Imprimerie Beauregard (p. 33-35).

V

Choral des Blés


Midi ! Gloire au soleil ! Il fait chaud. Le blé pousse.
La vapeur monte. Un chant trille une plainte douce.
Les épis débordés portent allégrement
Le faix des pains futurs qui gonflent leur froment.
Un arôme de force et de vie embrasée
S’infiltre dans le cœur, ainsi qu’une rosée ;
Et comme elle il apporte un vigoureux levain
Aux germes en travail du mystère sylvain.

L’homme se sent plus libre et plus digne de vivre,
En moissonnant aux champs un plein air qui le cuivre,
Avec les blés fauchés qui tombent en réseaux,
Dorant les chaumes drus et striant les houseaux.
Les moissonneurs, cherchant l’abri des grandes meules,
Prennent un franc repas couchés dans les éteules.
Le pain est bon qu’on mange après l’avoir gagné
Sur le terrain qu’on a pour soi-même imprégné
De peines et d’espoirs inconnus à la ville,
Où l’esclavage est dur et la pitance vile ;
Il recèle en sa fleur les puissances du temps,
Car il a combattu le givre et les autans ;
Sa victoire, infusée au sang de l’homme grave,
Coule jusqu’à son âme, et largement s’y grave,
Comme un tracé d’eau-forte attaquant le métal ;
Il fait jaillir l’idée au delà du frontal
En reculant les horizons de la croyance,
Et donne aux bras fourbus des gestes de vaillance,
Pour semer et gerber la vie en floraison,
Qui fait la main robuste et saine la raison.

La synthèse des blés abolit les stélages,
Qui déprimaient jadis le rêve des villages,
Et que l’humanité de ses larmes paya
Aux superstitions des plaines de Séia ;
Comme un drapeau de joie éployé sur sa hampe,
La tige dresse au vent sa couronne de pampe,
Lourde et pleine du fruit d’héroïques labeurs,
Saintement dépensés par les messiers rêveurs ;
Et la moisson remplit de ses relents les paumes,
Qui gardent longuement l’odeur verte des chaumes,
Afin que vers le ciel s’élève en liberté
L’encens pur de la terre à la divinité.