Imprimerie Beauregard (p. 51-53).

VII

Nocturne


L’ombre du soir gravit les côteaux éloignés,
Dans la pourpre diffuse et le mauve baignés ;
L’horizon les découpe en silhouette franche,
Élagant le vallon, le bosquet et la branche,
Et met un nimbe d’or au crépuscule vert.
Lente et sonore, une prière à ciel ouvert
S’élance d’une cloche et survole la plaine,
Comme un paisible adieu des ormes et des plaines

Au moissonneur lassé de son œuvre d’amour,
Et qui contemple encor la fin grave du jour.
Tête nue, à genoux devant Dieu qui l’écoute
L’homme pense à l’effort que son zèle lui coûte ;
Mais il bénit le Maître, à l’heure du repos,
Et sent ressusciter en ses membres dispos
Une nouvelle ardeur à prodiguer aux autres
Le travail de ses bras et le pain des épeautres.
La forme se confond dans la brève clarté,
Silencieuse et chaude, où les souffles d’été
Inspirent aux voyants de généreux oracles.
C’est dans la nuit que Dieu libère les miracles
Qui font aimer en Lui les credos du terroir.
L’univers infini prend l’astre pour miroir,
Et darde son image au delà des vieux mondes,
Reflétés à nos yeux comme des pointes rondes,
Et portant jusqu’à nous de mourantes lueurs,
À l’heure où la Nature étouffe ses rumeurs,
Afin que la fatigue, en fermant les paupières,
Puisse oublier l’éclat des ardentes lumières.

« La paix soit ici-bas aux bonnes volontés, »
Dit la voix paternelle, en son éternité :
Homme, si tu comprends les paroles du Maître,
Songe dans ton emprise aux frères qui vont naître.
Un geste fraternel est un divin flambeau
Sur les sentiers qui vont des langes au tombeau.
La vision qui point à travers les moyettes
Brode un sourire d’ange aux blancheurs des layettes,
Et transforme les blés en berceaux vagissants,
Où viennent les aïeuls pencher leurs fronts puissants
De toutes les grandeurs qui montent de la terre,
Sur les frêles blondins glanés dans leurs artères.