S’cusez, chère belle-maman… m’ respectueux hommages !…

Régence, il baisa la main de sa fiancée et s’esquiva, poursuivi par Mme Cayon, désireuse de lui faire un brin de conduite.

La cause réelle de cette impatience était un besoin urgent que la bienséance lui interdisait de satisfaire dans l’appartement.

Au premier étage, il crut inutile de descendre davantage et se pencha sur la rampe.

Sans doute visa-t-il mal, car du premier coup il éteignit l’unique bec de gaz.

— Zut ! gronda-t-il. J’ suis toujours trop discret ; j’aurais dû faire sur les marches.

La brusque obscurité avait attiré l’attention de la concierge. Sa présence sur le lieu du sinistre obligea François à gagner le rez-de-chaussée.

Là, il n’hésita plus à se rendre dans la rue pour terminer une tâche si malencontreusement commencée.

Sur le pas de la porte, il se buta à un gaillard qui jura :

— Vou… grrri !

Celui-ci se glissa dans l’escalier et grimpa les marches d’un pas souple.

— J’ dirai que j’ viens pour l’ charbon… si c’est la d’moiselle, ça s’ra tout expliqué… J’ l’amènerai sur l’ palier.

Comme elle l’avait promis, Léa avait laissé entr’ouverte la porte d’entrée.

Joseph, le charbonnier, n’eut donc aucune peine à pénétrer dans l’antichambre.

Arrivé à ce point, il fut un tantinet ému : violer un domicile lui paraissait autrement plus grave que de violer une inconnue dans un couloir.

En l’occurrence, la passion bouillonnante contraignit au silence le fond d’honnêteté tapissant sa conscience.

Il avança d’un pas timide et écouta.

Un bruit de faïence suivi d’un glou-glou harmonieux l’attira dans la bonne direction.

Il sourit au tableau que ce son cristallin évoquait en son esprit.

Une hésitation l’arrêta ; déjà le matin il avait été dupe. La gente demoiselle parfumée possédait une mère ; il s’agissait d’éviter cette mère, si l’on ne voulait être victime de ses bonnes intentions.

D’un dernier élan il s’approcha d’une porte et colla une narine contre la serrure. Aucune senteur particulière ne frappa son odorat.

Il passa outre, mais à l’huis suivant des effleuves capiteux lui remplirent le nez.

Le battant était tout juste poussé ; de l’extrémité de l’index, il augmenta l’entre-bâillement. Alors, de biais, le ventre rentré dans l’estomac, il pénétra au sein du sanctuaire virginal.

Toujours circonspecte, Léa avait éteint la lumière, afin d’éviter toute surprise de la part de sa mère, gardienne vigilante de son innocence entamée.

Mais si elle ne pouvait voir, elle entendit. Tout bas, elle flûta :

— C’ toi, Çois-Çois ?

— Tchi !… Tchi !… Tchi ! fit Joseph évitant de se compromettre.

— Viens au dodo ! insinua-t-elle.

Le charbonnier retira sa culotte de velours qu’il laissa choir sur le tapis.

Ici un silence, ou plus exactement : conversation de ressorts mécontents ; le bois de lit lui-même se plaignit, les punaises de l’appartement se sauvèrent terrifiées.

Joseph souffla et s’épongea le front :

— Vou… grrri !… En v’là une affaire !

— Tu peux dire, susurra Léa malicieuse.

Un bras tiède lui cercla le cou et le malheureux retomba incontinent dans le néant tandis que Fange de la volupté le frôlait de son aile agitée.

 

François Fard, plus altéré qu’amoureux, préféra se rendre au bar voisin où il ingéra un mélange tonifiant en fumant une cigarette de caporal.

Il parla politique, insuffla à un cocher de fiacre des opinions incendiaires, puis enfin songea à Léa.

Il s’en fut alors d’un pied alerte ; mais devant la maison, une nouvelle halte fut nécessaire.

Comme il inondait la porte, il eut un remords.

— Ça va sûrement attirer les moustiques !

En ricanant, il escalada les marches et au second trouva la porte largement ouverte.

Dans l’antichambre, il s’arrêta et prêta l’oreille. À droite, il entendit des sons divers.

— Bon, c’est la maman qui se cherche les puces.

Et il s’en fut vers la gauche.

L’huis fut aisé à ouvrir, la serrure crissa, mais sans excès. L’aspect de la chambre plongée dans l’obscurité le rendit maussade.

— Heureusement que j’ai prévu le cas, j’aurais jamais pu dénicher le vase de nuit dans ce noir.

Il s’assit à terre silencieusement et retira ses souliers, posa le pantalon sur ces derniers. Ensuite il introduisit ses chaussettes dans les bottes, recouvrit ce tas minuscule de son gilet et de sa veste. Son chapeau couronna l’édifice.

Debout, les cuisses libres, les pans de chemise agités, il se mit en marche dans la direction du lit.

— Pas aimable, la gosse !

Un soupir étouffé parut lui répondre.

— Elle m’attend ! amour d’enfant, va !

Il se hâta, joyeux et ferme. Près de la couche désirée, il appela doucement :

— Lélé !

Rien ! pas un mot de l’adorée l’invitant à se précipiter, à déverser le trop plein de son amour brûlant. Amèrement, il se plaignit :

— Oh ! fais pas ta chochotte !

Le silence, si possible, devint plus angoissant encore. Cette fois, il sentit bouillonner en lui une virile colère.

Soulevant le drap, il aperçut aussitôt la blancheur d’une rotondité charnue.

Sur ce but offert à sa juste vengeance, il envoya une claque formidable, qui réveilla au loin des sonorités endormies.

À cet acte de férocité répondit un cri lugubre :

— À l’assassin !

Puis une plainte :

— Ne m’ tuez pas, m’sieu l’ cambrioleur !

Cet organe était aigre, François ne le reconnut point pour le timbre mélodieux de l’amie. Il recula, anéanti :

— Mince ! J’ tape su’ l’ c.. à belle-maman !

Il tenta de réparer :

— S’cusez, chère madame !… présente m’ respectueux hommages !… c’est rapport à l’obscurité !

Devant un adversaire aussi poli, Mme Cayon, bien réveillée, sentit renaître son courage. Elle se dressa sur son maigre séant :

— S’pèce de cambrioleur ! Allez-vous-en ou j’appelle l’ commissaire d’ police !

Après tout François s’était montré courtois, il prétendait être payé de retour :

— Ça va bien !… Taisez-vous donc, vous êtes bien contente, on vous en fait pas tous les jours autant !

Mme Cayon n’avait point de sotte vanité, pourtant elle fut vexée ; elle devint furieuse :

— F’tez l’ camp, nom de D…, où j’ prends l’ revolver qu’est dans le tiroir de la table de nuit.

Elle sauta du lit et se précipita vers l’intrus, les bigoudis en bataille.

« Elle serait bien capable de ça ! » pensa-t-il.

Le plus prudent était donc de tirer au large. D’un bond il fut sur le tas de vêtements, qu’il emporta dans ses bras.

Sur le palier, il ne se crut pas encore en sûreté et continuant sa course, ne s’arrêta qu’au rez-de-chaussée.

Essoufflé, il s’assit sur la dernière marche, dont la pierre blanche glaça sa chair nue.

— Ben, j’ les retiens, les rendez-vous d’amour de Lélé ! Hier des calottes ; aujourd’hui, des menaces de mort.

Il se remua un peu :

— Zut, que cette pierre est fraîche !

Il lui fallut se relever, pour tapoter d’une main fébrile son arrière-train glacé.

— Va falloir m’habiller !… Sûr, j’ai perdu mon bouton de faux-col !