Éditions Édouard Garand (p. 87-88).

CHAPITRE XVII
UNE FANTAISIE D’ODETTE.


Elle était très intriguée, ce matin, la petite Odette. Elle venait de trouver sur sa table un paquet et une ptite boîte. Elle appela Angèle :

— Sais-tu ce que c’est ? demanda-t-elle en montrant les deux objets. Paul est-il venu dans ma chambre ?

Angèle ouvrit des yeux étonnés.

— Non, ma petite, il est parti avec ses hommes pour le camp de Marcel. J’ai pas vu d’autre monde que l’père Yves.

Odette déplia le paquet ; il contenait une robe de velours bleu qu’elle reconnut aussitôt :

— Ma robe ! dit-elle, qui peut l’avoir apportée ici ? Voyons cette boîte.

Elle l’ouvrit et poussa une exclamation de joie :

— Mes bijoux ! Regarde Angèle, cette bague, elle me vient de ma mère. Ce médaillon, c’est l’oncle d’Harry, M. Murray, qui me l’a donné. Lily en avait un semblable. Mais qui les a apportés ici ?…

— Voyons Mlle Odette, venez déjeuner, et ne vous agitez pas comme ça. On viendra à l’savoir, allez, dit la bonne vieille.

Odette la suivit et se mit à table. Le père Vincent entra.

— Le capitaine est-il ici ? demanda-t-il.

— Non, répondit Angèle. Que lui voulez-vous au capitaine ?

— Ben, dit le bonhomme un peu embarrassé, c’était pour y dire comme ça, qu’on a vu des sauvagesses dans les alentours du p’tit camp.

— Des sauvagesses ! dit Odette, oh ! que je voudrais les voir… Allons-y père Vincent… Le vieux se gratta la tête, indécis.

— Bédame mam’zelle, j’sais ben que l’capitaine a dit d’pas vous contredire, mé, vous m’ner par là… Tout d’un coup, y s’raient pas toutes seules.

— Vous êtes un peureux, dit Odette en colère. Je le dirai à Paul, je veux…

Mais le père Yves entrait, la jeune fille se précipita vers lui.

— Papa Yves, je veux aller au petit camp. Il fait beau et il y a bien longtemps que je ne suis sortie…

Prompte comme l’éclair, Odette avait gagné sa chambre, elle en sortit, transformée.

Avec sa longue robe de velours bleu, sur le corsage duquel étincelait le médaillon d’argent, elle avait l’air d’une princesse de légende.

— Vous ne refuserez pas de m’emmener, maintenant, dit-elle câline. Voyez comme je suis belle… J’ai trouvé tout cela sur ma table, ce matin. Paul m’expliquera ce mystère… Partons, venez Angèle.

— Mais il faut que j’aille au-devant des chasseurs qui reviennent de l’île. Le capitaine m’a envoyé pour ça.

— Cela ne fait rien, je les reverrai plus tôt, dit Odette. Partons.

— Après tout, murmura le vieux Breton, cela devait arriver, un jour ou l’autre. À la grâce de Dieu.

Odette avait pris le bras d’Angèle ; le chemin qui conduisait au petit camp longeait la rivière. Ce chemin, entretenu par les chasseurs, était assez beau ; aussi la jeune fille entraînait sa compagne qui avait peine à la suivre.

À mi-chemin, on rencontra la troupe qui revenait de l’île. Odette pressa le pas, et dans sa précipitation, elle lâcha le bras de le vieille servante. La rivière, à cet endroit, était fort escarpée. Levaillant, qui avait reconnu la jeune fille, jeta un cri :

— Prenez garde, Odette ! Mais avant que le père Yves put la retenir, la pauvre enfant glissait sur la berge et disparaissait sous les flots.

Deux hommes s’y jetèrent en même temps : c’étaient Philippe et Jacques.

— Courez chercher Marguerite et Nanette, père Yves, cria le capitaine, et vous, ma bonne, courrez faire chauffer des couvertures, accompagne-la, Charlot !

— Venez, dit le jeune garçon, et ne craignez rien, ma bonne Angèle, votre maîtresse est en bonnes mains. Dépêchons-nous !

Le père Vincent attendait avec anxiété l’arrivée de Georges. Il croyait rendre service à celui-ci en lui racontant la rencontre que Pierre, l’un des chasseurs, avait fait le matin même.

— Les chasseurs de l’île ne sont pas encore arrivés ? demanda Georges en entrant.

— Non. capitaine, y sont en r’tard, j’pense, répondit Pierre.

— Vous êtes seul ici, où est le père Vincent ?

— Il est à côté. Mlle Odette est allée au camp avec Angèle et le père Yves.

— C’est vrai, murmura le jeune homme, il y a longtemps qu’elle a envie de faire cette promenade. Il fait beau, cela va lui faire du bien.

Il alla rejoindre le père Vincent.

— C’est vous qui êtes le gardien ici ? dit-il en entrant.

— Ben oui, mam’zelle Odette a voulu sortir. Ah ! capitaine, y s’en passe des choses, allez…

— Quelles choses ? Encore de vos histoires qui ne tiennent pas debout.

— Elles étaient pourtant ben déboutés, quand Pierre les a vues, mon capitaine. Et pis, la belle robe et la belle médaille que Mlle Odette a trouvées sur sa table, à matin, c’est-y encore des histoires ?

— Voyons, dit Georges agacé, expliquez-vous ! Qu’est-ce que Pierre a vu ?

— Deux sauvagesses qui se sont cachées. Quand ils l’ont aperçu. Vous trouvez pas ça épeurant ? Et ces belles choses qu’on trouve comme ça dans l’bois, tout d’un coup !

— Cette robe, l’avez-vous vue ?

— Mais oui, Mlle Odette s’est habillée avec, une robe bleue, et sur le corsage la médaille d’argent qui r’luisait comme un soleil… Même qu’elle était belle avec ça, comme les anges du bon Dieu !

Georges réfléchissait, cette robe, il l’avait vue à Odette. Mais qui l’avait apportée au camp ?… Et ces deux sauvagesses ?… Que venaient-elles faire, si près deux ? Autant de questions que le jeune homme ne pouvait résoudre… Ah ! si Philippe était là !

La porte, qui s’ouvrait sous une poussée brusque, arracha Georges à sa pénible préoccupation. C’était Charlot et Angèle.

Le poêle était chaud. Angèle tendit des couvertures à Charlot, qui les installa près de la flamme. Puis elle se mit en devoir de préparer le lit.

— Odette ! que lui est-il arrivé ? dit Georges d’une voix étranglée.

Mais la porte s’ouvrait de nouveau, et le capitaine Levaillant entra portant Odette évanouie.

— Vite, ma bonne, déshabillez-la et enveloppez-la de couvertes bien chaudes. Vous, monsieur de Villarnay, préparez un cordial, ce ne sera rien.